Par Wooldy Edson Louidor
P-au-P, 31 juil. 07 [AlterPresse] --- La pauvreté s’est convertie de plus en plus en un mal endémique frappant les couches populaires et la classe moyenne en Haïti, tandis que la lutte pour la réduire ne s’annonce pas prometteuse pour l’actuelle administration du président René Préval et du Premier ministre Jacques-Édouard Alexis, appuyée par la Communauté internationale, qui s’apprête à engager ce combat, observe l’agence en ligne AlterPresse.
Prompte à se répandre et lente à se réduire, la pauvreté en Haïti pourrait être comparée à une machine qui marche à double vitesse.
L’actuel gouvernement haïtien, félicité et récompensé par le Fonds monétaire international (Fmi)
Dans un communiqué publié le mardi 24 juillet 2007, le Fonds monétaire international (Fmi) a félicité l’actuel gouvernement haïtien pour les progrès accomplis par le pays en termes de « stabilisation économique et sociale », d’ « amélioration de la gestion des affaires publiques » et de « mise en œuvre des réformes économiques », dans le cadre de l’accord au titre de la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (Frpc).
"Une stratégie de réduction de la pauvreté est en train d’être élaborée dans le cadre d’un processus participatif élargi", signale le même communiqué signé par le directeur général adjoint et président par intérim du Fmi, Murilo Portugal.
Comme récompense, le Conseil d’administration du Fmi décide le décaissement d’un montant d’environ 113 millions de dollars américains en faveur d’Haïti, conformément aux prescrits de l’accord « Frpc » qui a été approuvé le 20 novembre 2006.
A rappeler que la préparation du document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (Dsncrp) a été lancée, le jeudi 12 avril 2007, par l’actuel ministre haïtien de la Planification et de la Coopération externe, Jean Max Bellerive.
La réduction, de moitié, de la pauvreté extrême en 2015 : un objectif pratiquement voué à l’échec dans le cas d’Haïti
En dépit des efforts, qui sont en train d’être accomplis par le gouvernement haïtien de commun accord avec la communauté internationale, notamment la Banque mondiale (Bm) et le Fonds monétaire international (Fmi), les différentes études réalisées par des experts et institutions spécialisées aux niveaux national et international sont unanimes à reconnaître la quasi impossibilité pour la république caribéenne d’atteindre, d’ici 2015, les objectifs du millénaire pour le développement (Omd) de l’Organisation des Nations Unies (Onu), dont l’un d’eux est de réduire, de moitié, la pauvreté dans les pays à faible revenu.
« Il est visible qu’Haïti n’atteindra pas les cibles fixées par la Déclaration du millénaire", a conclu, en 2005, le Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud) en Haïti, après avoir dressé un bilan économique et social du pays au cours de cette même année.
"Il est peu probable qu’Haïti parvienne à la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement pour 2015", a récemment affirmé un haut responsable de l’Organisation des Nations Unies en Haïti, Joël Boutroue, dans un débat tenu le vendredi 20 juillet 2007, au Conseil économique et social (Ecosoc).
Débat autour des causes de la pauvreté
En ce qui a trait aux facteurs qui détermineraient la pauvreté en Haïti, les avis sont partagés.
Le Pnud a insisté sur les problèmes liés à la gouvernance, pendant que Boutroe souligne la question de la "fragilité du consensus national", de "la polarisation, de la division socioéconomique et des jeux de pouvoir qui minent la politique haïtienne".
Dans une étude intitulée « Inégalité en Amérique latine. Rupture avec l’histoire ? », la Banque mondiale met l’accent sur l’inégalité comme l’un des plus grands obstacles à la réduction de la pauvreté dans les pays de l’Amérique latine (la région la plus inégale du monde), à cause de son incidence sur la distribution des revenus et d’autres dimensions de bien-être, ainsi que sur le développement en termes d’accès au crédit et à d’autres opportunités (au niveau de l’éducation, de la santé, de l’emploi, etc.) et sur le potentiel de croissance générale de la société.
Au cours de l’histoire d’Haïti, plusieurs déterminants de la pauvreté ont été évoqués par différents groupes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Par exemple, une thèse, soutenue surtout par des pays colonialistes, voit la cause de la pauvreté et du sous-développement en Haïti dans l’incapacité « génétique et raciale » des Noirs à gouverner et à se gouverner.
Dans la même lignée, une autre thèse considère le vaudou, en tant que synonyme de « superstition », de « barbarie », d’ « archaïsme », de « pensée sauvage », comme le principal frein qui empêcherait le pays d’entrer dans la modernité, la raison, la technologie et le développement.
À l’extrême opposé de ces deux thèses, se situe un courant idéologique qui font des Blancs, principalement les puissances colonialistes, et des mulâtres, les principaux responsables de la pauvreté en Haïti.
Les tenants de cette idéologie évoquent les différentes formes de violence et d’exploitation, subies par les Noirs depuis la traite négrière jusqu’à l’impérialisme actuel, en passant par l’esclavage imposé par les Français, le système de semi-servitude ou de néocolonialisme installé par les mulâtres et une petite oligarchie noire (qui se sont accaparé les meilleures terres et les richesses laissées par les colons) contre la masse des anciens esclaves au lendemain de 1804, ainsi que l’occupation américaine (qui a duré de 1915 à 1934), etc.
L’embargo commercial, imposé à Haïti par des puissances colonialistes de l’époque, ainsi que la lourde dette payée par l’Etat haïtien à la France, pour la reconnaissance de l’indépendance de son ancienne colonie, constitueraient, selon ces idéologues, deux faits ayant grandement contribué à appauvrir la première république noire.
Plus récemment, des intellectuels et représentants de mouvements sociaux haïtiens anti-néolibéraux ont dénoncé le plan économique néolibéral, par lequel des institutions de la communauté internationale, notamment le Fmi et la Bm, et quelques pays voudraient rendre Haïti totalement dépendante des grands centres de pouvoir (et cela à tous les niveaux, financier, économique, politique, sécuritaire, etc.), sous prétexte d’alléger la dette externe du pays.
Selon eux, l’une des premières mesures néolibérales néfastes, que le pays a connues, est la tuerie des cochons créoles en 1978, sous le régime dictatorial de Jean-Claude Duvalier. Cette décision a détruit la paysannerie haïtienne, base de l’économie de subsistance haïtienne, en appauvrissant, de façon massive, les paysans et en les obligeant à migrer vers les villes.
La lutte contre la pauvreté, une question sociale avant tout
Avant de devenir massive et, du même coup, se convertir en centre de préoccupation de la communauté internationale, la pauvreté en Haïti a fait l’objet de débats dans la société nationale, surtout dans le milieu des intellectuels, des artistes et des penseurs en général, suivant les informations compilées par AlterPresse.
Cependant, le phénomène de "double vitesse", qui la caractérise actuellement, devrait convoquer, voire encourager toutes les Haïtiennes et tous les Haïtiens, surtout les décideurs aux niveaux national et international, à repenser la lutte contre la pauvreté dans le pays.
Plus qu’un Etat, dans lequel se seraient trouvés des Haïtiennes et Haïtiens "vivant avec moins d’un dollar par jour", la pauvreté se présente de plus en plus dans le pays comme le résultat historique des structures (mentale, politique et socioéconomique), des actions et omissions ainsi que des rapports de force aux niveaux géopolitique et international.
Pendant que la grande majorité des Haïtiennes et Haïtiens pauvres paraissent condamnés à rester dans cette condition et de plus en plus de familles dans le pays tendent à s’appauvrir chaque jour, ne-faudrait-il pas commencer à identifier et à combattre les facteurs d’appauvrissement, c’est-à-dire, des pratiques, des processus, des mécanismes, des situations (pensons à l’insécurité et à la violence politique !) et même des discours au niveau des gouvernements, de la société, voire de la communauté internationale, lesquels produisent et reproduisent la pauvreté en Haïti ?
En ce sens, la lutte contre la pauvreté demeure plus que l’affaire (politique ou économique) d’un gouvernement en accord avec la communauté internationale.
Elle est, avant tout, une question sociale qui devrait impliquer tous les Haitiens et Haitiennes du pays et de la diaspora qui veulent une autre Haiti plus libre, prospère, juste, équitative, belle et démocratique et qui sont prêts à participer à sa construction. [wel rc apr 31/07/2007 17:00]