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Haïti : Que cherchent ces femmes sur les trottoirs de la ville ?

Encore la question des marchés de rue

« Le remède de la capitale, de son casque urbain et de ses marchés de rue se trouve de manière profonde, dans la relance socio-économique du monde rural et des provinces environnantes qui doivent, en urgence, bénéficier de nouvelles politiques agricoles, industrielles, commerciales, éducatives, sanitaires et environnementales ».

Par Myrtha Gilbert

Soumis à AlterPresse le 26 juillet 2007

1 Marchés de rue et problèmes structurels

Elle est de retour, la problématique mille fois posée et jamais résolue des marchés de rue.

Pourquoi en est-on à la reposer une fois de plus ?

Simplement, comme pour la plupart des questions sérieuses, telles la chute de la production agricole, l’absence de justice, le déboisement, la violence récurrente, le chômage endémique, la misère généralisée…, tout problème mal posé est condamné à refaire surface, à plus ou moins brève échéance. Et pour cause, les problèmes structurels, parce qu’ils ont des racines profondes, ne sauraient être résolus avec de la poudre aux yeux.

Des milliers de femmes (et pas mal d’hommes) se retrouvent, malgré elles, sur les trottoirs, poussées par l’extrême misère, la décapitalisation organisée de l’économie paysanne, le rachitisme puis la ruine de l’industrie locale causée par des décennies d’incurie, aggravées depuis 1986-1987 par l’application de politiques économiques plus antinationales les unes que les autres.

De la sorte, l’ouverture inconsidérée du marché haïtien a progressivement asphyxié l’économie paysanne, en faisant passer notre pays de producteur de sucre et de riz en auto suffisance, à pays acheteur de tout le sucre consommé et d’une part si importante de riz, que Haïti, pays de 28 000 Km2, réputé le plus pauvre de l’Amérique Latine et de la Caraïbe, se place comme quatrième importateur de riz américain après - tenez vous bien - le Japon, le Canada, et le Mexique, selon des données de recherches récentes. Et nous connaissons tous la gamme chaque fois plus large de produits alimentaires que nous importons, entre autres, de la République Dominicaine, jusqu’aux mirlitons !!!

Comment alors s’étonner que Port-au-Prince, qui n’est qu’une capitale ramasseuse (elle ramasse l’essentiel de la sueur de son arrière-pays), ne soit devenue un super mauvais pôle d’attraction pour la paysannerie aux abois ?

Pendant que les babillages des « gens de bien » se poursuivent dans les grands hôtels, à propos du déboisement et autres catastrophes présentes et futures, les millions et les milliards de l’Etat haïtien (les millions et les milliards du peuple haïtien) ne vont ni dans l’agriculture et l’indispensable réforme agraire - pour un véritable reboisement et la contention des catastrophes - ni dans le renforcement du secteur artisanal et de l’industrie de transformation, ni dans le relèvement adéquat des services stratégiques de l’Etat, lesquels devraient accompagner tout processus de relance économique. Nos millions et nos milliards garantissent par contre, le paiement d’une pléiade « d’experts et de courtiers » aux petits pieds, les contrats juteux et les mauvais services des firmes privées, la flotte des grosses cylindrées et le remboursement de la dette externe notamment.

Pourtant, des nantis ont extirpé de cette économie exsangue environ 1 milliard de dollars américains qu’ils ont injectés à celle de la république voisine, bien plus forte que la nôtre, au lieu d’investir chez eux (peut-être que ce pays n’est pas le leur). Entre-temps, les uns cherchent avec une bougie dans le noir, d’autres implorent le ciel à genoux, pour que pleuvent les investisseurs étrangers. Alatraka papa !!!

Pourtant, malgré la mauvaise saison, les campagnes, qui continuent à nourrir dans une grande mesure la population et produisent près de 30% du produit intérieur brut (Pib), poursuivent leur descente aux enfers, méprisées de l’Etat urbain qui ne leur consent que des miettes, en dépit du tapage médiatique qui se fait autour de chaque micro projet concédé à l’économie paysanne.

Le résultat de cet abandon du monde rural par l’Etat Haïtien a poussé le paysan et la paysanne hors de leur milieu de vie, en même temps que se poursuit un énorme gaspillage de production agricole perdue pour la commercialisation, faute de routes secondaires, de débouchés et d’encadrement. D’où une perte sèche, non évaluée, mais importante pour le pays, en concept de manque à gagner pour des milliers de paysans.

D’ailleurs, dans ce pays de chômeurs, il n’existe même pas l’élémentaire souci d’utiliser la force de travail des milliers de désœuvrés des divers départements, dans les projets de construction de routes (question de modernité sans doute). Par ailleurs, il n’est nullement avéré que la plupart de celles qui sont en construction répondent à de véritables préoccupations de développement de pôles régionaux, eu égard à nos potentiels établis en matière d’agriculture, d’industrie, d’élevage, de pêche, de mines etc.

Jusqu’ici, l’Etat et le Gouvernement persistent à enfermer des milliers de citoyens de la campagne et des villes, qui ne demandent qu’à s’éduquer et à travailler, dans un chômage indigne et une misère atroce.

2 Les conséquences des mauvaises politiques

Où vont se réfugier ces milliers de paysannes et de paysans cruellement appauvris, chassés de leur milieu naturel par la misère, l’incurie de l’Etat et les mauvaises politiques économiques des régimes qui se sont succédé au pouvoir ?

Les uns se font boat-people, et depuis près de 3 décennies nous n’arrêtons pas de déplorer de nombreuses tragédies maritimes. Ces victimes rencontrent, en général, l’indifférence des élites, trop occupées ailleurs. Elles ne sont rien pour ce pays.

Lesquelles victimes, vivantes ou mortes, n’ont aucune importance pour la société des « gens de bien ». Parce que « malere se krim », rappelle le dicton populaire haïtien.

Les autres passeront « anba fil » vers la République voisine, quitte à faire l’objet des pires humiliations et des déportations systématiques. Des milliers d’autres viendront gonfler les bidonvilles de la zone métropolitaine et peupler les trottoirs, faute d’alternative.

3 Enième déplacement des marchand (e)s

Les nouveaux édiles de la zone métropolitaine ont annoncé, dès le départ, la couleur. Le thème « déplacement » est décliné sur trois tons : les trottoirs aux piétons, la rue aux voitures, les marchés aux marchand (e)s.

Mais, quand les marchés sont soit inexistants soit largement insuffisants, la réforme agraire renvoyée aux calendes grecques, les industries et l’artisanat en agonie, les délocalisations deviennent autrement compliquées. En fait, c’est une vraie patate chaude au creux de la main des maires.

Il est tout de même regrettable que d’amples débats publics n’aient pas pu avoir lieu durant la période électorale sur un thème aussi important. En fait, tout dirigeant devrait évaluer (le tenter tout au moins), à l’avance, la nature des problèmes qu’il aurait à affronter, les mécanismes qu’il contribuerait à mettre en place et les moyens dont il disposerait pour délivrer la marchandise.

Cependant, un bon point pour les nouveaux édiles, les démarches de délocalisation se font de manière générale avec moins de casse qu’auparavant (il est à déplorer l’incident malheureux de la place de la Cathédrale), et un début de dialogue entre marchandes et maires. Toutefois, le projet souffre d’un manque de planification et de timing, d’une mise en œuvre prématurée, dans la mesure où aucune préparation en termes d’infrastructures, aucune nouvelle politique publique ne l’accompagnaient.

Ainsi, cette démarche éminemment traditionnelle ne laissait-elle entrevoir aucun succès éventuel, pour la simple et bonne raison que les nouveaux maires, comme ceux d’hier, s’attaquent aux symptômes et non à la maladie.

L’expansion des marchés de rue est un problème d’abord structurel qui répond, comme nous l’avons expliqué, à des exigences de survie d’une masse appauvrie.

Tant que l’Etat ne changera pas ses politiques économiques rétrogrades et antinationales, tant qu’il n’offrira pas à ses citoyens et citoyennes de vraies alternatives, autres que « Tire-toi de là et va mourir ailleurs », les marchandes et les marchés de rue continueront à se multiplier comme des champignons, et la guerre contre les pauvres ira en s’amplifiant. La situation actuelle de la zone métropolitaine, engorgée et bidonvillisée, ne pourra jamais être résolue à Port-au-Prince, jamais.

Le remède de la capitale, de son casque urbain et de ses marchés de rue se trouve de manière profonde, dans la relance socio-économique du monde rural et des provinces environnantes qui doivent, en urgence, bénéficier de nouvelles politiques agricoles, industrielles, commerciales, éducatives, sanitaires et environnementales.

Il est donc clair qu’une bonne partie du problème dépasse largement la compétence des mairies. C’est la raison qui explique les échecs répétés des projets de délocalisation des marchés de rue.

Dans ce sens, les nouveaux édiles doivent comprendre la complexité et la délicatesse de la situation. Et surtout, l’importance, voire l’urgence de larges débats publics, d’une réflexion profonde suivie d’actions concertées en amont et en aval incluant, tous les administrés (marchandes, professionnels, secteurs des affaires) ainsi que les universitaires, les éducateurs, les secteurs organisés et l’Etat Central, afin de dégager des pistes viables de solutions.

Myrtha Gilbert

Juillet 2007