Après les démarches de lutte contre l’insécurité, l’option de l’administration politique actuelle en Haïti serait la privatisation des entreprises publiques et la création d’emplois à travers des entreprises de sous-traitance dans le cadre de la loi américaine appelée « Hope ». S’achemine-t-on vers une application à outrance du programme d’ajustement strcturel, connu sous le nom de politique néolibérale, dans la république caribéenne ? Ce sont ces questions que tente d’analyser le présent article, en rappelant les grandes lignes de politique définies par le gouvernement en juin 2006.
Par Wooldy Edson Louidor
P-au-P, 25 juil. 07 [AlterPresse] --- L’administration du président René Garcia Préval et du Premier ministre Jacques-Édouard Alexis a pris récemment des décisions, dont celle de privatiser quelques entreprises publiques, qui semblent indiquer des changements ou, du moins, des réorientations au niveau de sa politique générale, observe l’agence en ligne AlterPresse.
Les priorités de l’actuel gouvernement haïtien semblent être articulées autour des grands dossiers de la vie nationale : de la lutte contre l’insécurité, la drogue et la corruption à la privatisation des entreprises publiques, en passant par la réforme de l’État, la révision de la Constitution de 1987, la création de richesses et d’infrastructures, la stabilisation du cadre macroéconomique et l’attraction des investissements.
Le projet de privatisation des entreprises publiques, via leur modernisation, que l’actuelle administration haïtienne a annoncée le samedi 23 juin 2007, se profile comme sa nouvelle priorité.
La privatisation des entreprises publiques contribuerait à rentabiliser celles-ci et à les rendre compétitives, selon le chef d’Etat René Préval. Mais, à quel prix et au profit de qui ?, se demandent de nombreux analystes
Ce processus de privatisation a déjà causé une vague de licenciements (plus d’un millier d’employés) à la compagnie nationale de télécommunications (Teleco), - la première entreprise publique [Ndlr : depuis la Minoterie et le Ciment d’Haïti] à être frappée par cette mesure gouvernementale -, ainsi que d’intenses débats, des réactions hostiles, voire des tensions au sein de la société haïtienne.
La lutte contre l’insécurité, la corruption et la drogue : la première priorité
Pendant les 6 premiers mois de l’année 2007, plusieurs interventions musclées ont été réalisées par la police nationale d’Haïti (Pnh) et les casques bleus de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (Minustah) dans des quartiers réputés dangereux de Port-au-Prince, la capitale du pays, et dans d’autres villes de province, par exemple Gonaïves (à 171 kilomètres au nord de Port-au-Prince), pour mettre les bandits hors d’état de nuire.
Comme résultats de cette lutte, "la criminalité généralisée est diminuée à 70 %", selon le bilan dressé par le Premier ministre Alexis à la Chambre Basse le 11 juin 2007.
Depuis, les opérations conjointes de ces deux forces de sécurité semblent être dirigées beaucoup plus contre les trafiquants de drogue, notamment avec l’appui des agents américains de la Drug enforcement administration (Dea). Des saisies importantes de stupéfiants ont été réalisées tout au long du territoire ; des trafiquants de drogue soupçonnés sont déjà en cavale et "seront traqués", suivant les récentes déclarations faites par le président Préval lors d’une conférence de presse au Palais National, le vendredi 20 juillet 2007.
La lutte contre les bandits armés, les trafiquants de drogue et la corruption a contribué à créer un climat sécuritaire "relatif" dans le pays, puisque quelques cas de kidnapping, de meurtre et de violence contre des citoyennes et citoyens continuent à être enregistrés.
Fort de ces résultats en matière de sécurité, le gouvernement paraît retrouver la confiance en lui-même ainsi que celle de la population et de la communauté internationale pour se donner d’autres priorités visant à promouvoir directement le développement socio-économique du pays qui, tente d’assurer Préval, a été « entravé » par l’insécurité, la drogue et la corruption.
La privatisation des entreprises publiques
Le samedi 23 juin 2007, le président haïtien notifie, à la surprise de l’opinion publique, de la décision de privatisation ou, mieux, de la "modernisation" des entreprises publiques afin de les rentabiliser et de les rendre plus compétitives. La Teleco est mentionnée comme la première entreprise étatique à entrer dans ce processus très douloureux : pour les employés de cette entité qui ont été révoqués et pour les autres qui attendent leur tour.
De fin juin à fin juillet 2007, des rumeurs circulant à travers le pays font croire que d’autres entreprises publiques, comme l’Office national d’assurrance-vieillesse (Ona), la Banque nationale de crédit (BNC), l’Autorité portuaire nationale (Apn), l’Électricité d’Haïti (EdH), connaîtront, sous peu, le même sort que la Teleco.
Les réactions contre la privatisation
Cette annonce suscite la grogne et la colère chez les employés de la Teleco, ainsi que des critiques de la part de spécialistes, de représentants de partis politiques et de mouvements sociaux, d’après un ensemble de réactions rassemblées par AlterPresse.
Certains pointent du doigt le manque de transparence de l’actuel gouvernement qui n’a pas consulté des secteurs importants de la vie nationale avant de prendre cette décision risquant d’affecter le pays.
D’autres condamnent ces licenciements « non échelonnés » et qui, d’un jour à l’autre, envoient au chômage tous ces employés « de trop » (un pour 45 abonnés) dans l’entreprise nationale des télécommunications.
D’autres signalent les conséquences fâcheuses que cette décision entraînera pour l’État, qui sera plus affaibli, et pour la population, dont les revenus et le pouvoir d’achat sont déjà faibles et l’accès aux services sociaux de base très limités.
L’opinion commune, de plus en plus partagée par différents secteurs du pays, tend à considérer la vague de privatisation, annoncée, des entreprises publiques comme faisant partie de l’application, par l’actuel gouvernement, du plan économique (le néolibéralisme) que la communauté internationale, principalement des institutions financières internationales telles que la Banque mondiale (Bm) et le Fonds monétaire international (Fmi), voudrait imposer au pays, sans tenir compte des besoins réels (pauvreté, inégalité des revenus, chômage, etc.) et du bien-être de la population.
Vers une nouvelle orientation économique et idéologique du gouvernement haïtien ?
Pendant que le gouvernement actuel insiste toujours sur la nécessité d’attirer les investissements en sécurisant le pays et en offrant un cadre macroéconomique stable (stabilité du taux de change ; lutte contre l’inflation, contre la contrebande, la fraude et l’évasion fiscale, etc.), il n’a jamais été question, au départ (en juin 2006), de privatiser des entreprises publiques, en les vendant à des investisseurs privés, ou en leur en confiant la gestion, ou encore en créant un partenariat public-privé pour les administrer.
Au contraire, dans son programme général, le gouvernement entendait organiser et réformer l’État, ce qui sous-entend qu’il renforcerait l’État, notamment dans ses rouages administratifs, dans la gestion de ses biens, de ses entreprises et des services qu’il offre.
On se demande si l’administration Préval/Alexis est en train de changer sa politique générale, de la redéfinir ou de lui donner un autre contenu.
Cependant, plusieurs familles haïtiennes issues des couches populaires et de la classe moyenne sont déjà victimes de cette modification au niveau de la politique de l’actuel gouvernement.
Plus d’un estiment que la société, plus particulièrement les familles pauvres et économiquement vulnérables, ne sera ni consultée ni prise en compte dans l’adoption de ces nouvelles mesures économiques, par lesquelles l’administration Préval/Alexis affirme désormais son appartenance (par choix, par nécessité ou par imposition ?) à l’idéologie néolibérale plus qu’à la ligne socialiste des gouvernements de la "gauche latino-américaine". [wel rc apr 25/07/2007 11:00]