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Monde/Haiti : Liberté et contrainte structurelle

Soumis à AlterPresse le 18 juillet 2007

Par Camille Loty Malebranche

De la plus belle définition, la liberté est cet attribut de l’homme capable de déjouer les pronostics, de surprendre les planificateurs, en contournant ou en éclatant les structures et leurs principes.

Le structuralisme, le behaviourisme et toute théorie du systématisme social et de son moulage de l’individu, uniquement en sujet social, n’ont eu cesse de tabler sur la détermination de l’homme par la structure sociale.

À ce compte, l’homme ne serait que le produit du façonnement éducationnel et culturel.

Mais l’individu, cette « structure structurée » de Bourdieu, se manifeste parfois comme une entité aléatoire au cœur des systèmes qui l’englobent et dont il est censé relever. Ni le soi disant habitus, qu’il est voué à exprimer, ni « l’orthopédie sociale », que Foucault nous décrit dans son « Surveiller et punir », ne semblent assez forts pour faire, de tous les individus de la société, cette chose moulée au creuset social et qui, sans anicroche, se pâmerait au pressoir puissant de l’idéologie sociale dominante.

L’individu humain - malgré tout le pas qu’il ait à franchir et que souvent, malheureusement, il ne franchit jamais pour être une personne humaine plénière -, connaît des soubresauts qui sont la marque de son autre vocation brimée et déformée, la liberté.

En dépit de la pesante misère sociale de l’individu, écrasé par la monstruosité des choix oligarchiques et ploutocratiques contre l’avènement de l’homme et pour la réification permanente des individus selon l’ordre établi, le désordre de quelques-uns sévit encore dans le social, en face de tous les attirails de contrôle et de tous les rétiaires structurels qui, aujourd’hui, mènent l’écoumène.

Alors que tous, ou presque tous, sont fichés dans les dossiers policiers et de santé des autorités, la société et les Etats se surprennent à avoir peur de certains de leurs membres connus pour leur tendance à la révolte, sans oublier, ici, l’autre peur (plus terrifiante) de la potentialité de réaction violente, inconnue d’un nombre croissant d’individus, contre la violence systémique d’État, systématiquement maintenue sur les populations.

Et même, la peur est devenue l’emblème des métropoles !

La société reconnaît et constate son échec dans ses tentatives viles et macabres de contrôle des individus par l’instauration des nouveaux États policiers en pleine démocratie. Car, en passant, qu’est-ce que l’État policier, sinon que celui que nous vivons actuellement dans les métropoles et mégapoles occidentales, créées à dessein pour l’émiettement des groupes humains jadis rapprochés par le contact et la communication, et où tous sont suivis de près, enfermés, sans s’en rendre compte, dans l’isolement d’un individualisme programmé qui voit les individus mécaniquement se soumettre en véritables ombres aux politiques et propagandes médiatiques appliquées dans leur vie !

Les individus, renonçant pour la plupart à tout idéal humain, sont devenus moins que rien, incapables même de répondre spontanément à une salutation humaine, si elle ne vient d’un « seigneur du social ». La communication même minimale est devenue difficile entre les habitants des grandes villes.

L’on comprend le pourquoi de ces singes de la télévision et des talk show qui vont minablement déblatérer en racontant leur vie privée à la télé, mais qui refusent un simple bonjour, à l’image de ces tristes cadavres ambulants et arrogants que l’on croise chaque jour dans les ascenseurs de Montréal ou de Paris ! La misère ontologique, la pauvreté existentielle, n’a d’égal que la grossièreté de ses individus-rejets.

La spontanéité et la liberté totalement perdue du grand nombre a sans doute inspiré les grandes théories du structuralisme social à la fin du 20e siècle.

Nous savons que les souffrances et déviances, que nous décrivons dans ce texte, furent une plaie de la Modernité.

Mais. qu’en sera-t-il de l’individu post moderne ? Aura-t-il la chance de se libérer de la société monstrueuse et tératogène qui, encore, tend ses pièges et étend ses filets ?

Nous croyons hélas que non ! Car, l’ordre social idéologique est resté le même. La liberté est désormais entrée dans la marge, privilège exclusif des marginaux !

Nous savons que le terme de liberté est galvaudé par les champs théoriques qui prétendent le définir.

La liberté du légaliste, qui se résume aux limites établies par les lois, s’opposera toujours à celle de l’anarchiste, voire de l’esprit libre qui exige le primat de l’homme sur l’État et le système.

La liberté du croyant, métaphysique et intuitive contre l’insignifiance et les torsions du sens existentiel, n’est pas celle de l’athée qui se morfond dans l’absurde et fait de sa soi- disant émancipation de Dieu une plainte de douleur perpétuelle, liberté si lourde que le nihiliste n’arrive guère à la porter avec sérénité…

Car, il y a aussi aujourd’hui une grimace libertaire nouvelle en face des singeries diaboliques des fondamentalismes et intégrismes religieux. C’est la débile reprise de l’athéisme enfantin qui a régné aux 19e et 20e siècles, de Stirner à Heidegger.

Nos actuels athées de corridors, avec leur traité, sont si peu succulents qu’ils font littéralement dégueuler ceux qui ont connu les plats, au moins épicés, de leurs prédécesseurs.

Mais, cela constitue un autre thème à traiter. Sans entrer donc dans leur polémique ou athéologie si fade et si blême, il faut juste se rappeler Kierkegaard, grand philosophe chrétien qui fut libre et ennemi farouche des religions officielles institutionnelles.

Aspects prometteurs de la liberté

Pour revenir à la liberté, disons enfin qu’elle est bel et bien l’une des attractions les plus magnétiques de l’espèce, lorsque l’espèce est autorisée d’exister sans les cerbères de l’ordre officiel et leurs manipulations médiatiques. La liberté est le trône de la deuxième grande passion, à la fois attractive et impulsive de l’homme, après celle de l’amour qu’elle suit alors qu’elle prime sur celle de la vie.

Quatre faits caractéristiques prouvent la non disparition totale de la liberté humaine, prise au lasso des structures.

1 La révolution

Lorsqu’une révolution réussit, elle chambarde précisément les structures et, de ce fait, laisse au révolutionnaire le choix de nouvelles structures plus adaptées à ses vœux. L’homme sort des structures pour y entrer, mais, dans l’intervalle, il tient la houlette de son avenir par le devenir structurel qu’il imprime à la société et à l’État.

2 L’esthétique

La sensibilité créatrice ou critique est, en fait, un lieu de liberté par son caractère d’expression ou d’effet toujours éminemment unique à chaque créateur et critique intervenant.

3 L’imprévisibilité du devenir de l’action et de la réaction humaine

Le sujet humain arrive parfois à rejeter sa sujétion pour la subjectalité, cette dimension de sujet prenant le monde pour objet en s’opposant à tous les engrammes de l’éducation et à tous les dispositifs de contrôle et de répression.

Comment expliquer, en effet, que quelquefois, de deux enfants élevés dans la même famille, fréquentant les mêmes milieux et partageant toute la bonne part connue de l’hérédité génétique, il y ait un qui soit socialement docile et l’autre rebelle trublion ?

C’est que l’homme n’est pas un livre que l’on peut écrire d’avance, ni une pure matière que l’on peut structurer de manière certaine ou définitive…

Le fait de ne pas pouvoir prévoir ce qu’un homme pensera demain, ou même dans quelques minutes, en est une preuve additionnelle. La procession du mental et la capacité d’être plus qu’un réagissant, c’est-à-dire d’être proactif et de provoquer l’inimaginable, impondérable avant coup, constituent l’affirmation libre de l’égoïté humaine, au-delà du surmoïque pressurant de l’éducation et du structurel.

C’est donc la liberté de l’homme-sujet, souverain dans sa subjectalité contre le sujet-homme cloîtré dans la sujétion sociale, oui c’est cette liberté transcendante des contingences, qui - grâce à sa résistance aux imminences agressives des mécanismes de déconstitution de l’être transcendant qu’est l’homme - fait trembler et pester les tyrans souriants de nos démocraties liberticides.

Camille Loty Malebranche

aecmill@gmail.com