Culture de l’anti-haitianisme en République Dominicaine
Par Karole Gizolme et Anne Lescot [1]
Soumis à AlterPresse le 10 juillet 2007
Sur la chaîne de télé Canal 5 à Santo Domingo, l’animatrice Consuelo Pradel insulte en direct les Haïtiens qui travaillent et vivent en République dominicaine. Qui ne dit mot consent … L’anti-haitianisme se cultive depuis le XX°siècle. Pourtant, des organisations locales et internationales dénoncent les mauvais traitements dont sont victimes les Haïtiens depuis des années. Face à un événement qui s’est tenu à Paris en juin « Esclaves au Paradis » (exposition, projections de documentaires et colloque), le ministre des Affaires étrangères, Carlos Morales Troncoso, par ailleurs longtemps actionnaire des consortiums sucriers locaux, exige un droit de réponse dans les média français (Libération du 04/07/07, Le Figaro ou VSD) dénonçant une « campagne de haine, dont les bénéfices n’iront certainement pas aux immigrés haitiens ». Allégations et double langage qui pourraient être inquiétants lorsque l’on mesure l’anti-haitianisme utilisé dans les plus hautes sphères de l’Etat. Le plus sinistre et sanglant exemple remonte à exactement 70 ans quand près de 15. 000 Haïtiens ont été massacrés à l’arme blanche pour « préserver la race dominicaine ». Plus récemment, ce 1er juillet 2007 et en mai 2005, des incidents ont dégénéré en lynchages meurtriers sans que les autorités ne lèvent le petit doigt. Sauf pour expulser des blessés, contrairement aux accords signés avec Haïti pour cesser ces pratiques arbitraires … La République dominicaine soucieuse de son image a signé plusieurs traités de droits humains et ne les a jamais respectés (voir le rapport d’Amnesty International). Aujourd’hui, elle s’indigne lorsque la situation des travailleurs haïtiens est assimilée à de l’esclavage contemporain. « Ils sont libres », écrit M. Troncoso dans Libération. Sans papier d’identité, quelle liberté ont-ils de circuler, d’aller dans un hôpital, d’envoyer leurs enfants à l’école ? Amnesty International rappelle qu’un Haïtien même en règle n’a aucune chance de ne pas être arrêté par un agent de l’immigration.
« Ils sont rémunérés ». Dans les bateyes, les « braceros » sont payés à la tonne de canne coupée et la balance ne fonctionne pas toujours équitablement. Les pesos gagnés sont dépensés dans les boutiques aux prix bien plus élevés que dans les villes proches où ils ne peuvent aller (transports trop chers et risques d’arrestation). Dans la construction, plusieurs rapportent que le jour de la paye au lieu de voir leur patron, ils se retrouvent nez à nez avec les agents de l’immigration chargés de les expulser. Evidemment sans paie. Il existe un salaire minimum en République dominicaine mais pas pour les Haïtiens.
« Ils travaillent de leur plein gré ». Prisonniers de ce système, que peuvent-ils faire d’autre ?
La documentariste Amy Serrano qui a projeté le 28 juin 07 « The Sugar Babies » sur le campus universitaire de l’Université Internationale de Floride résume après 26 mois d’enquête sur place : « Les Haitiens n’arrivent pas sur place avec des chaînes au pied, ni contre leur volonté mais comme objet d’un trafic humain qui les maintent sans papier et sans possibilité d’améliorer leur vie. Ceci est de l’esclavage. »
On peut comprendre l’irritation des autorités dominicaines et des propriétaires de plantations (les familles Vicini, Fanjul et Campoyo) puisqu’est en jeu leur image à l’international. Quatre millions de touristes se pressent sur l’île selon les estimations de 2006. Les Américains (qui importent aussi le sucre dominicain) représentent 28 % des clients suivis par les Canadiens et les Français. Tous les moyens sont bons pour mener une contre campagne. Ecrire aux journaux dénonçant des « ennemis » de la République dominicaine (sans les identifier), faire croire qu’il s’agit d’actions contre les Dominicains et l’image du pays (alors que ne sont visées directement que les familles richissimes qui profitent de ce système et l’attitude des politiques) réaliser des documents vidéo à distribuer, identifier les ONG « amies et alliées », inviter des communicants ou des journalistes triés sur le volet et même payer en payer certains pour contredire les documentaires. Ce fut le cas du film d’Amy Serrano « the sugar babies » projeté à Miami (voir article dans dominicanoshoy.com). Des enveloppes allant de 300 à 2000 dollars ont été remises aux journalistes « amis ».
Le gouvernement dominicain et les sucreries investissent donc dans une stratégie de communication au lieu de changer un système qui fonctionne si bien depuis près d’un siècle au profit de tous les intermédiaires (y compris haïtiens) sauf des travailleurs (y compris dominicains). Les seules modifications faites portent sur la construction rapide de logements corrects, ce qui ne règle en aucun cas la question essentielle de l’exploitation et de leur non reconnaissance des Haïtiens au mépris des lois internationales.
Ce 11 juillet 2007, René Préval est invité en République dominicaine pour célébrer le centenaire de l’écrivain Jacques Roumain. Cette rencontre sera-t-elle aussi utilisée pour montrer des relations cordiales entre les deux pays ? Certes il est temps de dépassionner le débat. Dépassionner ne veut pas dire étouffer.
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En savoir plus sur www.gensdelacaraibe.org : « Esclave au paradis » déclenche un tollé en République dominicaine ».
www.esclaveauparadis.org, site officiel de l’événement Esclaves au paradis.
Voir le rapport d’Amnesty international 2007 sur la République dominicaine : Une vie en transit. La situation tragique des migrants haïtiens et des Dominicains d’origine haïtienne http://web.amnesty.org/library/index/fraamr270012007
[1] Titre original de cet article : « La République Dominicaine a son Ibo Simon et ce qui va avec … »
Ibo Simon est animateur de télé en Guadeloupe. Il a été poursuivi en justice pour ses propos haineux proférés en direct pendant plusieurs années à l’encontre des ressortissants haïtiens et dominicais vivants en Guadeloupe. Il a même invité ses téléspectateurs à aller démolir la maison d’une famille dominicaise, acte retransmis en sur sa télé de l’époque Canal 10.