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Haïti – Droits humains : La commission interaméricaine demande des garanties de dignité pour les personnes privées de liberté

Plus de 80 % de la population carcérale en attente prolongée de décision judiciaire

P-au-P, 22 juin 07 [AlterPresse] --- La commission interaméricaine des droits humains (Cidh) encourage l’Etat en Haïti et la communauté internationale à prendre des dispositions pour mettre fin à la détention préventive prolongée et à la surpopulation dans les centres de détention, et garantir des conditions de dignité aux personnes privées de liberté, notamment à Port-au-Prince.

Le Président de la Commission Interaméricaine des Droits Humains (Cidh) et Rapporteur sur les Droits des personnes privées de liberté dans les Amériques, le Commissaire Florentín Meléndez, qui a visité le pays du 17 au 20 juin 2007, « exhorte l’Etat et la communauté internationale à donner la priorité au thème des prisons et la nécessité de garantir des conditions de vie dignes pour les personnes privées de liberté », indique la Cidh dans une note transmise à l’agence en ligne AlterPresse.

Malgré les efforts institutionnels existants, 98 % des enfants détenus à la prison des mineurs à Delmas (nord-est de la capitale), 95% des femmes à la prison de Pétionville (à l’est de Port-au-Prince) et 96% de prévenus à la prison civile de Port-au-Prince (plus connue sous le nom de Pénitencier National) sont des personnes incarcérées sans condamnation, relève la Cidh.

Dans son rapport sur la visite de 4 jours effectuée en Haïti, la commission interaméricaine des droits humains exprime sa préoccupation sur la situation des personnes privées de liberté, d’autant que « au mois de juin 2007, 84% de la population carcérale haïtienne n’a pas été jugée ni accusée formellement » selon les dernières données (obtenues par la Cidh) de la Direction de l’Administration pénitentiaire nationale (Apena).

Entre juillet 2005 et juin 2007, la population carcérale a augmenté de 2,586 à 6,047 personnes dans 17 prisons du pays.

« Ce scénario de surpopulation crée des conditions inhumaines qui se révèlent être un danger grave pour la sécurité et l’intégrité physique des personnes privées de liberté et aggravent la situation d’insécurité pour la population en général », observe le Rapporteur de la Cidh.

Le constat de la situation carcérale, réalisé par le rapporteur spécial Florentín Meléndez, ne fait aucune mention des causes sous-jacentes de l’augmentation de la population carcérale durant les deux dernières années en Haïti, comme le phénomène de violence et d’actes d’enlèvement de personnes ayant connu une recrudescence à partir de l’année 2005 dans la république caribéenne.

Cependant, durant sa visite, la commission interaméricaine des droits humains a relevé l’état de détérioration des installations visitées, la précarité absolue des conditions sanitaires et de logement, le manque d’accès à l’eau potable et à une assistance médicale.

« Particulièrement, au Commissariat de Police de Delmas, le Rapporteur de la Cidh a noté que femmes, hommes et enfants partagent les cellules, sans eau, nourriture ou tout autre service de base. Bien que les cellules de ce Commissariat soient conçues pour contenir des individus pour une période constitutionnelle de 48 heures, certaines de ces personnes détenues sont dans ces conditions depuis plusieurs semaines, sans avoir été emmenées par devant un juge et sans connaître les accusations qui leur sont portées contre elles ».

La commission interaméricaine des droits humains se déclare « alarmée par la situation déplorable du Pénitencier National, caractérisée par une surpopulation sans précédent, aggravée par l’ancienneté et la précarité de l’infrastructure et des conditions sanitaires, l’absence d’eau potable et d’attention médicale appropriée, ce qui provoque la mort fréquente de détenus de ce pénitencier ».

Aux yeux de la Cidh, les enfants privés de liberté, dont des mineurs en bas âge de 6 ans et plus, sont les plus affectés par les conditions déplorables de détention signalées.

Pour rendre effectif l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que prescrit par la convention relative aux droits de l’enfant, les enfants en conflit avec la loi doivent « être privés de liberté, comme recours ultime (pour le temps minimum nécessaire, et dans des cas strictement exceptionnels), dans des centres de réhabilitation et non dans des établissements carcéraux, aux soins de personnes spécialisées et avec la possibilité d’être en contact avec la famille », recommande la commission interaméricaine au gouvernement du Premier ministre Jacques Edouard Alexis.

Les témoignages recueillis de certaines personnes interviewées par le Rapporteur de la Cidh font état de personnes arrêtées à leur domicile, sans mandat judiciaire, ou ayant été l’objet d’arrestations collectives par le personnel militaire, sans que soit suivie une procédure légale en bonne et due forme et sans que soient observés les standards internationaux des droits humains.

Ces réalités accablantes, décrites dans le rapport de visite, traduisent, d’autre part, la préoccupation de la Cidh quant à « l’abandon du système de justice pénale pour les personnes privées de liberté, qui, dans leur majorité, n’ont pas d’avocats ni ne connaissent leur situation juridique, ce qui empêche effectivement leur accès aux garanties et à la protection judiciaires ».

Au regard de la gravité des situations identifiées, la commission interaméricaine des droits humains appelle les autorités nationales à adopter des mesures immédiates liées à la supervision judiciaire de la détention préventive prolongée et la révision de la situation juridique des personnes privées de liberté, en garantissant leur droit à la défense et aux garanties judiciaires.

« Il est également nécessaire de rendre adéquate et d’améliorer l’infrastructure des pénitenciers avec la nécessaire coopération internationale et de créer ou définir des mécanismes de contrôle de la légalité des arrestations », préconise la Cidh.

La visite du 17 au 20 juin 2007, du Rapporteur de la Cidh sur les Droits des personnes privées de liberté dans les Amériques, fait suite à une invitation du gouvernement haïtien.

Les membres de la délégation de la Cidh ont reçu des informations et vérifié la situation des personnes privées de liberté au Pénitencier National, au Commissariat de Delmas, à la Prison des Mineurs de Delmas et à la Prison des Femmes à Pétionville.

Ils se sont également réunis avec le Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, le Chef de Cabinet du Ministre des Affaires Etrangères et des Cultes, le Directeur et les fonctionnaires du Département de l’Administration Pénitentiaire, le Chef de la Section des Droits Humains de la Mission des Nations Unies de Stabilisation en Haïti (Minustah), les représentants du Comité International de la Croix Rouge et des organisations internationales, et les membres de la société civile haïtienne qui travaillent sur les sujets relatifs aux personnes privées de liberté, à la migration et à la traite de personnes.

Considérant que la situation, en juin 2007, des personnes privées de liberté en Haïti est le produit de plusieurs années d’inaction de la part de l’Etat, la délégation de la commision interaméricaine des droits humains tient à réaffirmer son engagement à assurer un suivi approprié et « à poursuivre de plus amples efforts, conjointement avec la communauté internationale, aux fins de contribuer au renforcement des institutions démocratiques haïtiennes, particulièrement en matière d’assistance technique en droits humains ». [rc apr 22/06/2007 12 :00]