Soumis à AlterPresse le 2 juin 2007
Par Fayolle JEAN
Un appel d’Haïti.
À l’autre bout du fil, un cri en écho à la désolation, la voix éraillée d’un neveu qui m’apprend la nouvelle.
François Latour a été assassiné.
Je viens de perdre la notion des choses, tandis que cette voix dans le lointain, tentant de trouver une explication à l’odieux, une raison à l’absurde, se répercute contre ma dévastation, ma douleur, mes souvenirs.
Je n’ai de mots, depuis, que pour balbutier la nouvelle à mon entourage et me répéter plus d’une fois :
Pourquoi ont-ils tué François ?
Qui dit mieux ?
Comme aux enchères.
J’avais cette macabre impression que toutes les têtes pensantes de cette chère Haïti se trouvaient désormais sur une roulette, attendant que la main experte et meurtrière pointe l’une d’entre elles, au gré des conjonctures et fatalement nous ramène à notre réalité de bête en liberté.
Pourquoi ont-ils tué François ?
Lui qui, ayant su se surprendre dans sa quête d’artiste, de créateur, à réhabiliter le mot, à le sortir de sa dimension souvent de spectacle pour lui attribuer une grandeur humaine si juste au terroir, ne saurait trop que dire de cette ultime bêtise.
Qui dit mieux que François ma réalité de comédien ?
Le texte de Camus ! La réplique de Robblès ! Le paradis de Fouché ! Les boulevards de Dorin, de Genet !
Et comprendre la distanciation chez Brecht, avant de s’évertuer aux bras de Papa Sarazin à éviter les pièges de l’obscurantisme, du totalitarisme.
Sa militance fut manifeste lorsqu’il osa mettre en scène le texte de Frankétienne, Pèlen Tèt. Il fallut à vous trois, Frankétienne, François Latour et Roland Dorfeuille, pour ce faire, beaucoup de cran, Messieurs.
Ma rencontre avec François remonte à août 1975.
À l’époque, je me découvrais une vocation d’homme de théâtre et j’apprenais à faire de la radio une profession. C’est dans l’intensité de ces coïncidences que nous allions nous apprécier et nous respecter.
En novembre déjà, je faisais partie de la distribution de Monsieur de Vastey de René Philoctète.
S’ensuivit avec la troupe « Le Théâtre National d’Haïti » le voyage à New York pour deux représentations de la pièce au Barnar College de Columbia University. Jamais en Haïti, une compagnie de théâtre ne regroupait autant de talents : François Latour, Richard Brisson, Jean-Claude Exulien, Madeleine Gardiner, Fritz Valescot, Lys-Mara Fontaine et les chefs décorateurs et costumiers Serge François, Freddy Wiener, Michaël Brudent pour ne citer que ceux-là.
La promenade de plusieurs d’entre nous, dans les rues de Manhattan, avait été une fête de curiosité, car pour plus d’un ce fut une première.
De retour en Haïti, je repris mon micro à Radio Port-au-Prince, mais sans mon mentor qui se trouva obligé d’abandonner son poste de directeur de cette station. J’aimais sa rectitude, son savoir-faire et surtout sa grande générosité intellectuelle.
J’aurai le temps, avant de prendre l’avion pour le Canada en 1979, de créer sous sa direction d’autres personnages dans "L’exception et la règle" et "Adrien VII".
Me voici donc, depuis trente-deux ans, pris dans un engagement de lecture de nos travers et à les illustrer "À la mode de chez nous".
Pourquoi ont-ils tué François ?
Je sais que, des nuits durant, je serai dévasté, troublé par une autre interrogation : comment a-t-il vécu cette mort ?
Entouré uniquement de ses bourreaux, sans un camarade pour le défendre, pour lui dire un mot d’espoir, pour lui remonter son oreiller avec ce petit geste si familier pour qu’il eût souri en s’endormant.
Lui qui avait fait tant d’heureux parmi nous, en habillant nos désarrois de rire et de bonheur, s’est vu partir seul, arraché des siens, vidé de son sang, abandonné sous la pluie, dans la boue, comme un quelconque objet.
Pourquoi ont-ils tué François ?
Haïti ne se sauvera pas, sans mesurer le poids de la perte de chacun de ses fils sacrifiés.
Je t’aimais bien, tu sais.
Fayolle JEAN
Poète / Comédien
Fayolle_cimagequebec@hotmail.com