Par Nancy Roc
Collaboration spéciale
Montréal, 27 mai 07 [AlterPresse] --- Le 17 mai écoulé a eu lieu le lancement de l’ouvrage très attendu du Professeur Samuel Pierre, « Ces Québécois venus d’Haïti – Contribution de la communauté haïtienne à l’édification du Québec moderne ». La cérémonie de lancement s’est déroulée au prestigieux amphithéâtre Ernest-Cormier de l’Université de Montréal et a rassemblé plus d’un millier de personnes venues des quatre coins du Canada mais aussi de la Floride et d’Haïti.
Cet ouvrage a inauguré le programme d’activités prévues pour la célébration du 25ème anniversaire de l’Association des ingénieurs et scientifiques haïtiano-canadiens (AIHC) qui se déroulera jusqu’en octobre. L’AIHC a vu le jour officiellement le 5 octobre 1982 et fêtera donc ses 25 ans d’existence le 5 octobre prochain. Elle souhaite saisir cette opportunité pour mettre en valeur Haïti et ses communautés à travers le monde. « C’est une association qui, malgré son nom, ne fait pas de corporatisme. Nous ne souhaitons pas être des ingénieurs qui n’accordent leur attention qu’à des choses techniques mais nous voulons nous impliquer », a déclaré le Professeur Samuel Pierre à Panos en précisant que c’est cette image de l’ingénieur du XXIème siècle que l’AIHC souhaite projeter.
Un devoir de mémoire et de reconnaissance
- Vue partielle du public
Le projet de l’ouvrage « Ces Québécois venus d’Haïti » a été lancé par l’AIHC, sous la responsabilité du Professeur Samuel Pierre, l’un de ses membres fondateurs et une des personnalités les plus remarquables de la communauté haïtienne au Québec [1]. Titulaire de la Chaire de recherche industrielle en systèmes réseautiques mobiles de prochaines générations à l’École Polytechnique qui est affiliée à l’Université de Montréal, ce distingué professeur émérite a mené de main de maître, en huit mois, le processus d’édition de cet ouvrage collectif. Notons que le choix de Samuel Pierre n’était pas anodin puisqu’il a à son actif plus de 400 publications scientifiques dont 6 livres et 16 ouvrages collectifs. L’ouvrage souligne la contribution de la communauté haïtienne à l’édification du Québec moderne. Huit secteurs ont été considérés : éducation, université et science, santé, ingénierie, culture, affaires sociales et politiques, affaires économiques et sports.
Pour Samuel Pierre, on s’attarde trop souvent dans les médias au Québec aux actes de banditisme d’une minorité d’Haïtiens et le thème choisi pour la célébration du 25ème anniversaire de l’AIHC est « Rendons justice à l’image haïtienne ». « Je ne souhaitais pas que l’ouvrage soit un livre de « Who’s who » sans perspective. On voulait plutôt constituer un bouquet de réalisations collectives qui soit à la fois vivant, illustré, authentique, pouvant servir de source d’inspiration notamment à nos jeunes », a déclaré le Professeur Samuel Pierre à Panos. Cet ouvrage met donc en valeur les membres de cette communauté qui travaillent à l’avancement de leur pays d’adoption depuis des décennies. 52 personnalités ont accepté de partager avec leurs concitoyens leurs expériences et leur regard sur cette société qui est devenue la leur.
L’ouvrage rend un vibrant hommage à ces aînés qui ont laissé leur marque au Québec et remplit un devoir de mémoire envers les futures générations : ces jeunes Haïtiens qui, dans la diaspora comme en Haïti, éprouvent souvent des difficultés face à l’exclusion, la stigmatisation et le racisme. Nul doute qu’ils trouveront dans ce livre une source continue d’inspiration à travers des modèles de détermination, de persévérance, de dépassement de soi et d’excellence. C’est aussi une œuvre qui reconnaît le talent de centaines d’autres personnalités haïtiennes qui y sont également citées sous une forme de condensé d’expérience et de réalisation.
Ainsi, 479 personnes y sont répertoriées. « La liste des personnalités dans ce livre n’est pas exhaustive car de 300 pages, nous en sommes arrivés à 568. En fait il nous en aurait fallu 2000 ! Mais pour des raisons matérielles, nous avons dû faire une sélection. Nous avons donc choisi les fleurs patentes (de cette communauté) pour en faire un bouquet. Le résultat n’est donc pas un amalgame car dans un bouquet on sélectionne les fleurs ; mais il y a plein d’autres et très belles fleurs qui n’y figurent pas », a précisé l’auteur et éditeur. Et de fait, certaines personnes ont été intriguées que la Gouverneure Générale du Canada, Son Excellence Madame Michaëlle Jean, ne figure pas parmi les 52 personnalités auxquelles le livre rend hommage. Toutefois, elle y est citée. « Nous avons tout essayé pour obtenir son autorisation mais sans succès », a déploré l’auteur.
Contribution de la communauté haïtienne à l’édification du Québec moderne
- Adeline Chancy et son fils Bernard
Lors de la soirée de cérémonie du lancement du livre « Ces Québécois venus d’Haïti », le public a pu faire connaissance avec la majorité de ces 52 personnalités (certaines étant décédées ou n’ayant pas pu venir). On citera, entre autres, le feu Max Chancy, qui était représenté pas son épouse, Adeline Chancy, qui a fait le voyage d’Haïti, ou encore Paul Déjean représenté par sa sœur Simone Déjean qui était venue spécialement de la Floride pour cet événement d’envergure.
- Vue partielle des personnalités honorées dans le livre
Toutes ces personnalités ont fait la fierté de tous les Haïtiens et Québécois d’origine haïtienne présents dans la salle. En effet, elles ont toutes participé d’une façon ou d’une autre à la Révolution tranquille du Québec et ont contribué à l’édification du Québec libre d’aujourd’hui.
« Afin de donner un visage à ces pionniers, nous entreprenons dans cet ouvrage de sortir du confort, de l’ombre un contingent de Québécois d’origine haïtienne qui ont contribué de manière significative à l’édification du Québec moderne. (…) Non pas pour paraître, mais pour indiquer la voie à d’autres qui en ont besoin. Non pas pour célébrer sa réussite personnelle, mais pour redonner confiance à d’autres qui n’ont jamais eu la chance d’être exposés à des histoires de succès et de réalisations de soi. Non pas pour se distinguer de ceux qui n’ont pas eu de médailles ou de reconnaissance, mais plutôt pour jouer le rôle de phare et assumer la responsabilité de porteur de lumière à ceux qui sont menacés par les ténèbres », écrit Samuel Pierre dans l’avant-propos du livre.
- Autre vue partielle des ho norés du livre
Dans la plupart des cas, le public a pu constater avec fierté que ces compatriotes avaient non seulement accumulé des maîtrises, des doctorats etc. mais aussi des hommages, des prix prestigieux, des nominations et promotions. « Autant de distinction octroyées sur la base du jugement et de l’appréciation des gens œuvrant dans le secteur considéré », précise Samuel Pierre [2].
Une célébration de l’amitié Québec-Haïti
- Yardly Kavanagh
La soirée de lancement du 19 mai a été animée par l’élégante Yardly Kavanagh, la sœur du célèbre Anthony Kavanagh, comédien Québécois d’origine haïtienne, qui travaille depuis quelques années à Paris en tant que vedette de la télévision française. Cette dernière a séduit le public en tant que « maîtresse » de cérémonie par sa prestance, son éloquence et son sourire des Antilles. Durant cette soirée, l’amitié Québec-Haïti a été également à l’honneur. L’AIHC a profité de l’événement pour honorer aussi des Québécois « de souche » qui ont toujours encouragé l’éclosion de la culture haïtienne. Il s’agit du syndicaliste Gérald Larose, de la journaliste Francine Grimaldi, de Paul Gérin-Lajoie, président fondateur de la Fondation Paul Gérin-Lajoie, et du fondateur et directeur du Réseau Liberté, Réal Barnabé. Quatre jeunes Haïtiennes et Haïtiens s’étant distingués par leur excellence dans leurs études ont remis une plaque de reconnaissance à ces personnalités Québécoises. Espérons que les lecteurs d’Alterpresse seront heureux et fiers de découvrir ces talents prometteurs et porteurs d’avenir. Il s’agit successivement de :
- Gerald Larose et l’étudian te Genevieve Alie
1. Geneviève Ali, étudiante au doctorat en géographie à l’Université de Montréal, dans le cadre de la Chaire de recherche du Canada en dynamique fluviale. Quatre fois boursière de la Fondation canado-haïtienne pour la promotion de l’excellence en éducation(FOCHAPEE), elle a reçu plusieurs autres bourses d’études supérieures d’organismes aussi prestigieux que le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et le Fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies. Geneviève Ali a remis une plaque de reconnaissance à M. Gérald Larose, qui a été président du Conseil Syndical National (CSN) de 1983 à 1999 et est actuellement président du Conseil de la souveraineté du Québec. M. Larose, marié à une Haïtienne est un ardent défenseur de la communauté haïtienne qui le lui rend bien. En effet, il a été accueilli par une salve d’applaudissements.
- Francine Grimaldi et Valer ie Justafort
2. Valérie Danielle Justafort, étudiante en deuxième année de génie électrique à l’École Polytechnique de Montréal. Trois fois boursière de la Fondation canado-haïtienne pour la promotion de l’excellence en éducation (FOCHAPEE), elle a reçu plusieurs autres distinctions dont le Prix Denis-Dussiaume en Philosophie décerné par la Fondation André-Grasset en 2005, le Prix de la meilleure étudiante du programme Sciences de la nature du Collège André-Grasset en 2005, le Prix François Meunier en Mathématiques de l’École Polytechnique en 2007. Elle a remis une plaque de reconnaissance à la flamboyante animatrice culturelle de Radio Canada, Mme Francine Grimaldi, amoureuse assumée de la culture haïtienne depuis des années.
- Real Barnabe et Nicolas Cadet
3. Nicolas Cadet, qui complète ce mois-ci son DEC en sciences de la santé au Collège Champlain à Saint-Lambert et vient d’être admis en pré-médecine à l’Université McGill. Quatre fois boursier de la Fondation canado-haïtienne pour la promotion de l’excellence en éducation (FOCHAPEE), il a reçu plusieurs autres distinctions dont la « Mention sur la liste d’excellence académique du directeur du Collège Champlain » au cours de deux sessions consécutives. Il a remis une plaque de reconnaissance à l’ex journaliste de Radio Canada, fondateur et directeur du Réseau Liberté, Réal Barnabé. Ce Réseau, bien connu des journalistes en Haïti, a notamment pour mandat de former et appuyer la presse indépendante dans les démocraties nouvelles. Réal Barnabé et son épouse ont également adopté deux enfants Haïtiens.
- P.Gerin Lajoie et Sabine D . Pierre
4. Sabine Dauphin-Pierre (la fille du professeur Samuel Pierre) est étudiante en première année de médecine à l’Université de Montréal. Pour l’année académique 2002-2003, elle a reçu « La Médaille académique de la Gouverneure générale » pour le mérite scolaire à l’Élève qui obtient la plus haute moyenne à la fin de ses études secondaires au Pensionnat-du-Saint-Nom-de-Marie. Elle a reçu plusieurs prix et bourses d’excellence du Collège Brébeuf pour sa performance académique et ses qualités de leader, dont le Prix Colette-Staub décerné en 2005. Elle a remis une plaque de reconnaissance à Paul Gérin-Lajoie, fondateur et président de la Fondation Paul-Gérin Lajoie. Cette organisation philanthropique se consacre depuis 1977 à l’éducation de base des enfants démunis et à l’alphabétisation de leurs parents, en Afrique francophone et en Haïti. Paul Gérin-Lajoie est une des personnalités les plus respectées au Québec. Il s’est vu décerner treize doctorats honoris causa par des universités au Canada et à l’étranger. En 2005, dans le cadre de la Journée internationale de la Francophonie, il a reçu un honneur du gouvernement haïtien à titre de personnalité étrangère ayant contribué de manière exceptionnelle au développement d’Haïti dans le secteur de l’éducation. M. Paul Gérin-Lajoie est encore, à 87 ans, un ardent défenseur des enfants démunis et de leur droit à l’éducation et au bien-être. Il a reçu une ovation debout de toute la salle ce soir là.
Et Haïti dans tout cela ?
L’auteur de « Ces Québécois venus d’Haïti » ne pouvait ne pas se poser cette question cruciale lorsque l’on sait que 83% de la matière grise haïtienne contribue à la modernisation et à la croissance économique d’autres pays, alors qu’Haïti s’est enfoncé dans la violence, l’ignorance et la misère. Oui, il faut bien se la poser surtout lorsque l’on constate l’humilité et le génie de tous ces compatriotes figurant dans cet ouvrage et qui constituent une véritable gifle à la récente décision du Sénat de la République de ne pas voter pour la Loi autorisant le retour des cadres de la diaspora au pays !
En effet, pour Samuel Pierre, « la résolution des problèmes de fond du pays passe, de toute évidence, par une mobilisation des Haïtiens eux-mêmes, de l’intérieur comme de l’extérieur, autour d’un projet de développement national axé sur le long terme, mais assorti d’indicateurs permettant d’en mesurer les progrès accomplis et les résultats obtenus périodiquement. Un projet, cependant, qui ne doit pas être l’affaire du seul gouvernement en place – si volontariste soit-il – mais un projet porté par l’ensemble des Haïtiens dans leur détermination collective de fonder cette nation et de travailler de manière responsable à son développement. Un projet, enfin, qui nous libère de cette culture de l’urgence selon laquelle tout doit se faire très vite, sans égard à la qualité et à la durabilité des solutions apportées aux problèmes. Ce n’est qu’autour de ce plan national de développement que devrait s’articuler l’aide internationale, avec toutes les garanties de gestion rigoureuse et de bonne gouvernance axées sur des résultats concrets. La condition préalable à la mise en œuvre d’un tel plan demeure toutefois le retour à un certain niveau de sécurité et de paix sociale qui consacre l’établissement progressif d’un état de droit fondé sur la justice et le respect de la loi. Voilà donc un premier défi, sinon le seul à court terme, qui se pose à l’actuel gouvernement et qui conditionne tout le reste, dans la perspective d’un nouveau départ. [3] »
Dans l’avant-propos de « Ces Québécois venus d’Haïti », l’auteur souligne qu’il est malencontreux que le climat politique du pays et « une gouvernance dénuée de toute sagesse » aient contribué à l’exode de ces élites qui ont vite été récupérées par la société québécoise qui en avait bien besoin à un moment de son histoire. Ainsi, « le malheur des uns fait le bonheur des autres », écrit-il. En effet, c’est aussi avec une grande tristesse que le lecteur découvrira dans cet ouvrage tous ces cerveaux qui auraient pu contribuer à l’édification d’une Haïti moderne si notre pays n’avait pas été gouverné depuis tant d’années par des autorités irresponsables, sanguinaires et corrompues, qui ont œuvré contre l’avancement d’un peuple et de sa patrie.
Pour finir, retenons l’appel de Samuel Pierre et du Québécois Paul Gérin-Lajoie [4]. Le premier souligne dans son avant-propos, qu’il est nécessaire aujourd’hui, dans une perspective humaniste, de contribuer à la « solidarité envers les peuples dont le malheur a fait le bonheur des autres » [5]. Comment y parvenir ? En assurant l’éducation de base de tous les enfants d’Haïti grâce notamment à l’aide du Québec et du Canada, d’où le bien-fondé qui conclut le message de Paul Gérin-Lajoie dans cet ouvrage : « Je voudrais (…) rappeler ce qui est pour moi une conviction profonde : le Québec d’aujourd’hui est ce qu’il est, c’est-à-dire un État moderne, ouvert, dynamique, grâce, notamment, à l’apport de plusieurs générations d’enseignants canado-haïtiens qui ont cru que l’éducation est une valeur universelle et qui, à l’instar de Jacques Delors, président de la Commission internationale de l’éducation pour le vingt et unième siècle, sont persuadés que « l’éducation (est) un trésor caché en-dedans ». (…) Je souhaite fortement que le Québec, le Canada et toute la communauté internationale augmentent considérablement leur appui au développement de l’éducation sur place en Haïti, pour aider le pays à connaître l’essor dont il a besoin. » [6] [nr gp apr 27/05/07 17:00]
Contact : rocprodz@yahoo.fr
[1] Samuel Pierre a enseigné dans plusieurs universités québécoises et internationales parmi lesquelles l’Université du Québec à Montréal (UQAM), l’université Paris-7, l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne en Suisse. Il est actuellement professeur titulaire au Département de génie informatique de l’École Polytechnique de Montréal où il dirige le Laboratoire de recherche en réseautique et informatique mobile (LARIM) et le Groupe de recherche en réseautique et informatique mobile (GRIM). Il est également titulaire de la Chaire de recherche industrielle CRSNG/Ericsson en systèmes réseautiques mobiles de prochaines générations.
[2] Samuel Pierre, Ces Québécois venus d’Haïti, École Polytechnique de Montréal, 2007, pages 10 et 11
[3] Samuel Pierre, extrait d’une vidéoconférence de l’École Polytechnique de Montréal donnée à l’Hôtel Montana à Port-au-Prince, au mois d’avril 2006.
[4] Paul Gérin-Lajoie est le président-fondateur et président du conseil d’administration de la Fondation Paul Gérin-Lajoie. Cette organisation philanthropique se consacre depuis 1977 à l’éducation de base des enfants démunis en Haïti et à l’alphabétisation de leurs parents.
[5] Samuel Pierre, Ces Québécois venus d’Haïti, École Polytechnique de Montréal, 2007, page 13.
[6] Ibid. page 26