Paris, 21 mai 07 [AlterPresse] --- Des dominicains, haïtiens, français, militants de droits humains, intéressés aux bonnes relations entre Haïti et la République Dominicaine, sont restés, le vendredi 18 mai 2007, pendant plus d’une heure devant le ciné MK2 Parnasse, au centre de Paris après la dernière projection en relation aux événements « Esclaves au Paradis ». (En logo, la jeune photographe française, Céline Anaya Gauthier, auteur des photos de l’exposition)
Ces dominicains, haïtiens et français ont échangé autour de la situation des coupeurs de canne haïtiens en République Dominicaine et des activités publiques qui ont lieu en Europe autour de cette réalité, a constaté l’agence en ligne AlterPresse.
Cette image contrastait avec celle que voulait projeter un autre groupe qui entendait faire croire que tous ces événements étaient organisés dans le but de « dénigrer la République Dominicaine et du même coup s’attaquer à son peuple ».
Quelques heures avant la projection, les propriétaires du ciné ont reçu un appel téléphonique leur demandant de renoncer à louer la salle, sinon ils feront face à une plainte en justice. Ces intimidations et bien d’autres encore n’ont pas fait reculer les organisateurs des événements qui ont réalisé leur programmation, comme prévu.
Pour cette dernière soirée, une certaine tension et de la nervosité étaient observées dans la salle, notamment de la part d’un groupe de Dominicains et d’alliés venus visiblement contester le film « The Price of Sugar » qui pointe du doigt la responsabilité d’une richissime famille en République Dominicaine, les VICINI, dans l’exploitation des coupeurs de canne haïtiens qui travaillent dans leurs plantations.
- La cubano-américaine Amy Serrano, réalisatrice de Sugar Babies
« The Price of Sugar » met également en évidence le travail du Père Christopher Hartley, un prêtre anglo-espagnol qui a travaillé dans les bateyes de San Jose de Los Llanos (Est de la République Dominicaine) appartenant aux VICINI, et qui a été forcé de laisser le pays, pour avoir osé dénoncer cet état de fait.
Le groupe de Dominicains a été déçu d’apprendre que le film tant attendu avait été projeté la veille, contrairement à ce qui avait été planifié, en raison de difficultés techniques avec un autre film annoncé. Plusieurs se sont retirés et n’ont pas attendu la fin de la séance.
Au cours de cette semaine d’activités autour des événements « Esclaves au Paradis », trois films, dont deux de long métrage ont été projetés à la salle MK2 Parnasse, en présence de leurs réalisateurs. Il s’agit du film « The Price of Sugar = Le prix du sucre », du réalisateur américain Bill Haney, « Sugar Babies »= Enfants de la canne », de la cubano-américaine Amy Serrano et d’un documentaire réalisé par la chaîne télévisée RFO.
Pour chaque soirée, les projections ont été suivies de débats avec les réalisateurs.
Tout comme la veille, le débat du vendredi 18 mai a été serein, sans passions, et s’est tenu dans une atmosphère empreinte de respect et de civilité. Les intervenants se sont questionnés sur la responsabilité des deux pays dans la perpétuation de cette réalité et ont dénoncé la politique du silence qui veut cacher cette situation en faisant sortir les témoins et en s’attaquant à toutes celles et tous ceux qui osent soulever le voile.
« Loin de nous fermer les yeux en faisant comme si cette réalité n’existe pas, Haïtiens et Dominicains, nous avons le devoir de dialoguer et d’agir pour changer les choses. Le déni n’est pas une solution, il ne fait que différer le problème et aggraver les conflits. Celles et ceux qui ouvrent nos yeux sur cette réalité, qui préparent des rapports, des photos, des documentaires et qui nous les présentent, ce sont ceux-là qui travaillent pour la paix sur l’île », a dit en substance une Haïtienne dans un intervention.
Elle en a profité pour saluer les Dominicains et Haïtiens qui oeuvrent à faire respecter les droits des travailleurs haïtiens en République Dominicaine et aussi les droits de tous les Dominicaines et Dominicains confrontés à la pauvreté.
Les réalisateurs des films, faisant l’objet de menaces de plaintes pour diffamation, ont répondu aux questions de l’assistance et ont exprimé les raisons ayant motivé leur implication dans la production de ces documentaires.
« En tant que cubaine, je me suis sentie interpellée en apprenant comment les Franjul (qui sont aussi des cubains) exploitaient des travailleurs dans leurs plantations. J’ai décidé d’aller voir de mes yeux et j’ai réalisé ce film pour témoigner », a déclaré Amy Serrano, réalisatrice de « Sugar Babies » qui a mis plus de deux ans pour faire le film.
Les Franjul, propriétaires de la Centrale Romana, l’une des plus grandes sucreries de la République Dominicaine, sont également propriétaires de grands complexes touristiques dans ce pays, dont « Casa del Campo », où plusieurs présidents américains et vedettes internationales viennent régulièrement passer des vacances. Les Franjul sont également propriétaires de grandes sucreries en Floride et sont actuellement dénoncés pour la même raison dans un autre film intitulé « L’empire du Sucre ».
Selon les réalisateurs, la projection de ces films est déjà programmée dans plusieurs villes américaines, tandis que l’exposition photos « Esclaves au Paradis » se poursuit à Paris jusqu’au 15 juin 2007.
Ces événements, dans le cadre desquels se sont tenus le colloque « Sang, Sucre et Sueur », des projections et des conférences-débats en province (en France), ont donné lieu à toute une polémique en République Dominicaine, notamment de la part du secteur politique. Le Parlement dominicain a même voté une résolution condamnant ces activités et a porté plainte par-devant l’ambassade de France à Santo Domingo.
A Paris, une personne appartenant à une organisation dénommée FADOM, a dit avoir passé une semaine en République Dominicaine pour produire un document et une CD avec des images contredisant des témoins qui ont vécu plusieurs années dans les bateyes et les documentaires de cinéastes qui ont été préparés après plusieurs mois d’enregistrements. Ces documents ont été systématiquement distribués au colloque et à chaque projection.
A noter que la famille VICINI avait fait venir, des bateyes jusqu’à la capitale française, deux Haïtiens pour apporter un contre-témoignage contre le Père Christopher Hartley, notamment autour du dossier d’un cimetière clandestin découvert dans les bateyes de San Jose de Los Llanos. Finalement, ces Haïtiens ont dû admettre que le cimetière en question avait bel et bien existé, mais qu’il était aujourd’hui désaffecté.
Les événements « Esclaves au Paradis » ont été organisés par un ensemble d’organisations, parmi elles « Pour que L’Esprit Vive » qui choisit la photographie sociale comme médium de sensibilisation sur un ensemble de sujets dans le monde qu’on tend à oublier, le Collectif Haïti 2004 Images, le Collectif Haïti de France et Amnistie Internationale, laquelle vient de publier un rapport sur la situation des immigrants haïtiens et de leurs descendants en République Dominicaine. [cl rc apr 21/05/2007 3:24]