P-au-P, 16 Juil. 03--- [AlterPresse] --- Radio Rotation FM, la seule station qui émettait dans la ville frontalière de Belladère, à environ une centaine de kilomètres au nord-est de Port-au-Prince, a suspendu sine die ses émissions, le samedi 12 juillet 2003, face aux menaces reçues par la station à la suite de la diffusion d’informations la veille sur les attributions de la municipalité et sur la gestion des fonds communaux.
"Des lors que Rotation FM donne la parole aux victimes d’actes de violations de droits humains, elle fait automatiquement l’objet de pressions de la part d’autorités locales, de la police et des OP (partisans lavalas). Nous voulons aujourd’hui dénoncer ces menaces et pressions qui ont provoqué du stress parmi les membres de la station", a indiqué le journaliste Amos Duboisran dans une conférence de presse donnée le 15 juillet dans la
capitale haïtienne en compagnie de deux autres collègues de la station.
Raynald Lubérus, qui animait le programme du 11 juillet sur Rotation FM, a un délai d’une semaine pour "s’effacer" de la ville de Belladère s’il ne veut pas recevoir une récompense "plus forte" que celle remise à Brignol Lindor, le directeur d’information de Radio Echo 2000 assassiné par des membres de l’organisation "Domi Nan bwa" le 3 décembre 2001 à Petit-Goave, à 68 kilomètres au sud de Port-au-Prince.
Cet ultimatum a été adressé dans une lettre manuscrite non signée déposée dans une enveloppe aux abords du domicile du confrère le 12 juillet dernier, ont révélé les conférenciers.
Le 30 avril 2003, Raynald Lubérus a été gardé à vue pendant 8 heures d’horloge au commissariat de Belladère, parce qu’il avait réalisé une interview avec un citoyen prénommé Joel auparavant battu, à l’aide de serviettes mouillées remplies de pierres, par des agents de la Compagnie d’Intervention et de Maintien de l’Ordre (CIMO, unité spécialisée de la Police Nationale d’Haïti).
Le 9 août 2002, Luberus Raynald et Claude François de Radio Rotation FM avaient reçu une bastonnade des mains de policiers, parce qu’ils avaient refusé de remettre, à la Brigade Anti-Criminelle (conduite par le directeur central de la police judiciaire d’alors Jeannot François), une cassette d’interview accordée à des anciens militaires armés, basés dans le village de Pernal, proche de Belladère.
"Si un journaliste accepte de mourir à trente ans, c’est parce qu’il s’ennuie à cet âge ; quelqu’un qui s’avise de devenir ennemi de la Police recherche vraiment la mort", eut à déclarer un policier dans une salle publique de Belladère où se trouvaient des journalistes de Rotation FM, ont rapporté les conférenciers de la station.
"Aucun média du pays n’a de correspondant à Belladère. C’est la guerre déclarée à Belladère entre des groupes d’anciens militaires qui affrontent la Police à coups d’armes à feu, entre des assaillants et des anti-assaillants appelés faucons, formés eux aussi d’anciens militaires. La population, qui est aux abois, vit une situation de couvre-feu non déclaré dès 8:00 pm", ont ajouté les membres de Rotation FM.
Chaque fois que les rumeurs évoquent l’arrivée imminente de la Force de Protection des Citoyens (FPC), c’est la panique chez la population qui prend peur également au moment des opérations "coup de poing" de la Police nationale. La FPC a affirmé publiquement être en train d’organiser une guérilla contre le régime lavalas.
Les représentants de Rotation FM, qui intervenaient dans la conférence de presse du 15 juillet, ont tenu à préciser qu’ils ne sont pas en mesure de révéler toutes les informations dont ils disposent "pour ne pas froisser certaines susceptibilités".
L’équipe de la station de Belladère, disent-ils, se trouve confrontée aux assauts d’autorités locales confondues avec des militants de base du parti au pouvoir et des groupes paramilitaires qui n’apprécient pas du tout le rapport des faits diffusés sur Rotation FM.
Cependant, les représentants de la station de Belladère ont signalé avoir relaté sur les ondes un certain nombre d’arrestations arbitraires, une opération de vente de carburant enregistrée en mars 2003 au commissariat de Belladère ainsi que les modes douteux de la gestion des redevances des contribuables par les agents du conseil municipal de Belladère.
"De nombreuses gens ont établi des groupes d’intérêts dénommés syndicats pour amasser fortune sur le dos des contribuables de la ville. A tout moment, le calme apparent constaté à Belladère peut rapidement se transformer en une situation de vive tension. Par ailleurs, bon nombre de gens dits assassinés ont été victimes de règlements de compte personnels ou de causes banales", ont-ils fait savoir.
Drogue ? La frontière de Belladère avec Carrizal (République Dominicaine) est assimilée à une zone-passoire par où transitent différents types de marchandises. C’est toute une histoire qu’a connue Belladère depuis le 28 juillet 2001, en passant par le 17 décembre 2001, deux dates correspondant à ce que le régime lavalas a qualifié de tentative de coup d’état.
Pour les membres de Rotation FM qui avaient déjà suspendu les émissions d’informations depuis le 25 février 2003 (quand les anciens militaires avaient quadrillé la ville), Belladère fait face à un vrai problème de communication, d’autant que les signaux des stations de la capitale n’arrivent pas dans la ville, où les parents ne veulent pas que leurs
enfants embrassent l’exercice du métier de journaliste. [rc apr 16/07/2003 10 :00]