Analyse
Par Alain St.-Victor
Montréal, 8 mai. 07 [AlterPresse] --- Plus de 85% des électeurs français on participé aux élections présidentielles au deuxième tour (84,7% au premier tour). À première vue, ce taux de participation jamais vu depuis 1965 peut faire croire en un mouvement de foi renouvelée dans la démocratie représentative et aussi en la possibilité d’un changement réel par les élections.
Paradoxalement, il n’y a pas longtemps certains analystes constataient un fort taux d’abstention aux élections et tentaient de l’expliquer en mettant en exergue la mondialisation qui dépolitise, créant une pensée unique qui évacue toutes formes d’alternatives (taxées d’utopiques) aux programmes néolibéraux.
Le citoyen se désintéressait de la politique, disait-on, parce qu’il la considérait comme hors de sa portée, qu’il n’avait aucune prise sur elle, que les problèmes sociaux (reflétant une politique sociale) lui paraissait si complexe qu’il en reléguait l’explication uniquement aux « experts ». Pour la majorité, la politique devenait de plus en plus un « hors champ ».
Il faut, bien sûr, ajouter que, particulièrement durant ces quinze dernières années, les programmes mis en avant par les différents candidats - de droite comme de gauche – sont pour l’essentiel restés lettres mortes et que de manière générale, depuis mai 1968, la politique française a évolué dans le sens d’une activité routinière à l’américaine.
La montée de Sarkozy au pouvoir avec 53% des votes et surtout cette croissance spectaculaire du taux de participation sont-elles le signe d’un changement de perception de la politique chez les Français ? Pour Annie Collovald, s’il est vrai que ce changement de perception existe, il est moins le résultat d’une campagne électorale axée sur les programmes politiques clairement définis, qu’une utilisation d’« acteurs de plus en plus déterminants en politique (instituts de sondage, presse, patronat). » La politique est repensée « au profit des choix tactiques et des calculs électoraux… La nouveauté tient à l’affichage public de ces calculs, lequel, en faisant passer sur le devant de la scène électorale les coulisses des transactions, lève un certain nombre de censures sur ce qu’il est possible et pensable de dire en politique [1] ».
Pour Collovald, les slogans tenaient lieu d’arguments, et par un paradoxe étrange « quand des idées substantielles ont été affirmées, elles le furent moins pour les questions de société qu’elles soulevaient que pour les profits qu’elles laissaient espérer. [2] »
Cette façon de « vider » la politique d’idées substantielles n’est pas nouvelle. Elle a cours aux Etats-Unis depuis des décennies. En France elle est devenue pendant la campagne une méthode efficace, prenant la forme d’un certain pragmatisme : les faits doivent être dits tels qu’ils sont. Le discours sarkozyste exploite à fond ce pragmatisme en reprenant à son compte une pensée réductrice à la limite du manichéisme. On voit ce discours à l’œuvre particulièrement dans la question de l’antirepentance, où le passé colonial français est repensé en termes presque freudiens de culpabilité et de non-culpabilité : il n’est plus question de comprendre ce passé et de l’assumer dans sa vérité historique, mais de l’instrumentaliser et le transformer en sentiments de fierté et d’identité nationale.
Mais là encore le discours sarkoziste n’offre rien de nouveau. À la fin du XIXe siècle, Maurice Barrès, écrivain antisémite et xénophobe, prenait pour cible les « étrangers » en exaltant l’identité nationale. Barrès élabore son « programme » à une époque « où la question de l’immigration commence à être présentée par la droite comme le principal « problème » de la vie politique française. [3] »
Ce programme conçu pour mettre en garde contre le « danger » de l’immigration n’est donc pas nouveau, et même si l’analyse d’autres thèmes pour comprendre le discours sarkoziste (ce qu’il met de l’avant et qui le constitue en tant que tel pour pouvoir mieux dissimuler l’objectif réel : renforcer le pouvoir du patronat et mater toutes formes de rébellion), en particulier l’amalgame dans la récupération des traditions historiques de gauche et de droite, il en demeure que le sentiment nationaliste (axé essentiellement sur la xénophobie) exalté par Sarkozy reste le thème central pour plusieurs de ses partisans.
Mais, de façon générale, il reste à comprendre pourquoi ce populisme à la Sarkozy (semblable par sa nature et son discours à d’autres populismes à la mode dans le monde occidental) fait une telle percée actuellement en France. Comme l’explique Alexandre Dorna « …le populisme n’émerge pas ex nihilo,…il est associé à une situation de crise de société et à la présence d’un syndrome de désenchantement.
L’immobilisme des élites au pouvoir entraîne le statu quo politique. La croyance en la nation se fissure. L’avenir provoque la peur. Le doute se transforme en silence complice, et un individualisme aussi étroit qu’abstrait remplace le civisme enthousiaste des individus concrets. [4] » [asv gp apr 08/05/2007 08:30]
[1] Annie Collovald, Curieux « printemps de la démocratie »…, Le Monde diplomatique, Mai 2007
[2] Ibid.
[3] Lire sur le site http://cvuh.free.fr l’histoire par Nicolas Sarkozy : le rêve passéiste d’un futur national-libéral
[4] Alexandre Dorna, Le Populisme, PUF, Paris, 1999