Par Wooldy Edson Louidor
P-au-P, 30 avril 07 [AlterPresse] --- À l’échelle internationale, la pauvreté est présentée de plus en plus comme l’une des principales caractéristiques d’Haïti. Pourtant, à l’intérieur du pays, elle semble ne pas être vue comme un problème de toutes les Haïtiennes et de tous les Haïtiens, encore moins comme un défi « national » à relever, suivant les données rassemblées par l’agence en ligne AlterPresse.
La préparation du Document de la stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (DSNCRP), dont le lancement a été fait jeudi 12 avril 2007 par l’administration du président René Garcia Préval et du premier ministre Jacques Édouard Alexis, devrait se convertir en une opportunité pour créer un débat démocratique et participatif dans tout le pays autour de la stratégie de lutte contre la pauvreté.
De tristes étiquettes collées à Haïti sur le plan international
Les différentes études réalisées en Haïti par des institutions financières, des centres de recherche et autres organismes spécialisés aux niveaux national et international, projettent des données très préoccupantes et alarmantes sur l’ampleur, l’incidence et le caractère de plus en plus massif de la pauvreté dans le pays.
En dépit du manque d’études, signalé par certains spécialistes, sur la pauvreté en Haïti, beaucoup de recherches ont été réalisées, ces dernières années, sur ce thème, à partir de différents indicateurs (indicateurs de production et de revenu, indicateurs monétaires de bien-être, indicateurs de développement humain...), niveaux d’analyses (micro-économique et macro-économique), aspects de la problématique (monétaire et non monétaire), méthodologies (quantitative et qualitative), etc.
Les données recueillies par la plupart de ces études contribuent, en grande partie, à justifier de tristes étiquettes collées à Haïti sur le plan international.
Voici quelques-unes de ces étiquettes :
« Haïti est, depuis près d’un siècle, connu comme le pays le plus pauvre du continent américain », souligne un document publié en 2005 par la Commission Économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL) et intitulé « La pauvreté en Haïti : situation, causes et politiques de sortie ».
Haïti est l’un des pays les plus sous-développés au monde, « classé 153e sur 177 pays » (PNUD, 2005).
« 55% de la population haïtienne vit avec moins d’un dollar per capita par jour, pendant que 76% vit avec moins de 2 dollars per capita par jour » (MEF-PNUD-FAFO, 2003).
Haïti est « le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental et l’un des pays les plus pauvres du monde en développement » (Banque Mondiale, 1998).
En outre, l’affreux spectacle qu’offre le pays suffit souvent à corroborer le bien-fondé de ces étiquettes.
Faut-il citer le manque, le délabrement ou la quasi-inexistence des infrastructures (routes, électricité, système de transports en commun...) et des services sociaux de base (eau potable, santé, éducation...) ; la misère massive, l’amoncellement des immondices dans certaines zones, la multiplication de taudis dans les villes et d’une cohorte de mendiants, de chômeurs déguisés ...
Le DSCRP : une alternative proposée aux pays pauvres, dont Haïti
Suite à leurs réunions annuelles en septembre 1999, la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI) ont recommandé aux gouvernements des pays à faible revenu d’élaborer le Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), à partir d’un dialogue national et d’un processus participatif, en vue de mettre sur pied des stratégies destinées à « assurer un lien entre les actions de ces gouvernements, les concours des bailleurs de fonds et les objectifs du Millénaire pour le Développement de l’Organisation des Nations Unies (ONU) visant à réduire de moitié la pauvreté entre 1990 et 2015 ».
Haïti est comptée parmi les pays qui devaient rentrer dans le processus de rédaction de leur DSCRP, dispositif visant à leur servir comme « base des opérations de prêts concessionnels et d’allègement de la dette » de la BM et du FMI dans le cadre de l’initiative en faveur des pays très endettés (PTE).
À la fin du mois d’août 2005, 49 pays ont communiqué leur DSRP au Conseil d’administration du FMI, « tandis que 11 autres pays avaient élaboré des DSRP préliminaires (ou intérimaires) ».
Dans le cas d’Haïti, en raison de la crise politique qu’a connue le pays au début du nouveau millénaire - à la fin du premier mandat (1996 – 2001) de René García Préval et dans les 3 années (2001 – 2004) qu’a durées la deuxième version de la présidence de Jean-Bertrand Aristide) - et de ses incidences sur la dégradation de la situation économique (que le régime de transition devait redresser pendant deux années, de 2004 à 2006), ce n’est que jusqu’en septembre 2006 que l’administration de René Préval et de Jacques Édouard Alexis a finalisé la Stratégie intérimaire de réduction de la pauvreté (DSRP-I).
Cependant, la préparation du Document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (DSNCRP), qui doit suivre le DRSP-I, a été annoncée, seulement depuis deux semaines (jeudi 12 avril), par le ministre haïtien de la Planification et de la Coopération externe, Jean Max Bellerive.
Au cours de l’annonce, le fonctionnaire a souligné que des éléments de réflexions ont déjà été soumis « aux acteurs éparpillés sur le terrain, notamment des cadres départementaux des ministères, des autorités législatives, municipales et locales et d’autres acteurs oeuvrant dans des domaines variés ».
Nécessité d’un débat national
Au-delà de multiples questionnements et doutes suscités par sa méthodologie et sa démarche, le processus de préparation du DSNCRP pourrait représenter une grande opportunité pour créer, en Haïti, un vrai débat démocratique et participatif autour de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté.
Pour ce faire, le gouvernement actuel devrait prendre des dispositions visant à inclure dans ce débat toutes les citoyennes et tous les citoyens des organisations de la société, du moins toutes les actrices et tous les acteurs, y compris de secteurs importants de la vie nationale.
Les autorités nationales sont appelées à relever le défi d’encourager la participation de la population (dont la majorité est affectée par la pauvreté) dans tout le processus de préparation du DSNCRP, depuis la phase préparatoire jusqu’à l’élaboration du document en passant par la conception de la démarche.
Dans la phase préparatoire, il faudrait, non seulement mener dans les régions du pays des études, dont les résultats apporteront sûrement des connaissances sur la réalité de la pauvreté, mais aussi créer des mécanismes clairs et efficaces pour informer et sensibiliser les citoyennes et citoyens et pour faciliter leur participation dans les phases ultérieures.
En plus de ces efforts de mobilisation pour inclure et faire participer toutes les couches de la société dans le processus d’élaboration du DSNCRP, le gouvernement devrait aussi éviter de montrer, par son attitude, ses discours ou ses actions, que son intérêt principal est d’accomplir rapidement un devoir imposé par le FMI et la BM en vue d’avoir accès, le plus vite possible, au programme d’allègement de la dette et de prêts concessionnels de ces deux institutions financières internationales.
Dialogue et coopération entre gouvernants et gouvernés
L’histoire nationale haïtienne est marquée par l’adoption de stratégies de lutte contre la pauvreté, constituées de programmes de court terme, sectoriels, partiels et parfois partiaux.
La préparation du DSNCRP devrait offrir au pays l’occasion d’établir un plan de développement et une stratégie de lutte contre la pauvreté, basés sur des politiques publiques (sociales, économiques...) à long terme, efficaces (pouvant contribuer à résoudre les grands maux du pays, dont la pauvreté), intégrales (tenant compte de l’aspect multi-dimensionnel de la pauvreté) et inclusives (impliquant tous les secteurs de la société).
Le gouvernement actuel devrait saisir cette opportunité pour créer des canaux aux niveaux local, départemental et national permettant aux Haïtiennes et Haïtiens de participer dans le débat et dans des espaces de prise de décision autour d’un problème qui les concerne et les affecte toutes et tous.
Les citoyennes et citoyens devraient être conviés à faire valoir leurs droits de manière active, par des propositions, dans le dialogue et la coopération transparente sur des actions et politiques publiques (à construire et à mettre en œuvre), en vue de bâtir une Haïti libérée du drame de la pauvreté et de « tristes » étiquettes qui lui sont rattachées sur le plan international. [wel rc apr 30/04/2007 0 :00]