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Haïti : La disponibilité énergétique, élément-clé pour la transformation du pays

Organisations et mouvements sociaux d’Amérique du Sud manifestent une opposition catégorique à un projet de construction d’un mega-gazoduc (du Sud) d´interconnexion énergétique de 8000 km, passant par l’Amazonie….

Par Marc Antoine Archer (1)

Soumis à AlterPresse le 24 avril 2007

« Ceux qui ont le privilège de savoir ont le devoir de réagir. » Albert Einstein

Vous vous rendez sûrement compte que nous nous retrouvons actuellement à un tournant décisif de l’histoire énergétique de la Planète. Les ressources énergétiques existantes, prouvées ou estimées, indépendamment de leur importance quantitative, se trouvent soumises à des contraintes de plus en plus fortes.

Les conséquences de la surconsommation énergétique de la société moderne, que l‘on croyait inexistantes et/ou très lointaines, prennent une dimension nouvelle donnant ainsi naissance à de nouveaux paramètres qui modulent les interrelations entre l’être humain, l’habitat, les ressources naturelles, le patrimoine culturel et les éléments idéologiques. Cela crée de nouvelles préoccupations, présentant de sérieux défis et provoquant de graves problèmes pour lesquels la société moderne ne dispose d’aucune solution, immédiate.

Un contexte de contraintes et problèmes graves

Parmi les contraintes, nous pouvons citer :

-  Les problèmes créés par la localisation des gisements, la facilité d’extraction, la qualité des combustibles ;
-  Les conflits existants dans les zones d’approvisionnement ;
-  L’instabilité politique dans les zones d’approvisionnement ;
-  La pression sociale de plus en plus forte sur l’utilisation des combustibles fossiles et fissiles ;
-  Le nombre sans cesse croissant de « Sinistrés Énergétiques » ;
-  L’obligation de disposer d’une énergie propre, fiable, abordable, afin de réduire le taux de pauvreté, améliorer les conditions de vie et faciliter l’accès à des services énergétiques à un plus grand nombre d’individus.

Parmi les problèmes, graves, nous pouvons citer :

- Le changement climatique, le réchauffement global ;
- La réduction de la couche d’ozone ;
- La perte de biodiversité ;
- La pollution des mers, des océans ;
- La réduction des ressources hydriques et la mauvaise utilisation de la ressource ;
- La désertification causée par : l’utilisation inadéquate des sols ; les pressions sur les ressources ligneuses ;
- La dégradation des terres à usage agricole ou forestier et les approches de plus en plus mesquines qui se font de l’agriculture énergétique ;
- Les problèmes généraux d’assainissement ;
- Les problèmes d’accès à un logement digne et les conséquences de la pauvreté de plus en plus grave de plus en plus d’individus ;
- Les problèmes d’accès à l’énergie en général et à l’électricité en particulier pour des millions d’individus ;
- Les pressions sur les ressources fossiles et autres ressources énergétiques non renouvelables ;
- Les ponctions, agressives, indiscriminées, sur les ressources ligneuses et autres ressources renouvelables entravant leur mécanisme de renouvellement ;
- La vision biaisée de « l’agriculture énergétique » et les dysfonctionnements qui peuvent en découler ;
- La spéculation dans les marchés de l’énergie.

Les enjeux pour Haïti

Si nous voulons survivre, ces nouveaux défis, les contraintes existantes, devront générer de nouvelles attitudes, faciliter le développement de nouveaux comportements ainsi que l’émergence de nouvelles valeurs, à partir des notions de solidarité mutuelle, de la prudence dans les décisions, de l’éthique personnelle et institutionnelle, de la sobriété, aussi bien chez les riches que chez les pauvres.

Cela voudra donc dire une consommation responsable des biens naturels, une gestion cohérente, adaptée et guidée par la prudence face aux problèmes environnementaux, locaux et globaux.

Dans le cas d’Haïti, si l’on tient compte du cadre restreint que constitue l’espace haïtien, on ne peut que se sentir impuissant. L’ampleur de la tâche est surprenante. L’enjeu est de taille.

En plus, certains, et ils sont nombreux, croient qu’il va être impossible de trouver des fonds, en quantité suffisante pour changer la situation. On n’a peut-être qu’à abandonner et suivre le conseil d’un écrivain espagnol, Jorge Riechmann, qui, en 1992, disait d’Haïti qu’il était « … l’un des pays les plus dégradés de la Planète et, ayant dépassé sa capacité de sustentation, il ne reste qu’une seule solution, l’émigration massive des Haïtiens ». Ce qui peut causer la joie de ceux qui ont choisi la démission complète, la mise sous tutelle. Enfin.

Voilà le contexte dans lequel se produit une série de faits intéressants :

-  Le Venezuela décide de fournir une aide importante à Haïti sous la forme de vente subventionnée de produits pétroliers raffinés ;
-  Le Président Hugo Chavez, suite à une visite à Haïti, décide de faire don au pays de plusieurs centrales électriques, à l’énergie fossile ;
-  Les Etats-Unis d’Amérique, l’un des principaux bailleurs de fonds d’Haïti, décident de faciliter, en Haïti, la production accélérée et subventionnée, d’éthanol, pour l’exportation ;
-  Le Brésil, qui commence à assumer le rôle de leader, dans l’Amérique non anglophone, décide de s’intéresser à aider Haïti sur plusieurs fronts (participation à la Mission des nations unies de stabilisation en Haïti - MINUSTAH – ; construction des usines de fabrication de l’éthanol,etc.)

Il y a de ces actions, qui, soumises à une analyse profonde, semblent correspondre à ce que John le Carré, dans « Le jardinier fidèle », a surnommé la « PHILANTHROPOPHAGIE ».

Comment dire non à des fonds qui peuvent servir de moteur de transformation du pays ?

« A caballo regalado, no le mires el dentado » (Si tu reçois un cheval en cadeau, ne sois pas trop exigeant avec la denture), dit-on en Espagne.

Cependant, dans ce contexte, et pour insister sur les précautions à prendre, je préfère le proverbe suivant : « Cuando la limosna es grande, hasta el santo desconfía » (Si l’aumône est trop grande, même le Saint s’en méfie). Qu’en pensez-vous ?

Revenons au fil de notre développement. Dans le rapport 439 du Sénat Français, vieux déjà de sept ans, nous pouvons lire :

L’énergie est un bien vital et stratégique : L’énergie n’est pas un bien comme un autre, pouvant purement et simplement faire l’objet d’échanges banalisés entre acteurs économiques, à l’abri du regard lointain et totalement désintéressé des pouvoirs publics. Il s’agit en réalité d’un bien nécessaire à tout développement économique et, par là même, stratégique pour tout pays, ou tout groupe humain : la guerre du feu fait partie de l’imagerie populaire, mais également de l’histoire de nos civilisations les plus anciennes.

L’énergie, Condition essentielle du développement économique : L’énergie est indispensable à l’exercice de toute activité humaine. Elle est précieuse, dans la mesure où elle est nécessaire à la satisfaction de l’ensemble des besoins de la société (alimentation, production industrielle, confort, éducation, santé, mobilité, loisirs...).

L’énergie, Fondement de la stratégie des États : « un pays sans énergie est un pays sans avenir. » Ceci explique la stratégie de nombre d’États tendant :

- Pour les uns, à faire pression sur leurs partenaires et clients pour les maintenir sous une certaine tutelle économique, voire politique, en maniant les quantités et les prix des approvisionnements en combustibles fossiles. La Russie, après l’URSS, n’use-t-elle pas largement de ce type de pression à l’égard de ses voisins ? Songeons à l’Ukraine ou à la Biélorussie, par exemple ;

- Pour les autres, à s’assurer la maîtrise de l’accès aux réserves de pétrole et de gaz. Ainsi, les États-Unis d’Amérique ont-ils toujours privilégié les importations de ressources énergétiques plutôt que l’exploitation de leurs propres réserves. Leur politique étrangère, en particulier au Moyen-Orient, mais aussi, depuis quelques années, à l’égard des pays producteurs d’Asie centrale (Kazakhstan, Turkménistan et Ouzbékistan principalement), est largement conditionnée par leur souci d’assurer la sécurité de leurs approvisionnements en pétrole et en gaz et, au-delà, de maîtriser ce que l’on pourrait qualifier « d’arme énergétique », pour établir un parallèle avec « l’arme alimentaire ».

L’énergie constitue un enjeu d’importance : deux milliards d’individus n’ont pas aujourd’hui accès à l’électricité. L’arrivée sur le marché de ces nouveaux consommateurs des pays en voie de développement pèsera sur le marché énergétique mondial au cours des prochaines décennies, et ce d’autant plus que les ressources énergétiques de la planète sont mal réparties.

Il faudra donc que l’État haïtien, que la Société haïtienne dans son ensemble, se mettent à travailler sur les points ci-devant énumérés de façon à créer un Capital Énergétique Adéquat, une Disponibilité Énergétique suffisante, pouvant faciliter la transformation du pays, car, comme on a dit avant :

-  L’énergie est un enjeu d’importance ;
-  L’énergie est le fondement de la stratégie des États ;
-  L’énergie est une condition essentielle du développement économique ;
-  L’énergie est un bien vital et stratégique.

Ceci dit, je suppose que l’on peut se mettre d’accord sur le principe de la disponibilité énergétique en tant qu’instrument de transformation. L’énergie n’est pas une finalité, sinon un moyen, un instrument. Sans énergie, on ne peut rien faire, mais, pour en avoir, il faut absolument savoir ce que l’on va en faire. Il faut une vision à moyen et à long terme et une approche holistique du développement du pays. Il faut une planification.

Créer des mécanismes de satisfaction énergétique durable à partir de la production de biocarburants

Les arguments exposés permettent de comprendre pourquoi l’annonce faite par les Etats-Unis d’Amérique, de financer la production d’éthanol en Haïti et dans certains autres pays du Continent américain, est en train de provoquer un spectacle qui montre crûment les différents intérêts créés par l’énergie et qui sont de nature diverse :

-  Identitaire ;
-  Idéologique ;
-  Économique ;
-  Spéculative ;
-  Technologique.

La proposition de George Bush ou de préférence la proposition conjointe Bush-Lula (Luis Inacio Da Silva), a donné lieu à une grande variété de manifestations de la part des « Acteurs » concernés : Intervention de Chavez, Réaction de Castro, Contre-réaction de Lula, Formalisation de la proposition états-unienne, et, j’imagine, maintenant, Prises de position des différents gouvernements concernés.

Chez nous, de plus en plus d’hommes et de femmes d’affaires s’affairent pour ne pas laisser s’échapper cette opportunité, sans se soucier que la production de biocarburants (non pas simplement d’éthanol) ne doit pas être considérée simplement comme une rentrée de devises pour le pays ou une opportunité en or pour gagner de l’argent, mais plutôt comme une opportunité pour :

-  Créer des mécanismes de satisfaction énergétique dans une optique de soutenabilité ;
-  Créer les bases nécessaires à la transformation économique ;
-  Créer un capital énergétique suffisant pour les besoins de transformation économique du pays ;
-  Une occasion unique pour la création massive d’emplois.

Les conclusions du sommet de l’énergie à Isla Margarita

Dans ce contexte, les « Grands de l’Amérique Latine » se réunissent, à « Isla Margarita » (Ndlr : Venezuela), pour un « Sommet Sud-Américain de l’Énergie ».

En gros, quelles ont été les conclusions ?

Ils en ont profité, d’abord, pour enterrer la hache de guerre, brandie par Chavez, puis ils se sont accordés principalement sur :

-  La création d’un système, permettant de garantir les approvisionnements en énergie au niveau des pays de l’Amérique du Sud ;
-  Consolider la Communauté sud-américaine des nations, regroupant les plus grands pays du sud du continent (Argentine, Brésil, Chili, Colombien, Bolivie, Equateur, Paraguay, Pérou, Uruguay, Venezuela), qu’ils ont rebaptisée Union des Nations Sud-Américaines (UNASUR) ;
-  Lors du sommet, un Conseil de l’énergie (au niveau des ministres) a été créé pour élaborer un "traité de l’énergie régional" devant garantir à la région, selon Chavez, "un système de production et de distribution sûr" à partir des ressources disponibles en pétrole, gaz et hydro-énergie, en énergies alternatives (bio-combustibles, éolienne, solaire), grâce aux économies d’énergie ;
-  Établir les bases de la construction du « Réseau du Gaz », le Gazoduc du Sud, sorte de Mégaprojet énergétique qui prétend relier sur quasiment 10.000 Km, le Venezuela, le Brésil, l’Argentine et desservir, par des bretelles, d’autres pays adjacents.

A l’époque du contrôle de la consommation, de la maîtrise de la consommation énergétique, de la recherche d’efficacité, de la décentralisation de la production, nous revenons encore une fois sur des procédés qui devraient commencer à disparaître même chez ceux qui ne souffrent pas de « privations énergétiques ».

Le problème de la construction d’un mega-gazoduc en Amérique du Sud

La disponibilité énergétique chez nos voisins, les mieux pourvus de l’Amérique, est énorme. Leur responsabilité aussi. Aussi bien au niveau de la gestion des ressources énergétiques que dans l’optique de faciliter aux plus dépourvus, aux plus nécessiteux, les ressources énergétiques dont ils ont besoin pour leur transformation. Cependant, cela ne peut se faire aux dépens de l’environnement et, l’impact d’un gazoduc est énorme :

-  Impact social (sur l’environnement humain et social des zones traversées) ;
-  Impact environnemental ;
-  Impact économique positif.

Déjà, les réactions ont commencé contre ce Projet Pharaonique. Voilà un extrait d’une lettre ouverte envoyée aux Présidents Nestor Kirchner, Lula da Silva et Chávez Frías :

Face à la dangereuse situation qui menace l’Amazonie à cause des décisions prises pour la construction de ce mega-gazoduc, qui commencerait dans l’embouchure de l´Orénoque au Venezuela, traversant le coeur de l´Amazone au Brésil jusqu’à Buenos Aires en Argentine, nous, citoyens, organisations et mouvements sociaux d’Amérique du Sud, qui signons cette lettre, préoccupés par la défense de notre planète, et compromis avec ses habitants et avec le destin des générations présentes et futures, manifestons notre opposition catégorique à ce projet d´interconnexion énergétique qui durant son parcours de 8000 km passerait par des régions de grande fragilité écologique, sociale, culturelle et d’extrême importance pour la vie, les affectant de manière irréparable. Cela, selon nous, serait le pas définitif vers la destruction de l’Amazonie, de la Guyane vénézuelienne et de divers écosystèmes de la côte caribéenne et atlantique, représentant un danger imminent pour la région avec des conséquences dévastatrices pour la planète…

… L´intégration entre nos peuples est pertinente et nécessaire, mais doit se baser sur un échange social et culturel enrichissant, sur un dialogue de savoirs, sur l´échange d´expériences agro-écologiques, sans éléments génétiquement modifiés, ni monoculture, sur la diminution du déficit énergétique basé sur l’emploi conscient de l’énergie et sur la production d´énergies alternatives au travers de processus écologiques …

… En conclusion et nous basant sur ce que nous exposons dans cette lettre, nous vous demandons de rejeter de manière définitive la construction du “Gazoduc du Sud” comme moyen pour couvrir les nécessités énergétiques de l’Amérique du Sud et chercher une option qui s’accorde avec la réalité écologique, sociale et économique de la région.

Pour un conseil assesseur de l’énergie en Haïti

Les grands débats actuels sont tous centrés sur l’énergie : la consommation, la disponibilité, l’approvisionnement, la sécurité énergétique et la sécurité des installations contre « le danger terroriste », l’épuisement des ressources, les impacts causés par l’utilisation abusive des ressources énergétiques (fossiles et fissiles surtout) sur l’être humain, sur l’environnement physique et social.

Tout tourne donc autour de l’Énergie, tout s’oriente vers la recherche de la satisfaction énergétique.

Et voilà qu’Haïti reste toujours le dernier de la classe. À attendre ce que les autres vont dire et faire pour nous.

Nous avons un besoin pressant de disposer d’énergie, en quantité suffisante, suffisamment bien consommée. Pour cela, des mécanismes de planification, de contrôle, de réglementation, sont indispensables.

Cela veut dire que l’existence, en premier lieu, d’un « Conseil Assesseur de l’Énergie » devient une priorité et, en deuxième lieu, un Ministère de l’Énergie, qui prenne les décisions adéquates et facilite un « Pacte pour l’Énergie » dont nous avons besoin de façon urgente.

Il s’agit enfin de voir et de croire qu’il faut absolument faire de l’énergie une priorité, car sa disponibilité n’est pas une finalité, sinon un instrument absolument nécessaire pour la transformation du pays.

Nous avons l’obligation de travailler à l’obtention d’un Capital Énergétique suffisant. C’est un Élément-clé pour la transformation du pays.

C’est une condition non suffisante, certes, mais absolument nécessaire. Et, il nous revient maintenant, à toutes et tous, le devoir de nous préoccuper pour son obtention et sa consommation de façon responsable.

Avril 2007

(1) Marc Antoine ARCHER , Physicien Industriel

iphcaten@yahoo.es