Par Christophe Wargny
Soumis à AlterPresse le 23 avril 2007
Avec douze candidats, aucun ne pouvait atteindre au premier tour la majorité absolue requise. Comme le laissaient présager les sondages, le second tour opposera, le 6 mai 2007, la droite à la gauche. Nicolas Sarkozy, conservateur et libéral (31%) apparaît favori face à Ségolène Royal, socialiste et plus redistributrice (26%). Elle peut compter au second tour sur le soutien des candidats anti-libéraux (10%) tandis que Sarkozy recueillera l’essentiel des voix des courants xénophobes en baisse (12%). On ne pouvait imaginer participation plus élevée : 85%, un record de civisme ! C’est dire que les 18% du candidat centriste, François Bayrou, seront décisifs.
Choc de programmes et, plus encore, différence de charismes et de personnalités pour deux quinquagénaires.
Sans employer le mot, Ségolène se place dans la tradition social-démocrate. Un ordre plus juste, davantage pour les prestations versées aux plus démunis, un système de protection sociale de haut niveau pour tous, le maintien des services publics, moins de cadeaux fiscaux… Ce qu’elle appelle le donnant-donnant : des droits nouveaux qui vont avec des devoirs nouveaux, pour lutter contre l’assistanat. Surtout, l’éducation, la formation pour tous, l’égalité réelle, moyen de lutte contre tous les racismes et les communautarismes. Pour couronner le tout, elle propose une réforme de la constitution dans le sens de plus de démocratie participative. Ses électeurs : les classes moyennes salariées et diplômées, davantage de jeunes, de femmes et de « minorités visibles ».
Même en faisant parfois preuve de patriotisme industriel, Sarkozy est un libéral, proche du grand patronat, admirateur des Etats-Unis, qui ne l’avoue pas toujours, tant le libéralisme pur est minoritaire en France, même à droite. Son électorat est plus âgé, plus masculin, moins diplômé même s’il englobe la majorité des professions libérales. Sarkozy revendique très fort son appartenance à la droite - il a volé à l’extrême droite une partie de ses électeurs - à qui il a redonné confiance dans les valeurs conservatrices : Moins d’Etat, mais un Etat répressif et un exécutif tout-puissant, repli identitaire, glorification du travail (travailler plus pour gagner plus, lutte contre les 35 heures légalisées par la gauche) plutôt que des loisirs, mise en scène de l’exemplarité de la, de sa famille (suivie de déboires conjugaux !), baisse de la pression fiscale, notamment sur les successions, et des prélèvements.
La politique étrangère n’a joué aucun rôle dans la campagne. On a à peine parlé de l’Europe (les candidats encore en lice ont approuvé un traité constitutionnel que les électeurs ont largement rejeté) et moins encore du reste. L’immigration, thème récurrent de la droite, est revenue. Pour la stopper ou la choisir. La gauche a proposé une régularisation partielle, notamment en faveur des parents dont les enfants sont scolarisés. Une ligne de clivage importante…
Sarkozy a réussi à faire oublier sa participation, comme ministre de l’Intérieur, au gouvernement précédent. Chirac le soutient, mais a minima. C’est donc essentiellement programme contre programme. Et, pour les plus hésitants, et quelques autres, le choix entre deux personnalités. Ségolène Royal, est femme et oratrice médiocre - double handicap - elle paie ses bourdes au tarif plein, mais elle a des airs de madone au sang froid. On sait qu’à ce stade, l’appétit de pouvoir est fort. Mais il est tel chez Sarkozy qu’il crée lui-même une peur chez nombre d’électeurs.
Plus que le report des voix, qui n’est jamais tout à fait arithmétique, c’est la détestation de Sarkozy, pas seulement à gauche, qui pourrait vaincre le favori. Sarkozy fait peur. Pas seulement aux jeunes des banlieues, aux immigrés de fraîche date ou aux intellectuels. Aussi aux politiques, aux fonctionnaires, aux journalistes ou au monde associatif. Sa brutalité choque. Le plus connu des quotidiens français, Le Monde, vient de prendre position contre lui. Seule, la haine de l’homme ou la peur de sa brutalité, qu’on retrouve chez des électeurs très divers, pourrait créer un réflexe « tout sauf Sarko » et modifier un rapport droite-gauche qui lui est a priori favorable.