Par Wooldy Edson Louidor
P-au-P, 11 avril 07 [AlterPresse] --- Après une année 2006 ponctuée par des vagues de kidnappings, de vols à main armée, de viols, de meurtres odieux, de panique et de marasme, notamment à la capitale Port-au-Prince, des lueurs d’espoir mêlées de zones d’ombre marquent les cent premiers jours de l’année 2007, observe l’agence en ligne AlterPresse.
De janvier à avril 2007, la république caribéenne semble avoir franchi une nouvelle étape vers la stabilisation, la sécurité, la reprise des activités économiques, sociales et culturelles, la relance des questions clés de la vie nationale et des enjeux de la coopération internationale.
Cependant, des citoyennes et citoyens ainsi que différents secteurs, des dirigeants politiques et autres responsables de divers couches sociales relèvent plusieurs zones d’ombre en Haïti, en dépit des lueurs d’espoir.
La sécurité revient peu à peu en Haïti : un constat générateur de confiance et de méfiance
Contrairement aux années antérieures, la population haïtienne, notamment les habitants de Port-au-Prince, exprime aujourd’hui une certaine satisfaction en ce qui concerne le climat de sécurité qui revient peu à peu dans le pays.
Depuis la sortie de la 18e promotion de la Police Nationale d’Haïti (PNH) le 15 décembre 2006 jusqu’à la prorogation du mandat de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (Minustah) le 15 février 2007 pour huit mois (jusqu’au 15 octobre 2007) par la Résolution 1743 du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies, les forces de sécurité nationales et internationales effectuent conjointement de multiples interventions musclées et intensives dans plusieurs quartiers populaires de la Capitale haïtienne, notamment à Cité Soleil, grande agglomération à la sortie nord de la capitale.
Malgré la manière jugée « trop brutale et sans discernement » par des citoyens et organisations de la société haïtienne, les opérations militaires conduites à date tendent à forcer les chefs de gangs à abandonner leurs repaires pour essayer de se cacher en province.
Les chefs de gangs sont actuellement poursuivis par la police nationale haïtienne et la Minustah dans plusieurs coins du pays. Quelques uns, dont Evens Jeune, ont été arrêtés. Des kidnappeurs ont été jugés et, par la suite, punis. Par exemple, Stanley Jean-Louis et Jean Ronald Coulanges ont été condamnés le 1er mars 2007 aux travaux forcés et à la prison à perpétuité.
Quoi qu’il en soit, au cours du même mois de mars 2007, des actes de kidnapping et des crimes odieux ont endeuillé des familles et soulevé l’indignation et la colère de la société.
Deux cas retiennent l’attention : celui de Christopher Toto Castor, un nourrisson de 5 mois, séquestré, étranglé puis suite jeté dans un canal ; celui du petit Elysée Mérisma, âgé de 9 ans, kidnappé, assassiné et abandonné aux chiens.
Même s’il reste beaucoup à faire par les forces de l’ordre et par le gouvernement haïtien, un climat de sécurité s’installe progressivement en Haïti. Mais jusqu’à quand ?
Des travaux d’infrastructures en chantier
Avec l’aide de plusieurs pays et organismes de la Communauté internationale, le gouvernement du 9 juin 2006, dirigé par le président René Préval et le premier ministre Jacques Édouard Alexis, a mis en chantier des travaux d’infrastructures à travers le pays au cours des mois de février et de mars 2007.
Un système d’adduction d’eau potable a été inauguré début avril 2007 aux Gonaïves (à 171 kilomètres au nord de Port-au-Prince) par le premier ministre haïtien et l’ambassadrice étatsunienne, Mme Janet Sanderson.
Un projet d’investissement des cultures vivrières a été lancé à Mirebalais (à 68 kilomètres au nord-est de la capitale) dans une perspective d’augmentation de la production agricole, d’appui aux initiatives communautaires de développement et de renforcement des organisations de base en milieu rural.
Le Ministère de l’Environnement a installé des agents forestiers dans la commune de Seguin (à l’est de Port-au-Prince) en vue de « sauver » le Parc de la Visite en proie à la déforestation.
Financé par l’Union Européenne à hauteur de 45 millions d’euros, un projet de construction d’un marché binational à Dajabón (ville frontalière avec Ouanaminthe située au nord de la frontière haitiano-dominicaine) a été initié.
Des promesses alléchantes
D’autres programmes et projets de développement sont en perspective. Plusieurs pays et institutions de la Communauté internationale ont fait des promesses alléchantes au gouvernement haïtien.
La porte-parole de la Minustah a annoncé dernièrement la construction d’un complexe administratif à la frontière de Belladères, au nord-est de la capitale Port-au-Prince, qui sera financée par le Canada avec un montant de 2 millions de dollars américains.
Un prêt de 22 millions de dollars américains ainsi qu’un don de 5.6 millions d’euros seront faits au gouvernement Préval-Alexis, respectivement par la Banque Interaméricaine de Développement (BID) et par l’Union Européenne en vue de mettre sur pied un programme de formation pour les jeunes.
Pour sa part, le gouvernement du Canada devra verser à la BID un montant de 20 millions de dollars américains pour élargir un vaste programme de restauration des infrastructures dans le pays.
Au cours d’une visite officielle en Haïti, Koïchuro Matsuura, directeur général de l’organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), a entrepris des discussions « avec le gouvernement pour renforcer la coopération », avec un « accent spécial sur l’éducation ».
Christian Connan, ambassadeur français accrédité dans le pays, a signé avec le gouvernement haïtien un accord visant à accorder à celui-ci un don de 3 millions d’euros en vue de soutenir un projet du ministère des travaux publics, transports et communications (Mtptc) relatif au ramassage des déchets dans la zone métropolitaine de la capitale.
Pendant une visite de 24 heures à Port-au-Prince, Albert Ramdin, le secrétaire Général adjoint de l’Organisation des États Américains (OEA), a annoncé l’exécution de divers projets envisagés par l’organisation hémisphérique. Ces projets devront toucher les secteurs du tourisme, de la justice et des droits humains ainsi qu’un appui au Conseil Électoral Provisoire (CEP).
Des accords de coopération internationale
Le gouvernement haïtien devrait parallèlement bénéficier d’accords de coopération internationale, allant dans le même sens de la création d’infrastructures et de l’amélioration des services de base.
Le Congrès des États-Unis d’Amérique a récemment voté la loi Hope visant à permettre l’accès au marché américain des produits finis assemblés sur le territoire haïtien. Du même coup, des entrepreneurs du Canada, de la France, des États-Unis d’Amérique et d’autres pays ont manifesté la volonté d’investir dans le pays.
La visite du président vénézuélien, Hugo Chávez, le 12 mars en Haïti a eu des retombées positives pour le pays, notamment dans le domaine de l’énergie, de la santé et des infrastructures.
Selon les termes d’un accord tripartite (Venezuela-Cuba- Haïti), un engagement a été pris pour fournir à Haïti 14 000 barils de pétrole par jour dans le cadre de Petro Caribe, tandis que des techniciens cubains et vénézuéliens seront à pied-d’œuvre pour construire trois centrales électriques dans trois villes du pays (Gonaïves, Cap-Haïtien et Port-au-Prince) et aménager des infrastructures aéroportuaires.
Dans le cadre du dit accord tripartite, un fonds de coopération humanitaire de 21 millions de dollars américains devrait voir le jour pour l’achat d’équipements médicaux et pour l’hébergement de nouveaux médecins cubains en Haïti.
De retour en Haïti le vendredi 6 avril, au terme d’une visite de 5 jours aux Etats-Unis d’Amérique, Jacques Edouard Alexis affirme attendre des données précises sur le plan du président George Bush autour d’une alternative possible en biocarburants. Mais, promet Alexis, les terres arables ne seront pas utilisées dans la production du jatropha (appelé gwo metiyen en Haïti) qui sera faite sur ce qui reste des terres non appropriées à la production alimentaire.
Une présence active sur la scène internationale
Haïti semble désormais se présenter sur la scène internationale, non pas comme un pays passif qui quémande de l’aide, mais plutôt comme un acteur qui fait d’importants apports dans les débats internationaux.
Suite à son discours devant le Parlement le 8 janvier 2007 où il a mis l’accent sur la nécessité de lutter contre la drogue qu’il considère comme une source d’instabilité et d’insécurité dans des pays comme Haïti, René Garcia Préval a réalisé avec succès un plaidoyer visant à organiser un Sommet contre la drogue.
Effectivement, le Sommet a eu lieu le 16 mars dernier à Santo Domingo, avec la participation des présidents colombien Álvaro Uribe, dominicain Leonel Fernández, le premier ministre de Trinidad and Tobago Patrick Manning, ainsi que le chef d’état haïtien René Préval.
Au cours de ce Sommet, Préval a insisté sur la nécessité de “poser la problématique de la drogue dans sa globalité”. Du même coup, il a invité les États-Unis d’Amérique et les pays de l’Europe, qui sont les grands consommateurs de la drogue, à combattre ce fléau aussi sur leur propre territoire et à “donner un coup de main” aux pays qui sont les lieux de transit.
Profitant de son voyage en République Dominicaine à l’occasion du Sommet contre la drogue, Préval a renouvelé au gouvernement dominicain sa volonté de maintenir les relations entre les deux pays qui partagent l’île et de réactiver la Commission mixte bilatérale, créée en 1996 et inactive depuis sa dernière réunion au début de l’année 2000, dans l’objectif de rechercher des solutions aux problèmes limitant la coopération binationale.
Des zones d’ombre
Cependant, des citoyennes et citoyens haïtiens ont de grandes réserves sur le dossier de l’insécurité et de l’impunité.
Quelques-uns se demandent si le calme qui règne actuellement dans le pays n’est pas plutôt apparent et éphémère, puisque les grands barons de la drogue, les magnats de l’industrie du kidnapping et du crime organisé ainsi que leurs complices se trouvant dans des institutions étatiques, telles que la police et la justice, restent encore impunis, puissants et intouchables.
Le septième anniversaire (3 avril 2000-3 avril 2007) de l’assassinat du journaliste haïtien Jean Léopold Dominique et du gardien Jean-Claude Louissaint sur la cour de la station de Radio (Haïti inter) à Delmas apporte, de l’avis de certaines personnes, des preuves tangibles de l’existence et de la persistance du règne de l’impunité en Haïti.
À cette occasion, le responsable du Bureau Amérique pour Reporters sans frontières (RSF) a déclaré que « malheureusement, 7 ans après l’assassinat de Jean Dominique, ses assassins courent toujours et nous n’avons eu aucune connaissance d’aucun progrès notable de l’enquête ».
Une autre zone d’ombre est aussi mentionnée en rapport à la démarche du gouvernement haïtien qui, à l’occasion de la commémoration du 20e anniversaire de la Constitution (29 mars 1987 – 29 mars 2007), a initié un processus de consultations avec des secteurs de la vie nationale en vue d’arriver à un éventuel amendement de la Charte fondamentale du pays.
Des citoyennes et citoyens se posent ces questions : Pourquoi une telle démarche ? Pourquoi le président Préval et le premier ministre Alexis insistent tant et même outre mesure sur la nécessité d’apporter des corrections à la loi fondamentale du pays ? Si le gouvernement haïtien actuel a prouvé sa volonté et sa capacité de contribuer à doter le pays d’un peu d’infrastructures, mais est-il à la hauteur pour remanier la Charte fondamentale ? En essayant de focaliser l’attention sur la Constitution sans cesse violée pendant 20 ans par les gouvernements qui se sont succédés au pouvoir, que cherche véritablement le gouvernement du 9 juin 2006 ? Ne faudrait-il pas de préférence se pencher sur les actions nationales à entreprendre en dehors de l’influence et de la mainmise des institutions et gouvernements étrangers ?
Une autre zone d’ombre consiste en l’intensification des relations diplomatiques et des projets de coopération que le gouvernement haïtien est en train d’engager avec le Venezuela.
Des analystes et des acteurs de la vie politique (parlementaires, membres de partis politiques) ont manifesté à maintes reprises leur préoccupation au regard de la « légèreté apparente » avec laquelle le gouvernement est en train d’approfondir cette coopération sans même considérer et peser tous les enjeux et les conséquences que cela pourrait avoir pour le pays, vu l’inimitié qui existe entre l’actuel gouvernement américain et la République bolivarienne du Venezuela.
Autour des relations avec la République Dominicaine, d’aucuns se demandent si Préval comprend réellement le jeu du gouvernement dominicain avec Haïti qui, d’un côté, plaide auprès de la Communauté internationale pour le décaissement des fonds en faveur du pays voisin. Cependant, de l’autre côté, il expulse quotidiennement et de façon brutale de plus en plus de migrants haïtiens de son territoire, persécute les défenseurs des droits humains des migrants haïtiens et de leurs descendants en République Dominicaine, tels que Sonia Pierre, et cherche à limiter voire supprimer les droits (dont le droit à la nationalité) et les prérogatives que la Constitution et la législation dominicaines accordent aux Dominicaines et Dominicains d’origine haïtienne.
De grands défis à relever et des fenêtres d’opportunités à exploiter
S’il est certain que ces zones d’ombre n’ont pas été éclaircies par les lueurs d’espoir qui pointent à l’horizon du pays au cours des 100 premiers jours de l’année 2007, ces doutes et ambiguités n’ont pas toutefois obscurci, non plus, les attentes.
Les lueurs d’espoir et les zones sombres mettent non seulement le gouvernement haïtien, mais toutes les citoyennes et tous les citoyens d’Haïti, devant la nécessité de poser à fond les vrais problèmes nationaux et de rechercher ensemble les voies et moyens de les résoudre par le dialogue, la sincérité et la tolérance, en relevant les grands défis auxquels le pays est confronté et en exploitant intelligemment les fenêtres d’opportunité qui s’ouvrent à Haïti, tant au niveau national que sur le plan régional et international. [wel rc apr 11/04/2007 10:13]