Par Gary Olius
Soumis à AlterPresse le 30 mars 2007
« ô courtisan, que dirais-tu de cette négresse que cent malfrats ont violée ? »
Des intellectuels non spécialistes en matière constitutionnelle l´ont conçue, un peuple analphabète à 70% l´a votée et des dirigeants autocrates ou odocrates se voyaient attribuer la responsabilité de l´appliquer. C´est, en peu de mot, ce circuit d´enfer qu´a pris la constitution de mars 1987 pour devenir aujourd´hui ce qu´elle est, l´ombre d´elle-même : peu appliquée, violée, rendue inopérante et non désirée. Elle n´a plus droit de cité dans ce pays ou l´élite politique cultive avec une extraordinaire virtuosité l´art de modeler les lois à la mesure de ses ambitions et de ses intérêts personnels. Cette élite sait comment contaminer les données de la réalité pour rendre ces lois obsolètes et inappropriées. A cet égard, il serait édifiant d´examiner les mésaventures de notre constitution, depuis son vote par voie référendaire jusqu´au constat de son inadaptation forcée par les « ayants droit » du pays.
Mal armés, les constituants ont produit un texte qui défie les principes les plus élémentaires d´ingéniérie constitutionnelle. Par exemple, ils établissent le droit des citoyens à une éducation de base et ne posent aucune condition contraignante conduisant au respect scrupuleux de ce droit de la part d´un Président nouvellement élu. A la rigueur on pourrait conditionner la recevabilité de sa candidature à un deuxième mendat à un certain nombre de conditions comme sa performance avérée dans ce domaine. Le principe de la réciprocité opérationnelle veut que les droits constitutionnels des citoyens marchent de pair avec les devoirs (constitutionnels et contraignants) de ceux qui ont les rênes du pouvoir d´Etat. L´établissement d´un droit n´étant pas un simple souhait, ce serait peine perdue d´affirmer des droits sans poser les garde-fous garantissant leur contrepartie, c´est-à-dire le devoir des dirigeants de les respecter.
Pour les constituants et les secteurs qu´ils représentaient, on dirait qu´une constitution est le lieu privilégié où se planifient l´évolution des rapports de force politique, le maintien à distance des groupes jugés peu contrôlables ou récalcitrants politiquement et l´évacuation de phobies politiques de toute sorte. Mais ce qui est admis c´est qu´une constitution ne saurait être durablement applicable si elle n´est pas d´abord une oeuvre d´intégration cohérente des droits fondamentaux des citoyens et des devoirs des dirigeants. Elle doit intégrer aussi les intérêts et les principales préoccupations de toutes les couches de la société, sans exception aucune, car on ne construit pas une société sur l´exclusion et l´ostracisme. Une constitution, une fois ratifiée, devient automatiquement un contrat social engageant l´Etat (à travers ses institutions) et les citoyens dans un projet de construction d´une société démocratique, juste, équitable, inclusive, sécure et prospère – à l´avantage de tous.
Les imperfections de la constitution de 1987 se laissaient voir sans lunettes scientifiques. Et, telle une marchandise dont on connaissait le défaut de fabrique, on charpentait un plan de marketing politique axé sur une phobie collective de l´heure (l´anti-makoutisme) pour convaincre les récalcitrants à l´accepter. Ainsi, au même titre qu´une efficace publicité capitalistique, l´article 291 de cette constitution a eu un effet zombifiant et, il forçait tous ceux qui avaient une peur bleue du duvaliérisme à mettre en veilleuse leur droit et leur capacité de critiquer constructivement le texte. Cet article faisait le succès du référendum du 29 mars, lequel a vu les Haïtiens se déplacer massivement pour voter la charte fondamentale à plus de 98%. Depuis lors, l´anti-duvaliérisme est devenu en lui-même une vertu politique et le Jean Bertrand Aristide de St. Jean Bosco a vu la nécessité de faire de l´article 291 son cheval de bataille. Anticipant une éventuelle volatilité de la mémoire des masses populaires, il usa de sémiologie politique et lia le contenu de cet article à sa calvitie (qu´il exhibe à tout bout de champ). On se souvient de son leitmotiv : « espas san cheve nan mitan tèt mwen an vle di MAKOUT PA LADANN...atik 291 manman lwa peyi ». Et puis, on a vu les résultats...
Ironie de l´histoire, il a été le premier chef d´Etat à manifester officiellement une velléité d´amender cette constitution qu´il avait tant chérie. Autres temps, autre statut et autres objectifs....tel un zombi ayant pris goût du sel, l´ancien vicaire devenu Président a brusquement découvert (1) qu´il était anormal qu´il fasse ses adieux au Palais National alors qu´il était à peine dans la cinquantaine (2) qu´il était injuste qu´on ôte à sa femme (américaine d´origine haitienne) le droit d´accéder au pouvoir (3) qu´il était incompréhensible que l´Etat gaspille des millions pour entretenir une armée qui ne sert qu´à torturer les citoyens et à organiser des coups d´Etat et (4) qu´il fallait combattre l´ostracisme sous toutes ses formes. Fidèle à ses découvertes et à ses dires, il intégrait (sous couvert de réconciliation) de vieux briscards du régime duvaliérien dans son équipe et lançait en 2002, comme un balon d´essai, l´idée d´amendement de la constitution, à travers ses plus fervents supporteurs au Parlement. Mais, la classe politique lui a opposé une farouche opposition.
Après ce rejet de l´idée d´amendement en douceur, il a eu recours à un projet d´amendement à marche forcée. Et, il a vite compris qu´en amenant cette classe politique à un constat de désuétude de certains articles de la constitution, il ouvrira à coup sûr la voie à un amendement obligé de celle-ci. Une des mesures qu´il a prises est le projet de loi consacrant la région des Nippes comme département géographique à part entière ; loi qui a été votée haut la main par une majorité parlementaire totalement vouée à son service. La conséquence immédiate est que, d´emblée, on ne pourra plus utiliser la formule prescrite par la constitution actuelle pour mettre en place le Conseil Electoral Permanent, institution qui est d´une vitale importance pour le pays.
Dans le sillage de ce constat forcé de mise en échec, la velléité d´amender la constitution refait surface. Le Palais National bat la grosse caisse pour rallier tous les secteurs autour de l´idée. Il met à ses services des directeurs d´opinion et des intellectuels très connus, mais qui ne trouvaient pas grand chose à redire sur le texte constitutionnel avant le référendum de mars 1987. Il semblerait qu´on est à la recherche d´une sacro-sainte alliance entre l´élite politique et l´élite intellectuelle pour les besoins de la cause. Cela confèrerait un caractère prémonitoire aux propos de Leslie Manigat (1993) : « en Haïti, la minorité qui monopolise l’avoir et le savoir, détient le pouvoir, et c’est elle qui le conçoit, l’organise, l’aménage et le codifie. La « fabrication » de la constitution est son métier ». Les faiseurs et « amendeurs » de constitution ont compris que les intérêts ont changé et, comme tel, la charte fondamentale n´est plus à la hauteur des dimensions que prennent les antagonismes politiques de nos jours. L´heure n´est plus à la « duplexophobie », cette peur morbide du double mandat consécutif et de la double nationalité. L´heure n´est non plus à la makoutophobie, étant donné que les makouts ne representent plus une menace politique et que l´anti-makoutisme ne mobilise plus grand monde comme au bon vieux temps. L´heure est plutôt propice à une ouverture de l´espace politique à une certaine frange de la diaspora comme le souhaite ardemment la communauté internationale (financiatrice à plus de 60% du budget national), l´heure est à la mise en oeuvre de projets politiques de longues durées (25-30 ans), à l´abolition définitive de l´armée d´Haïti, bref, l´heure est à une reconfiguration appropriée du milieu politique haïtien en vue de la défense de nouveaux intérêts.
A malin - malin et demi, il faudrait que toutes les forces vives de la société transforment ce contexte politico-institutionnel construit à dessein en une vraie opportunité pour poser et résoudre les vrais problèmes liés aux malices cachées de nos élites, lesquelles – pour la plupart - sont sournoisement inscrites dans la constitution 1987. Et, c´est en ce sens, que nous invitons tout un chacun à se prononcer et ne pas se laisser piéger par une parodie de consultation basée sur une carricature de représentativité que les vrais tenants du pouvoir contrôle de la tête aux pieds. Bien que réduites à l´Etat de minorité, des organisations, comme le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) et certains Syndicats, refusent de servir de caisse de résonnance aux positions dominantes et soutiennent la thèse qu´on ne peut cerner valablement les limites de la constitution qu´en assumant préalablement la responsabilité de la mettre pleinement en pratique. La véracité de ce point de vue est hors de doute puisque c´est en l´appliquant qu´on identifiera exactement les éléments qui méritent d´être modifiés et qu´on verra également la nécessité de respecter scrupuleusement les procédures qu´elle a, elle-même, prévues pour son amendement.
En contournant les voies préalablement tracées ou en allant trop vite en besogne, on risque de remplacer les erreurs flagrantes constatées dans la charte fondamentale par des monstruosités qui s´avéreront néfastes pour le pays. Par exemple, en reconnaissant sans réserve (ou sans garde-fou) la double nationalité, on peut - sans le vouloir - attribuer à des expatriés malintentionnés l´accès au pouvoir politique pour venir piller le pays et, ensuite, leur permettre d´utiliser leur deuxième nationalité pour se mettre à l´abri des poursuites judiciaires . A cet égard, l´histoire récente du pays est riche en instructions.
Et, pour ce qui est du double-mandat, le problème est d´une délicatesse telle qu´il faudra faire très attention si on pense à modifier la teneur de l´article y relatif. En regardant la question sous un seul angle, on pourrait dire l´article 134.3 de la constitution est anti-démocratique, en ce sens qu´il retire au peuple le droit de se prononcer sur la performance de celui qui vient de le gouverner. Mais cet argument peut être contré par celui de la décision originelle des votants de dire oui à la constitution dans sa globalité. Pour l´avoir voté, le peuple a donné son accord a priori sur le principe de la négation du double-mandat et a accepté, d´emblée, de renoncer à ce droit de sanctionnement a posteriori. Et advenant qu´on souhaiterait, pour une raison quelconque, permettre la ré-élection immédiate d´un président pendant un deuxième mandat, on doit être conscient du fait que le pouvoir politique en Haïti est source de privilèges et de richesse ; ceux qui le détiennent tentent toujours de s´y accrocher le plus longtemps possible.
Alors, mobilisons-nous tous pour empêcher un amendement abusif et politicien de notre constitution et utilisons ce contexte comme une opportunité pour identifier sereinement les erreurs de fond qui ont été commises. Il nous faut suivre avec une vigilance renforcée tout ce qui est entrepris par la commission mise en place par le Palais National, car en vérité rien ne laissait présager - en ces temps de morosité économique, de dégradation accélérée de l´environnement, de misère, d´insécurité et chèreté de la vie – que les responsables de l´Etat feraient de l´amendement de la constitution la priorité des priorités. La constitution n´etant pas faite pour durer vitam eternam, si amendement il y en aura on doit accepter de l´appliquer intégralement au cours du reste de sa durée de vie.
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