Note sur un incident à la Faculté des Sciences Humaines où des cinéastes-journalistes ont été pris à partie par des étudiants
Par Rachèle Magloire, Chantal Regnault et Estève Ustache
Document soumis à AlterPresse le 18 mars 2007
Suivi d’un extrait d’une lettre de protestation au recteur de l’UEH, Pierre-Marie Paquiot
Dans le cadre du tournage d’un documentaire sur la problématique des déportés réalisé par les cinéastes-journalistes professionnelles Rachèle Magloire et Chantal Regnault, et produit par Productions Fanal, une demande d’autorisation de tournage a été adressée verbalement au doyen de la faculté des sciences humaines de l’UEH (FASH). Mr Philippe Jaurès nous a référés au Secrétaire Général Mr Thadal, qui a accordé l’autorisation d’y filmer un haïtien déporté des Etats Unis, Frantz Saintil, qui y suit un cours de français en auditeur libre.
Arrivés sur les lieux le 16 mars 2007 à 10 :00 AM, alors que Rachèle filmait Frantz à la recherche de sa salle de classe, nous avons été pris à partie par un groupe d’étudiants qui ont immédiatement tenté de lui arracher la caméra des mains, affirmant que nous n’avions pas le droit de filmer sur le campus. Rachèle résistant à cette agression, ils se sont d’abord emparés de la batterie de la caméra, et ont un peu plus tard kidnappé l’équipement du preneur de son, Estève Eustache. S’en sont suivies quatre longues heures où nous étions, ainsi que l’équipement, pris en otages par ces messieurs et dames. Bien que nous leur ayons par deux fois montré les images filmées, lesquelles prouvaient qu’ils n’étaient pas le sujet du tournage en cours mais qu’ils apparaissaient brièvement en arrière-plan et ne montraient ainsi rien de compromettant sinon des étudiants présents sur leur campus, ils ont insisté pour que nous effacions les images ou leur remettions la cassette sous menace constante de briser la caméra.
Aucun dialogue ne semblait possible avec eux, et pendant tout ce temps où ils nous prenaient à partie, il n’y a eu aucune réaction de la part du personnel administratif qui semblait tout à fait indifférent, et pourtant ce groupe qui nous tenait en otages vociférait. Le doyen présent à la Faculté au moment des incidents ne s’est jamais donné la peine de quitter son bureau, voire d’intervenir. Finalement après plus de trois heures, Rachèle a réussi à faire venir le Secrétaire Général (qui a prétendu avoir été "en réunion" pendant tout ce temps) afin qu’il confirme auprès d’eux que nous avions l’autorisation de filmer. Sur ce, il s’est éclipsé nous abandonnant littéralement, ainsi que l’équipement, aux mains du groupe. De guerre lasse, et craignant de plus en plus pour notre équipement, nous avons dû nous engager à remettre la cassette (qui contenait d’autres images filmées ailleurs) en échange des équipements séquestrés. Les étudiants se sont empressés, en jubilant, de la détruire sur la cour de la Faculté.
Quelques éléments à souligner
• Jamais, que ce soit face aux militaires des FADH, aux attachés ou sur les barricades chimériques de 2004, Rachèle Magloire n’a eu à se résoudre à remettre des images déjà tournées. Fallait-il que cela lui arrive pour la première fois dans un espace universitaire ? Fallait-il que cela arrive sous la menace d’étudiants dont certains en communication sociale et aspirant à devenir cinéaste-journalistes ?
• Personne, sauf un professeur de la section communication arrivé à la fin de la scène, n’a réussi à convaincre les étudiants que la caméra utilisée n’avait pas une mémoire cachée qui permettait de conserver des images alors qu’elles étaient effacées de la cassette.
• Dès le départ, les étudiants se sont mis en position de domination, allant même jusqu’à arracher une cigarette de la bouche de Chantal, affirmant qu’il était interdit de fumer devant eux.
• Nous sommes très inquiets, cet épisode remet gravement en question la liberté d’exercer notre métier.
• L’affaire a été menée par un petit groupe d’étudiants. Plusieurs autres qui semblaient en désaccord n’ont pourtant jamais publiquement essayé de renverser la situation.
Ce regrettable incident devrait interpeller non seulement les professionnels de l’audiovisuel, mais les enseignants et les étudiants sur la vocation profonde d’un lieu où se forment les futurs cadres du pays. Est-ce que ce climat d’intolérance et de pression physique et psychologique est propice à l’éclosion d’une réflexion intelligente sur notre société ?
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Extrait d’une lettre de protestation au recteur de l’UEH, Pierre-Marie Paquiot
M. Pierre Marie Paquiot
Recteur de l’Université d’Etat d’Haïti
(…)
Nous nous adressons à vous aujourd’hui pour dénoncer l’agression subie mais également la passivité des membres de la direction de la Faculté qui n’ont rien fait pour nous porter secours. Cette situation qui nous porte un préjudice irréparable, les images tournées ayant été détruites, mérite selon nous au moins des excuses et des explications. Ceci n’exclut nullement la possibilité pour nous d’engager des poursuites légales afin d’obtenir réparation pour les préjudices subis.
Nous espérons croire que le Rectorat de l’Université, le Conseil de l’Université ainsi que les Décanats sauront prendre les mesures qui s’imposent pour que ce genre d’incident ne se répète pas. (…)
Rachèle Magloire
Chantal Regnault
Estève Ustache