Par Eric Sauray
Document soumis à AlterPresse le 10 mars 2007
Mes chers compatriotes, pour agir sur son destin personnel, chaque citoyen américain se répète quotidiennement ce conseil de l’inoubliable John-Fritzgerald Kennedy : « Lorsque tu te lèves chaque matin, demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays plutôt que de te demander ce que ton pays peut faire pour toi. ». Je ne suis pas un citoyen américain mais, moi aussi, je veux fermement m’appliquer ce conseil de l’immortel John-Fritzgerald Kennedy. Et ce que j’ai envie de faire pour mon pays est simple : je vous lance un défi pour la paix et la démocratie en Haïti. Je vous propose de signer une Entente du Bois Caïman.
Je le sais, je ne suis rien pour vous lancer ce défi. Mais, en tant qu’être humain, la fatalité qui semble s’abattre sur Haïti, la misère qui broie mes frères et sœurs Haïtiens ainsi que la violence que certains Haïtiens se permettent d’exercer contre d’autres Haïtiens, m’écoeurent profondément. Je connais des millions d’Haïtiens qui sont dans la même situation que moi. Et si je vous lance ce défi c’est parce que j’ai honte de lire cette antienne présente dans toutes les résolutions de l’ONU sur Haïti : « (…) la situation en Haïti continue de menacer la paix et la sécurité internationales. » Si je vous lance ce défi c’est parce que je considère que la situation de notre pays a atteint un degré inacceptable humainement. Face à cette situation, il n’est pas question de sombrer dans la désespérance. Au contraire, je pense que le moment est venu de prendre notre destin en main, de refuser la violence, d’entamer un dialogue sincère entre nous afin de comprendre les raisons de nos maux actuels et de faire quelque chose pour notre pays.
Ce défi est adressé à tous les Haïtiens où qu’ils se trouvent à travers le monde. Mais pour qu’il soit relevé, il doit être porté, promu et défendu par certaines personnes. Alors, j’insiste sur le fait que j’adresse ce défi au Président de la République. Je lui demande de s’approprier ce projet et de s’en servir pour entrer dans l’histoire universelle. Faire la paix dans un pays où les gens ont pris la mauvaise habitude de se battre, voilà une mission pour un homme d’Etat ! Voilà une mission conforme au rêve des quatre grands du Panthéon haïtien !
Je lance ce défi au Parlement haïtien. Je demande aux parlementaires de marquer la présente législature en s’investissant sans compter pour la signature de cette Entente du Bois Caïman.
Je lance ce défi à la justice haïtienne. Je lui demande de faire tout ce qui est en son pouvoir pour retrouver son rang et sa crédibilité. Je lui demande de punir avec la plus grande sévérité tous ceux qui, au nom de leurs engagements personnels, s’opposeront à la mise en œuvre des actions nécessaires à la réalisation de la paix entre tous les Haïtiens.
Je lance ce défi à la police haïtienne. Je lui demande d’être à la hauteur de ses missions statutaires en protégeant tous ceux qui essayeront de défendre la démocratie et de porter des projets utiles à la réalisation de la paix entre tous les Haïtiens.
Je lance ce défi aux fonctionnaires haïtiens. Je leur demande de se mettre sincèrement au service de leurs compatriotes et de faire en sorte que les services publics les plus quelconques ne soient plus un luxe pour le citoyen ordinaire. Il y va de la dignité des hommes et donc de la pérennité de la paix entre tous les Haïtiens.
Je lance ce défi aux partis politiques et leur demande de donner une chance au pays.
Je lance ce défi à la presse haïtienne parce qu’il n’y a pas de démocratie possible si les médias ne jouent pas leur rôle d’intermédiaires exigeants et responsables. Je demande donc aux patrons de presse et aux journalistes de diffuser ce projet, de veiller à ce que le défi soit relevé, d’aider ceux qui feront des efforts pour qu’il soit relevé et d’éduquer le peuple en ce sens.
Je lance ce défi à tous les cultes établis dans le pays ou à l’étranger. Je leur demande d’utiliser de leur pouvoir d’influence pour inciter les Haïtiens à vivre dans la tolérance, à faire la paix et à œuvrer pour la démocratie.
J’adresse ce défi à la bourgeoisie haïtienne. Je lui demande de saisir cette occasion pour asseoir sa légitimité et montrer sa volonté d’assumer ce que Jean Price-Mars appelait la Vocation de l’Elite.
Je lance ce défi à la diaspora haïtienne. Je lui demande de se manifester et de faire entendre sa voix dans le cadre de cette Entente qui doit inclure tous les Haïtiens sans exception. Je lui demande d’être présente en Haïti au moment de la signature de l’Entente du Bois Caïman pour montrer sa solidarité envers les frères et sœurs vivant en Haïti et qui continuent à faire vivre l’espérance de 1804.
Je lance ce défi à tous les corps constitués, toutes les organisations représentatives et toutes les associations qui font des rêves isolés. Je vous propose de réaliser un rêve collectif. Vous ne le ferez pas au profit de quelqu’un en particulier. Vous le ferez pour vous, pour votre pays et pour vos enfants. Vous le ferez pour arrêter de fuir un pays devenu invivable du fait de notre lâcheté collective. Vous le ferez pour éviter qu’un seul d’entre nous, parce qu’il a des armes, nous terrorise tous. Je sais que pour certains, c’est un vrai drame de se mettre au service des autres, mais notre pays ne s’en sortira pas autrement. Je vous demande donc de faire un effort. Si notre pays se pacifie et se démocratise, vous gagnerez en sérénité pour inventer, créer et faire triompher le génie haïtien.
Je lance ce défi aux intellectuels et aux artistes. Grâce à vous, le monde comprend ce qui se passe en Haïti. Grâce à vous, le monde sait qu’il y a encore une part d’humanité et de génie dans chaque Haïtien. Je vous demande encore un effort pour porter ce projet fondé sur l’utopie selon laquelle la sécurité de tous doit être garantie par l’action de chacun d’entre nous.
Je lance ce défi à tous ceux qui, au nom de leurs convictions strictement personnelles, portent atteinte aux droits des autres citoyens. Je vous propose de saisir cette occasion pour dire à la société ce que vous avez sur le cœur. Je vous propose de transformer votre violence en actes positifs, en idéal et en projet pour votre pays. Et je vous assure que la petite étincelle de Lumières et d’humanité en chacun de vous me permet encore de nourrir de grands espoirs pour la paix et la démocratie chez nous.
Mes chers compatriotes, arrêtons de parler. Arrêtons de nous plaindre. Arrêtons d’accuser les uns et les autres d’être responsables de nos malheurs. Arrêtons d’accuser les étrangers qui viennent s’interposer entre nous parce que nous ne savons pas maîtriser notre violence. Arrêtons d’abandonner le terrain aux factieux et aux liberticides en attendant que d’autres fassent le boulot à notre place. Arrêtons d’abandonner le pays en attendant que d’autres le développent pour nous. Passons à l’acte. Faisons ensemble quelque chose pour notre pays. La paix et la démocratie sont des réussites collectives. Je vous invite donc à contribuer à une réussite collective. Pour commencer, signons l’Entente du Bois Caïman. Quand notre pays sera pacifié, nous ferons le reste ensemble.
Mes chers compatriotes, mettons-nous au travail afin que cette Entente du Bois Caïman puisse être signée le 14 août 2008. Ce sera l’aboutissement d’un long processus de réflexion qui pourrait s’ouvrir le 18 mai 2007, ou le 14 août 2007 à la suite d’un discours fondateur prononcé par le Président de la République pour ouvrir le chantier et décréter une trêve des bicentenaires afin que nous fassions ensemble ce que nous n’avions pas fait depuis 2001 : célébrer dans l’unité les bicentenaires qui ont marqué l’entrée de notre pays dans la modernité politique. Dès l’ouverture de la trêve, tous les Haïtiens devront se mettre au travail pour discuter du contenu de l’Entente du Bois Caïman et faire remonter à une instance de synthèse, leur Entente amendée. Tous les Haïtiens seront mobilisés pour la signature de l’Entente le 14 août 2008 afin que ce soit une belle fête pour tous ceux qui de Cité Soleil à Jérémie, de la Croix des Bossales aux salons européens de Pétion-Ville, du Bois-Verna au Cap-Haïtien, du Bel-Air aux quatre coins de la planète seront unis dans un même mouvement de liberté, d’égalité et de fraternité.
Pour donner un côté solennel à l’événement, l’Entente du Bois Caïman devrait être signée soit au Bois-Caïman soit sur les ruines du Palais Sans Souci. Bien entendu, un autre lieu symbolique capable de susciter le consensus entre tous les Haïtiens pourrait être choisi. Dans ce domaine comme dans d’autres, c’est l’imagination et la volonté de vaincre la fatalité qui doivent l’emporter !
Mes chers compatriotes, voilà le défi que je vous lance. Mettons-nous au travail dès aujourd’hui pour relever ce défi pour notre pays, pour nos ancêtres et pour nos enfants. Mettons-nous au travail dès aujourd’hui pour relever ce défi afin de rembourser notre dette envers tous ces héros courageux mais solitaires qui se sont sacrifiés pour des idées que nous n’avions pas su défendre. Mettons-nous au travail dès aujourd’hui pour relever ce défi et rembourser notre dette envers tous ceux qui ont été envoyés à la boucherie, comme on envoie des bêtes à l’abattoir, au nom des idéologies que nous avions cru utile d’imposer de gré ou de force. Mettons-nous au travail dès aujourd’hui pour relever ce défi et rembourser notre dette envers tous ceux qui, ces dernières années, ont eu la malchance de naître sur la même terre que nous. Ailleurs, ils auraient eu des droits, ils auraient été éduqués et n’auraient jamais été assassinés comme des chiens. Chez nous, vous le savez, ils ont été maltraités, humiliés, kidnappés, torturés, assassinés, condamnés à un exil éternel tandis que leurs bourreaux paradent dans nos palais et font des enchères sur les droits de l’homme. Aujourd’hui encore, certains, comme ce journaliste ou cet animateur de radio que je ne cite pas et que vous connaissez tous, ou cette jeune fille dont la maman est inconsolable, ou ce père de famille que la veuve et les enfants attendent depuis trop longtemps déjà, sont toujours portés disparus et aucun prêtre n’ose encore chanter leurs funérailles ! La police n’a rien fait. La justice n’a rien fait. L’Etat n’a rien fait. Nous n’avons rien fait. Nous devons réparation, justice et respect à toutes ces personnes dans lesquelles chacun d’entre nous doit voir un frère ou une sœur.
Mes chers compatriotes, mettons-nous au travail pour renforcer ce texte avec le génie haïtien qui, des malheureux ports de Gorée jusqu’à la bienheureuse place d’armes des Gonaïves, a toujours inspiré nos ancêtres dans leur combat contre le traumatisme de la traversée et leur a donné le courage d’accomplir la plus belle épopée d’un peuple soumis à l’esclavage au nom de la civilisation.
Voilà, mes chers compatriotes, le défi est lancé. Il est à notre portée. Et si nous devons nous unir pour le relever ce n’est pas parce que nous sommes des lâches mais uniquement parce que nous sommes des Hommes et que nous avons le désir de vivre ensemble en toute fraternité.
Mes chers compatriotes, je sais que vous êtes en mesure de relever ce défi. Je suis prêt à le relever avec vous. Et pour vous le prouver, je vous soumets ci-après un projet perfectible. Améliorez-le. Réécrivez-le. Faites-en quelque chose. Si vous y croyez et si vous le voulez, on y arrivera.
Avec vous et pour vous,
Eric SAURAY
Montmorency (France), le 09 mars 2007
Voir le « Projet d’Entente du Boïs Caïman » à l’adresse : http://reseauhaitiforceone.hautetfort.com