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Journée mondiale des femmes 2007

Corps en liberté

À Marie Frantz Joachim (que je ne connais pas)

Par Jean André Constant

Soumis à AlterPresse le 7 mars 2007

bien loin des corps dis-je
fuient les visages dans le temps
entre temps je conte à rebours
les instants nés du vent
où les visages grimacent
mollement vidés de tout instant
dans le champ des média cannibales

je ne parle pas de ces tendres visages
de ces miroirs perméables à la vue
agréables à la vie
telle une balançoire tout terrain
ornée des derniers prés vert dorés
d’enfance et d’innocence

aujourd’hui loin dis-je
les corps fuient aussi les visages
dans la brousse des sens et du business
dans le champ des vents vides de vie

je ne parle pas de ces corps
de femmes et d’homme
qui grouillent dans leurs formes
qui grouillent autour de soi-même
puis grouillent autour du soleil
en pleine liberté de visage

c’est bien avec les formes
qu’on tue les corps
dès la naissance

c’est bien au prix de l’innocence
que les corps se vendent
en surenchère dans les vitrines
de la forme de la folie de l’impie

en plein air
le crime contre la nuit intime
des regards et fibres invisibles
de la terre humaine
me parvient du néant
dans la poussière des visages
le cri livide des vagues charnues
le cri infirme des super sexy
au verso des mots flottants
des masses de formes enragées
moulées dans la mousse souffrante
des choses trop enviables
des choses trop fausses

j’ai beau voir les corps
s’animer de forme
s’infiltrer dans l’intimité
des naissances et des yeux amoureux

j’ai beau voir les yeux
emporter des corps
les gestes immortels
vers le ciel en plein cœur

j’ai beau voir les visages
s’argenter des beautés de corps
au contact des idées secrètes
et éternelles de la naissance

j’ai mal aux corps morbides
qui traînent leur substance
dans la violence des regards
j’ai mal aux visages hagards
qui tissent les âges
sans aucune notion de fierté
encore moins de beauté

j’ai mal aux hommes et aux femmes
prisonniers de leurs microformes
prisonniers des regards en filigrane
prisonniers de la mort
prisonniers de nous
coupés de nous-mêmes

je m’emporte vous dis-je
contre les corps obsolètes
contre les corps d’occasion
les corps de dernière heure
stagnant en synthèse
pour disparaître bientôt
dans la fragilité des limites

je m’emporte vous dis-je
contre les corps en images
nés des passions voraces et banales
arrachant toute identité
aux gestes et regards incolores

donnez-moi une étincelle de chair
j’en ferai des libertés plus humaines
j’en ferai des corps moins silencieux
pour jouer aux mots
pour jouer au destin
pour filtrer l’univers
des actions aux sujets immortels
pour accoucher de moi
dans d’autres corps
pour accompagner certains corps
dans la cendre du simulacre

donnez-moi une chair de liberté
j’en ferai une invention éternelle
je mutilerai les métaphores du désir
j’inventerai une autre anatomie de la beauté
de nouveaux icônes pour les paumes
et les seins gauches
sans vieillir l’histoire des visages en attente
sans imposer ma liberté
à la chair des autres
ni à la plénitude des os

de mon œil imperméable
je contemple la vie et ses débris de corps

Hartford, Mars 2007