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Journée Internationale des femmes 2007

Mouvement féministe haïtien : Esquisses de bilan et perspectives

Par Marie Frantz Joachim [1]

Soumis à AlterPresse le 7 mars 2007

A la lumière du 8 mars, journée mondiale consacrée à la lutte en faveur des droits des femmes, nous voulons, en nous inspirant des travaux d’une chercheure canadienne Louise TOUPIN sur les courants de pensée traversant le mouvement féministe depuis son émergence, jeter un regard sur le mouvement féministe haïtien au cours de ces deux dernières décennies. Ce texte n’a pas la prétention de couvrir de manière exhaustive tous nos acquis depuis cette période. Il veut plutôt apporter une contribution aux réflexions théoriques sur les actions accomplies par les organisations féminines et féministes haïtiennes au cours de ces vingt dernières années. Son architecture est construite sur les définitions classiques du concept féministe, les courants qui traversent ce mouvement et leurs expressions en Haïti pour ouvrir enfin sur les perspectives.

Définir le féminisme n’est pas un exercice facile dans la mesure où il rassemble des théories sociologiques, des mouvements politiques et des philosophies morales concernant la situation des femmes, en particulier dans leur contexte social, politique et économique. Toujours est-il que si on prend pour point de départ du féminisme, la lutte des femmes depuis l’existence de l’oppression patriarcale, le féminisme peut être entendu comme un mouvement social. En tant que tel, il analyse la condition féminine actuelle dans l’histoire et dans le monde contemporain par une réflexion sur l’égalité des droits et propose des solutions de transformation des rapports sociaux de sexe. Il est, dans ce sens, une prise de conscience collective suivie d’une révolte des femmes contre la position subordonnée qu’elles occupent dans une société. Il s’agit donc d’un mouvement revendicatif conduit pour et principalement par les femmes afin d’abolir l’oppression dont elles ont été, et sont encore, victimes au quotidien dans les sociétés où la tradition établit des inégalités fondées sur le sexe.

Les courants de pensée du mouvement féministe et leurs expressions en Haïti

Si toutes les composantes du mouvement féministe font de l’égalité des droits avec les hommes leur principal axe de lutte, elles divergent quant à l’identification des causes de cette inégalité et des stratégies de changement, d’où les divers courants du mouvement féministe. Alors que le mouvement féministe libéral égalitaire puise sa philosophie du libéralisme, les autres courants féministes prendront le marxisme en compte dans leurs écrits et dans leurs actions, soit pour se situer à l’intérieur de cette tradition, soit pour s’en démarquer, soit pour le contester dans ses fondements. C’est une différence fondamentale qui permet de comprendre et de situer les actions des associations féministes en Haïti.

Le courant féministe libéral croit en la perfectibilité du système capitaliste. Ainsi, il entend s’attaquer à l’intérieur de ce système à la discrimination faite aux femmes. Pour ce courant, le moyen le plus efficace pour enrayer cette discrimination réside d’abord dans l’éducation non sexiste. Il s’agit de socialiser autrement les femmes, de changer les mentalités et les lois discriminatoires pour changer la société.

La lutte pour le changement des lois discriminatoires est portée par toutes les associations féministes. Elle s’exprime principalement dans les moments d’ouverture démocratique où les institutions fonctionnent. La démarche la plus significative entreprise par le mouvement féministe à cet effet reste les séances de travail avec les parlementaires de la 46ème législature en 1998 sur la dépénalisation de l’adultère, la décriminalisation conditionnelle de l’avortement, la révision du code pénal sur les lois relatives aux agressions sexuelles, le changement du statut des travailleuses domestiques dans le code du travail. Ce processus a été finalisé en 2006 par le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes.

Le courant féministe de tradition marxiste comporte plusieurs variantes. Les écrits et les actions de Clara Zetkin et Alexandra Kollontai s’inscrivent dans ce courant de pensée.

Pour les marxistes féministes orthodoxes, c’est l’organisation économique, le capitalisme, qui explique l’exploitation des deux sexes. L’oppression des femmes est née avec l’apparition de la propriété privée. Elle disparaitra avec le renversement du capitalisme. Ceci étant dit, il n’y a pratiquement pas de place pour la lutte féministe autonome, celle-ci ne pouvant que disperser les forces en luttant ainsi "contre les hommes".

Les marxistes léninistes orthodoxes haïtiens ont été les résistants les plus farouches aux organisations féministes de tendance socialistes, qui ont apporté la dimension « sexe » dans leurs analyses de l’oppression des femmes. Le patriarcat et le capitalisme étant considérés comme deux systèmes d’oppression des femmes qui s’articulent l’un l’autre, une attention égale doit être apportée au sexe (appelé « le patriarcat ») et aux classes sociales (appelé « le capitalisme »). La Solidarite Fanm Ayisyen (SOFA) est l’unique organisation féministe qui se réclame d’un tel courant qu’elle traduit à travers son slogan : « La lutte des femmes est la lutte de toutes les masses populaires ». En soulevant le débat sur la problématique des violences spécifiques faites aux femmes pour la première fois en Haïti en 1987, elle adresse le problème de sexe, alors qu’en s’associant avec d’autres plateformes pour dénoncer la politique néolibérale, elle adresse le problème de classe. Malheureusement, cet aspect de sa lutte, qui s’inscrit dans son axe d’intervention contre la féminisation de la pauvreté, n’est pas très perceptible.

Le féminisme populaire, considéré comme une autre variante du féminisme de tradition marxiste, englobe le militantisme de nombre de femmes pauvres, qui, ne se définissant pas nécessairement comme féministes, ont néanmoins des pratiques et une vision s’apparentant à la tradition féministe. Il se distingue des groupuscules féminins montés autour d’un petit projet de développement à la demande des ONGs étrangers ou locaux, par des mobilisations qui s’organisent autour des besoins pratiques et immédiats (logement, alimentation, revenu et soins de santé) liés aux conditions de survie des familles ou des communautés.

Alors que les marxistes classiques s’intéressent à la production des marchandises, les marxistes du courant du « salaire contre le travail ménager » s’intéressent au travail de reproduction des êtres humains, donc au travail généralement exercé par des femmes, principalement dans la famille. C’est seulement dans les réflexions devant aboutir à l’élaboration du cahier de revendication nationale, dans le cadre de la participation du mouvement féministe haïtien dans la Marche Mondiale des femmes en 2000, que la stratégie du salaire contre le travail ménager a été évoquée. A proprement parler, les féministes haïtiennes n’ont pas approfondi ce débat et n’ont formulé aucune revendication y relative. Cependant, il faut reconnaître que les revendications du mouvement féministe haïtien pour donner un statut de travailleuses aux « gens de maison » s’inscrit dans le cadre des efforts accomplis pour rendre visible le travail domestique.

Le courant féministe radical marque une rupture avec le libéralisme et le marxisme par cette nouvelle façon de penser les rapports hommes-femmes, et de s’affirmer comme « autonome », et sur le plan de la pensée, et sur le plan de l’action. L’explication de la subordination des femmes réside fondamentalement dans le système social des sexes en l’occurrence le « patriarcat ». Le féminisme radical n’a jamais constitué un courant homogène. Il s’agit d’un courant éclaté dont les composantes partagent cependant une conviction commune : l’oppression des femmes est fondamentale, irréductible à quelque autre oppression, et traverse toutes les sociétés, les « races » et les classes. L’objectif ultime du féminisme radical est, grosso modo, le renversement du patriarcat.

L’une des variantes de courant est le féminisme matérialiste qui, tout en critiquant profondément le marxisme, en conserve cependant la méthode (matérialiste) et certains concepts pour comprendre l’oppression des femmes. Il donne aux concepts marxistes des contenus différents, issus de la problématique radicale. Ainsi, les rapports de sexes sont vus comme des rapports de travail, des rapports d’exploitation. On ne réfléchit plus, comme chez les féministes socialistes, en termes de dialectique classe/sexe, mais plutôt en termes de « système social des sexes ». L’une des tenantes de ce courant en France est Christine Delphy.

L’autre variante, le féminisme de la « spécificité » se manifeste à travers des actions autour de la réappropriation du corps des femmes, tandis que celle de la « fémelleité » articule les siennes autour de l’identification à son propre corps. Ces féministes revendiquent la réappropriation de la maternité, de l’acte de création/procréation, de la culture et de l’imaginaire féminins au niveau des idées et de l’Être.

Les actions conduites par le mouvement féministe haïtien recoupent l’ensemble des courants de pensée féministes. Les féministes haïtiennes ont formulé des revendications sur les lois discriminatoires envers les femmes, à travers le Comité de Négociation avec les Parlementaires en 1998 et ont fait du lobbying pour la ratification de la Convention de Belem Do Para. Elles ont fait la promotion de la participation des femmes dans les instances décisionnelles en avril 1986 ( Fanm D’ Ayiti) repris plus tard par Fanm Yo La et ont réclamé la mise en place d’un organe étatique de plus haut niveau pour traiter des problèmes spécifiques aux femmes en mars 1991 (SOFA). Elles ont tenté d’articuler les problèmes de sexe et de classe en conduisant des actions contre la violence et la féminisation de la pauvreté dans le cadre de leur participation à la Marche Mondiale des Femmes en 2000. Elles ont conduit des actions de plaidoyer en faveur de la santé des femmes notamment sur la décriminalisation de l’avortement et ont développé des centres de santé pour femmes en 1995. Elles ont développé des actions visant à combattre les violences exercées sur les femmes en 1987. De plus, les associations telles « Kay Fanm », « SOFA » et plus récemment « Fanm Deside Jacmel » et « Asosyasyon Fanm Solèy leve D’Ayiti » (AFASDA) ont mis sur pied des services à ces fins. Elles ont produit des journaux spécialisés mettant en avant les réalisations de femmes en 1988. Ayiti Fanm produit par Enfo Fanm est à ce titre illustratif.

Peut-on, comme on se plait à le faire, confiner le mouvement féministe haïtien à un courant de pensée spécifique ? Ces actions donnent à penser que, se référant au féminisme haïtien, il faut élargir son champ de pensée, compte tenu de la complexité du mouvement. Ce type d’analyse nous rappelle l’aspect idéologique de la lutte des femmes et nous invite à reconnaître la diversité des féminismes. Il établit que le mouvement féministe peut emprunter plus d’une forme, et qu’il faut créer des liens entre toutes ces formes de luttes et leurs protagonistes. Toujours est-il que le mouvement féministe haïtien devra s’atteler, dans les années à venir, à relever des défis majeurs notamment en ce qui concerne les droits sociaux, économiques et culturels des femmes qui ont été délaissés en faveur de la lutte pour les droits humains des femmes. Le mouvement féministe haïtien devra en d’autres termes, changer de paradigme. Il aurait à gagner en orientant aussi ses actions vers les droits précédemment cités, l’une des garanties de la prise en compte des droits des femmes dans leur globalité. En effet, deux décennies après, en dépit de certains acquis notamment en matière de violence faite aux femmes (plus de dénonciations, plus d’instruments légaux disponibles) et la mise en place d’une structure étatique pour porter les problèmes des femmes à un haut niveau de l’échiquier politique, les inégalités persistent.

Lutter contre la disparité entre les sexes dans l’éducation

Alors que la constitution de 1987 garantit le droit à l’éducation à tous les enfants, on constate qu’en dépit des efforts consentis par les parents pour faire accéder leurs enfants à l’éducation, le taux de déperdition est plus élevé chez les filles que chez les garçons. Seulement 2% de filles contre 4% de garçons atteignent le niveau secondaire et supérieur, alors que les filles de 6-11 ans représentent un pourcentage de 57% à fréquenter l’école primaire contre 52% de garçons du même âge. Ces statistiques donnent à penser que les disparités entre les sexes en ce qui concerne la scolarité sont à l’avantage des garçons, au détriment des filles.

Si les grossesses précoces semblent constituer une des causes de l’abandon prématuré des filles du système scolaire, il y a lieu d’interroger aussi les pratiques des directeurs et responsables d’établissement qui excluent automatiquement de l’école une fille tombée enceinte.

D’un autre coté, les stéréotypes sexistes observés dans les manuels scolaires, les programmes d’enseignement et les médias, participent aussi de l’orientation des filles vers des filières sociales, jugées peu prestigieuses. Ainsi, les filières scientifiques considérées plus valorisantes restent l’apanage des hommes.

On ne peut négliger non plus les violences sexuelles auxquelles sont exposées les filles au sein des établissements scolaires et la complaisance des juges contre les auteurs de ces pratiques, diminuant dans certains cas l’engouement des élèves du sexe féminin pour l’école.

Il faut ajouter à ces facteurs externes, les normes et les coutumes sociales qui sont à l’origine de puissantes incitations, guident le comportement des gens et déterminent les rôles qui peuvent être ceux des femmes et des hommes dans la famille et dans la communauté. Ces normes ne sont pas immuables, elles peuvent changer sous l’effet de modifications du contexte environnemental et économique et d’évolutions politiques et sociales plus générales. Le changement peut résulter d’actions délibérées de l’État ou des organisations de la société civile et de réformes sociales d’ordre législatif et institutionnel.

Le mouvement féministe haïtien devra s’atteler, dans ses actions de plaidoyer auprès des instances étatiques, à faire créer un environnement propice à la promotion de l’égalité entre les sexes dans l’éducation en réformant les lois et les politiques, de manière à consacrer, entre autres, le caractère obligatoire de l’enseignement primaire. Il devra aussi forcer l’État à investir dans la redistribution, en dirigeant les ressources vers l’éducation des filles et des femmes et en prenant des mesures particulières pour éliminer les inégalités.

Au fait, les actions visant à promouvoir la parité et l’égalité entre les sexes dans l’éducation ne peuvent atteindre leur but, que si elles s’insèrent dans un ensemble plus vaste de mesures touchant de nombreux autres aspects de l’économie et de la société.

Dans un pays comme Haïti où l’on observe une prédominance du privé dans le système éducatif, les activités des ONG peuvent constituer un complément utile aux efforts de l’État. Cependant, le mouvement féministe devra veiller à ce que l’Etat joue son rôle régulateur de manière à faire appliquer ses politiques en matière d’égalité entre les sexes et à évaluer l’impact du genre en ce qui concerne à la fois l’accès des filles à ces formes de scolarisation et la qualité respective des différents modèles de scolarisation.

Santé : œuvrer à la réappropriation par les femmes du contrôle de leur propre corps

L’expression première du patriarcat se manifeste par le contrôle du corps des femmes, notamment par le contrôle de la maternité et de la sexualité des femmes. En Haïti, selon des témoignages de femmes recueillies lors de rencontres sur la santé génésique, il revient à leurs partenaires de contrôler leur fécondité, de décider du nombre d’enfants et de l’espacement des naissances. Il ne leur est pas toujours offert l’occasion de choisir leurs méthodes de contraception.

De nombreux Haïtiens estiment que plus une femme a d’enfants, moins elle a du temps pour tromper son conjoint. Les enfants constituent ainsi un moyen sûr de contrôle du corps des femmes. Or, la grossesse et l’accouchement comportent des risques importants en Haïti, au point que le taux de mortalité maternelle atteint les 523 pour 100.000 naissances vivantes.

Ce contrôle qui s’exprime dans la famille, le domaine de la reproduction, et dans tous les compartiments de la société, influence les rapports sociaux de sexe de telle sorte que les négociations sexuelles dans les couples sont quasi inexistantes. Ainsi, les femmes sont gardées dans l’ignorance totale en ce qui concerne l’état de santé de leur partenaire en particulier en cas d’infection sexuellement transmissible, y compris le VIH-SIDA.

Il s’ensuit de cette relation déséquilibrée à la faveur de la domination masculine, une féminisation de la pandémie du SIDA. C’est peut être l’un des facteurs qui explique la baisse de l’espérance de vie des femmes par rapport aux hommes, un constat inquiétant contenu dans le Rapport mondial sur le développement humain de 2005. Car, en général, pour des raisons biologiques, l’espérance de vie des femmes est supérieure à celle des hommes.

Comment œuvrer à la réappropriation par les femmes du contrôle de leur propre corps ? Voilà la grande question à laquelle le mouvement féministe haïtien devra répondre. Il devra entre autre exiger de l’Etat des dispositions pour garantir le respect et la promotion des droits des femmes à la santé incluant la santé sexuelle et reproductive. Il peut aussi proposer que les actions de sensibilisation ou d’éducation conduites par les ONGs et l’Etat soient également adressées aux hommes pour les porter à changer leurs attitudes et leurs comportements. Il convient aussi d’intervenir sur les représentations sociales des sexes en vue de les influencer.

Par ailleurs, naturellement, le mouvement féministe devra renforcer ses actions en matière de violence faite aux femmes en promouvant particulièrement la mise en place d’une loi cadre contre les violences à l’égard des femmes et une étude de prévalence des violences sexistes en Haïti pour mesurer l’ampleur de ce phénomène dans le pays et exiger la mise en application de la convention de Belem Do Para.

Corriger le déséquilibre entre hommes et femmes au plan économique

Suivant le rapport de 1998 de la Banque Mondiale, Haïti possède le taux le plus élevé de femmes économiquement actives dans la région Amérique Latine et Caraïbes. Elles représentent 61% de la population économiquement active, mais elles sont loin d’être les bénéficiaires des activités les plus rentables.

Les femmes qui travaillent sont essentiellement occupées dans le commerce, et le secteur des services (73%) et la plupart sont à leur compte (87%), très certainement dans le secteur informel.

Peu de femmes possèdent des biens en propre. Par contre, les femmes ont la haute main sur les dépenses du ménage. Très peu de femmes ont accès aux programmes de prêts et de financement (12%) connaissent ces programmes et 3 % en ont bénéficié

En réalité, les femmes haïtiennes dominent l’auto-emploi et le secteur informel. Engagées comme travailleuses domestiques, elles sont mal rémunérées et exploitées. Elles investissent, à défaut de mieux, dans les petits commerces qui leur rapportent à peine de quoi survivre avec leur famille. Les femmes sont quasiment exclues des emplois formels, et donc de toute protection sociale.

En milieu rural, elles sont cantonnées aux cultures vivrières qui, certes, assurent la sécurité alimentaire familiale, mais sont beaucoup moins rémunératrices que les cultures d’exportation, réservées aux hommes.

Il faut aussi souligner que, généralement, à emplois égaux, le salaire des femmes est inférieur de 40% à celui des hommes.

Cette inégalité en appelle une autre, liée à la gestion du temps. En Haïti, les femmes assument la quasi totalité des tâches familiales et parfois communautaires, tout en étant de plus en plus nombreuses à exercer une activité rémunérée, par choix mais aussi par contrainte, notamment chez les plus pauvres. Ces inégalités de ressources sont d’autant plus graves que les femmes travaillent en général plus que les hommes.

Toute politique d’intervention visant à corriger ce décalage entre les hommes et les femmes au plan économique requiert une mise en œuvre de mesures législatives et autres visant à garantir aux femmes l’égalité des chances en matière d’emploi, d’avancement dans la carrière et d’accès à d’autres activités économiques. Le mouvement féministe haïtien devra porter l’État à s’engager dans la promotion de l’égalité en matière d’accès à l’emploi, à une rémunération égale des hommes et des femmes pour des emplois de valeur égale et/ou équivalente, assurer la transparence dans le recrutement, la promotion et le licenciement des femmes.

Le mouvement féministe devra contraindre l’Etat à prendre des mesures devant combattre et réprimer le harcèlement sexuel dans les lieux de travail, créer les conditions pour promouvoir et soutenir les métiers et activités économiques des femmes, en particulier dans le secteur informel, créer un système de protection et d’assurance sociale en faveur des femmes travaillant dans le secteur informel et les sensibiliser pour qu’elles y adhèrent, réprimer toutes les formes d’exploitation des enfants, en particulier des fillettes, prendre des mesures appropriées pour valoriser le travail domestique des femmes et leur garantir des congés de maternité adéquats et payés. Il devra aussi faire un plaidoyer auprès des parlementaires pour faire ratifier le Pacte International sur les droits économiques, politiques et culturels.

Lutter pour la participation paritaire des femmes dans la vie politique du pays

Alors que les femmes constituent les principales forces vives de l’économie et les piliers de la famille haïtienne, alors qu’elles représentent 52 % de la population, elles sont quasiment absentes des espaces de pouvoir politique. Au parlement haïtien on compte 4 femmes sur 26 sénateurs et 2 femmes sur 84 députés. La même tendance est observée au niveau de l’exécutif. Il n’y a que deux femmes ministres sur plus d’une vingtaine de postes ministériels. L’organe chargé d’organiser les élections, le Conseil Électoral Provisoire, ne compte qu’une femme sur 9 membres.

Le mouvement féministe haïtien devra réclamer de l ’État haïtien d’entreprendre des actions positives spécifiques pour promouvoir la gouvernance participative et la participation paritaire des femmes dans la vie politique de leur pays. Il faut une législation nationale et d’autres mesures de nature à garantir que les femmes participent à toutes les élections sans aucune discrimination et qu’elles soient représentées en parité avec les hommes et à tous les niveaux, dans les processus électoraux. Il conviendra aussi d’engager une réflexion dans la société sur les mécanismes de participation des femmes dans les instances décisionnelles (quotas, parité ou autres…. ?). Le mouvement féministe haïtien devra exiger des responsables étatiques de s’assurer que les femmes soient des partenaires égales des hommes à tous les niveaux de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques et des programmes de développement.

L’amélioration de la condition des femmes et le respect de leurs droits dans le cadre d’une société en voie de se démocratiser véritablement, seront le fruit de toutes ces actions que devra entreprendre le mouvement féministe haïtien dans les années à venir.

Renforcer le mouvement féministe dans le cadre du renforcement du processus de démocratisation de la société

L’aboutissement de ce processus dépendra fondamentalement, d’une part, du renforcement du mouvement féministe. Dans cette perspective, les démarches d’extension engagées par la Coordination Nationale de Plaidoyer pour les droits des Femmes (CONAP) devront être poursuivi.

La réalisation des conditions d’égalité en droit des femmes haïtiennes et de leur épanouissement dépendra, d’autre part, de la mise en place et de la consolidation des institutions étatiques ainsi que de l’instauration de l’autorité de l’Etat. Vingt ans après la chute de la dictature des Duvalier, l’organisation des élections devra être assurée par exemple par une institution permanente. L’autonomie des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) devra être traduite dans les faits. Le rapport mouvements sociaux et pouvoirs publics devra être établi, ce qui requiert une rupture avec les pratiques d’instrumentalisation des organisations populaires. Ce gouvernement devra absolument sortir de son mutisme et communiquer à la population son plan de développement économique et social. Il devra aussi sortir de son immobilisme pour mener des actions concrètes dans une perspective de construction démocratique. Il devra enfin sortir de son autisme pour être à l’écoute des revendications populaires.

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[1Linguiste, Militante féministe