Par Nancy Roc, pour Panos Caraibes
Soumis à AlterPresse le 5 mars 2007
Le Docteur Yvette Bonny est une légende vivante de la communauté haïtienne à Montréal et a toujours pris le temps de s’impliquer socialement dans cette dernière alors qu’elle a atteint la notoriété au Québec et au Canada et figure dans la dernière édition du Who’s Who in Black Canada. En effet, Madame Yvette Bonny, pédiatre et hématologue a réalisé la première greffe de moelle osseuse au Québec en avril 1980.
Elle a fait ses études de médecine en Haïti et s’est spécialisée en pédiatrie à l’Hôpital Sainte Justine, la « Mecque » de la pédiatrie au Canada. À cause des turbulences politiques qui secouaient déjà Haïti dans les années 60, ses parents l’encouragent à rester au Québec et elle décide alors d’acquérir une deuxième spécialité en hématologie. En 1970, elle est pédiatre-hématologue au Centre hospitalier de Maisonneuve-Rosemont où elle a été responsable de l’Unité provinciale de transplantation de moelle osseuse de 1980 à 1998.
Femme noire et médecin, le Dr Yvette Bonny a fait preuve de beaucoup de détermination et d’une compétence exemplaire avant d’atteindre les sommets de la notoriété dans un milieu médical qui, selon elle, était alors « un milieu d’hommes et même macho » a-t-elle confié à Panos. « Il fallait que je me distingue en faisant mieux qu’eux. Je n’ai pas choisi d’être agressive mais j’ai établi des liens d’amitié avec ces hommes. Ils étaient comme des frères et petit è petit, ils ont découvert l’amie en moi, la complice et parfois ils venaient me demander des conseils. C’est ainsi que j’ai pu faire ma place et même être choyée à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont » raconte-t-elle à Panos.
En avril 1980, en réalisant la première greffe de moelle osseuse au Québec, elle est propulsée au summum de la notoriété. « Les premières greffes de moelle ont été réalisées en Europe après Hiroshima et Nagasaki et ont été des échecs parce que le typage cellulaire HLA n’avait pas encore été découvert. Pour avoir ce genre de greffe il faut avoir un donneur qui n’a pas le même groupe sanguin mais le même typage cellulaire. Ce n’est qu’en 1967 qu’on découvre ce typage HLA : human leucocyte antigen. Le malade est souvent atteint de leucémie ou de cancer mais parfois il peut avoir une aplasie médullaire qui est une moelle désertique. », a expliqué le Dr Bonny à Panos. Les deuxièmes générations de transplantation de moelle vont se faire autour des années 67-70 à Seattle avec un certain succès et le Québec suit ces progrès notamment à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont où le Dr Yvette Bonny souhaitait être la première à effectuer ce genre d’opération. En 1980, une femme se présente avec ses deux filles dont une malade et l’aînée, Sonia âgée de 12 ans, souffre de d’une aplasie médullaire. Condamnée à mort, Sonia devait être envoyée aux Etats-Unis mais ses parents n’avaient pas les moyens financiers pour la faire soigner à l’étranger. Ils confient donc leur fille aux mains du Dr Bonny qui déclare n’avoir jamais fait cette opération même si elle en a acquis les notions théoriques. Refusant de laisser mourir l’enfant, le Dr Yvette Bonny accepte donc ce challenge et réussit cette grande première. Aujourd’hui, Sonia est devenue elle-même infirmière à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont et le Dr Bonny la considère comme sa fille.
Depuis, le Dr Bonny a effectué plus de 200 greffes de moelle osseuse sur des enfants au Québec et est, depuis l’année 2000, en semi retraite. Madame Bonny a reçu, pour l’ensemble de son œuvre, de nombreux titres honorifiques, prix et distinctions dont nous ne citerons que quelques-uns, la liste étant très longue :
Prix « Madame Pédiatrie » pour la personne la plus appréciée du département de pédiatrie à Maisonneuve-Rosemont en 1977
Prix d’Excellence de la communauté haïtienne de Montréal dans la catégorie Médecine en 1986
« Médecin de cœur et d’action » de l’Association des médecins de langue française du Canada en 1993
Femme de mérite, catégorie Santé du YMCA en 1996
Citoyenne d’honneur de la Ville de Montréal en 1997
Professeur de l’année 1999-2000, département de médecine de l’Université de Montréal
Ordre Honneur et Mérite au grade de Chevalier National du Président Préval en 1999 à l’occasion de la Semaine de la Diaspora
Prix du Millénaire femme, Santé, Droits Humains en 2000
Prix Jackie Robinson, « Montreal Association of Black Business Persons and Professionals », en 2004
Living legend, International Biographical Center, Cambridge, England, en 2005
Première récipiendaire du prix de reconnaissance du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) du Centre hospitalier de Maisonneuve-Rosemont, en 2006
Face à l’hémorragie des ressources humaines haïtiennes qui a conduit, selon le dernier rapport de la Banque Mondiale, 83% des cadres Haïtiens à s’installer à l’étranger et en particulier en Amérique du Nord, le Dr Yvette Bonny se désole : « C’est poignant de constater que le pays le plus pauvre du continent fournit le plus de cerveaux au reste du monde et les rares cerveaux qui restent en Haïti ne rêvent que de partir. L’autre problème c’est qu’ici, nous vieillissons et les jeunes Haïtiens intégrés au Québec ont perdu leurs racines et sont de moins en moins enclins à retourner en Haïti sauf peut-être pour aider comme des étrangers le feraient. Ils n’ont plus cette âme haïtienne, » a-t-elle déclaré à Panos.
En dehors de ses activités professionnelles, le Dr Yvette Bonny a toujours pris le temps de s’impliquer socialement dans sa communauté d’origine et dans la société québécoise. Elle est, entre autres, membre de LEUCAN, l’Association de parents et d’enfants atteints de leucémie et de cancers, membre du Conseil d’administration de l’Entraide bénévole Kouzin-Kouzine, un organisme semblable aux « Grands Frères », dédié aux jeunes Haïtiens en difficulté à Montréal. Le Dr Yvette Bonny tient à aider ces derniers car ils sont victimes d’exclusion. « Lorsque nous sommes arrivés, nous n’étions pas nombreux et nous avons eu plus de chance car nous n’étions pas menaçants. Aujourd’hui, les Haïtiens sont plus nombreux et donc perçus comme plus menaçants. Les jeunes travaillent dans des petits commerces mais n’ont pas l’opportunité de s’intégrer dans des métiers où ils pourraient se prouver malgré ce que le gouvernement veut laisser croire. C’est pour cela que beaucoup d’entre eux décrochent de l’école et se retrouvent dans des gangs ou en prison. Quand je suis arrivée et que j’étais reconnue par les Québécois, je les croyais de bonne foi et j’acceptais leur reconnaissance. Ce n’est plus le cas de ces jeunes car ils sont Québécois et sont chez eux et c’est le message que nous essayons de faire passer. Ils doivent faire leur place en disant qu’ils sont Québécois, Canadiens et chez eux, » a souligné le Dr Bonny qui se désole aussi du phénomène des déportés vers Haïti : « Nous n’arrivons pas à aider notre pays, les cerveaux sont ici et ceux à qui il faudrait tendre la main sont retournés dans leur pays d’origine qu’ils ne connaissent pas où non seulement ils ne sont pas intégrés, mais où ils vont donner des leçons de terrorisme aux jeunes qui sont au pays. Alors çà c’est un drame ! », a déploré le Dr Bonny au micro de Panos.
Concernant l’avenir de son pays d’origine, le Dr Yvette Bonny doute qu’elle puisse voir une nouvelle Haïti car elle dit toujours que c’est un des rares pays où ses grands-parents ont connu une meilleure Haïti que ses parents et que l’Haïti qu’elle a connu était meilleure que celle que les jeunes connaissent aujourd’hui. En d’autres termes, de génération en génération, le pays s’appauvrit et empire. « C’est ce qui m’inquiète car j’ai toujours voulu prendre ma retraite en Haïti et continuer à aider les enfants là-bas mais je ne vois pas d’issue même si ce jugement est un peu dur pour les dirigeants et ceux qui se battent en Haïti. Je leur souhaite bonne chance et espère qu’ils réussiront mais l’avenir est sombre », a regretté le Dr Bonny.
À l’occasion de la Journée Internationale de la Femme, Madame Yvette Bonny a souhaité, malgré cet avenir sombre, que les femmes Haïtiennes continuent à poursuivre leurs efforts car elles ont toujours tenu la barre haute : « Si j’ai eu le prix Claire Heureuse c’est parce qu’elle était la femme derrière Jean-Jacques Dessalines qui nous a donné l’indépendance. Femmes Haïtiennes, vieilles et jeunes, les femmes Noires sont fortes, nous sommes capables, il s’agit de vouloir car vouloir c’est pouvoir ! », a conclu le Dr Yvette Bonny.