Marc Antoine Archer [1]
Soumis à AlterPresse le 28 février 2007
« Si vous ne savez pas dans quelle direction aller, n’importe quel chemin fera l’affaire. »
Lewis Caroll
Il n’est ni facile ni aisé d’écrire sur la situation énergétique d’Haïti, sur les préoccupations énergétiques qui devraient occuper en permanence l’esprit des élites du pays, c’est-à-dire, des décideurs, des « faiseurs de politique », des « acteurs de l’économie », des « parleurs de culture ». Quoique difficile, je crois cependant que ce « travail d’écriture » est un travail pédagogique nécessaire à effectuer pour informer, former et mentaliser notre société sur l’ampleur et la gravité des problèmes énergétiques du pays. Il mérite donc d’être fait. En plus, certains événements m’ont poussé à réagir pour me forcer à travailler dans ce sens :
1- La conférence des bailleurs de fonds, à Madrid, le mois de novembre dernier, (concrètement du 28 au 30 novembre 2006), ce qui m’a permis d’observer la gravité du dénuement d’Haïti au niveau infrastructurel.
2- L’intervention du Président des Etats-Unis d’Amérique lors de son discours sur l’état de l’Union (2007). Après avoir analysé les perspectives énergétiques mondiales, il insista sur l’obligation pour les Etats-Unis de réduire sa consommation énergétique. Il soutint que l’utilisation de l’énergie solaire et de l’énergie nucléaire devrait être un fait aux Etats-Unis et que leur apport à la contribution énergétique devrait être d’au moins 20% du total. L’utilisation des biocombustibles devrait aussi permettre de diminuer la pression sur les combustibles fossiles.
3- Les préoccupations de l’Union Européenne qui apprécie de plus en plus son degré de vulnérabilité énergétique et semble vouloir se lancer vers la re-nucléarisation de sa génération électrique ainsi que la consolidation de son potentiel en Énergies Renouvelables.
Cela m’a conduit aussi à vouloir insister à nouveau non seulement sur les options possibles qui peuvent permettre d’obtenir la satisfaction des besoins énergétiques (globaux) en Haïti mais aussi sur l’effet causé sur nos structures de fonctionnement, par les paramètres fondamentaux de la géopolitique de l’énergie, à savoir :
1- La sécurité de l’approvisionnement (satisfaction politique et économique des besoins).
2- L’Indépendance énergétique de notre société (la pétrodépendance ou la vulnérabilité énergétique)
3- La Compétitivité des prix de l’énergie (Économie)
4- Le Respect de l’environnement
Et tout cela dans un cadre de préoccupation globale causée principalement par les facteurs suivants :
1- La pression économique exercée par :
a. la spéculation sur les marchés de l’énergie,
b. l’instabilité politique des zones d’approvisionnement
c. l’utilisation idéologique des ressources pétrolières.
2- La pression sociale causée par les « vélléités nucléarisantes », par la « re-nucléarisation de fait, de la production énergétique.
3- La croissance énorme de la demande (à cause des besoins, légitimes, mais sans cesse croissants des pays en profonde transformation : La Chine et l’Inde principalement.)
4- Le changement climatique.
5- L’utilisation de l’hydrogène dans les cycles de production d’énergie électrique.
En Haïti, que faisons-nous ?
Quels sont les facteurs décisionnels utilisés par les responsables ?
Quelles sont les orientations politiques ?
Quels sont les choix technologiques ?
Peut-on continuer à permettre, en plein XXIème siècle, qu’un responsable, au gré de son humeur ou en fonction de son groupe d’intérêts (occultes ou déclarés) personnels (ou de classe, de caste, de clan ou de lakou), engage le futur technologique de toute une société, d’un pays ?
L’énergie est l’épine dorsale d’une société. On le sait tous. Et, les services énergétiques, dans un pays, doivent permettre :
1- D’assurer à tout individu, à chaque citoyen, l’accès à des services énergétiques de base, de qualité.
2- De fournir des services énergétiques en quantité suffisante, de façon ininterrompue, afin de ne pas limiter l’individu dans ses différents besoins de :
- Déplacement
- Conservation d’aliments et de médicaments
- Éclairage
- Confort thermique.
3- De fournir au monde économique local les moyens énergétiques nécessaires à la production de biens et de services, dans des conditions non onéreuses (compétitivité de l’économie, efficacité énergétique, réduction des coûts énergétiques, contrôle de l’intensité énergétique).
Éléments nécessaires, indispensables, fondamentaux pour la survie même d’une société. En ce sens, le concours du secteur privé est fondamental pour atteindre ces objectifs. L’État, lui, doit pouvoir établir toute la structure nécessaire : le cadre légal, la normalisation technique, la protection juridique, la réglementation administrative. Cela veut donc dire établir tout un cadre de fonctionnement obligeant à :
1- L’observance de certaines règles de base telles :
- La sécurité dans l’approvisionnement
- La distribution adéquate à travers des circuits et des réseaux causant le moins d’impact possible sur l’environnement.
2- La réduction, de façon notable, des ponctions sur les ressources non renouvelables.
3- La minimisation des risques et des nuisances environnementaux locaux et globaux liés aux différentes structures créées.
Il ne suffit plus maintenant de se demander si :
- On est capable de le faire en Haïti
- On a les moyens pour le faire
- Les conditions psychologiques et politiques (la volonté politique, le besoin citoyen d’y arriver, la pression sociale, l’estime collective) sont suffisamment matures pour créer le cadre nécessaire.
Il s’agit de le faire, de créer le cadre de fonctionnement nécessaire, de se procurer les moyens de le faire, de trouver le modèle de fonctionnement adéquat et de le mettre à l’œuvre, sans oublier que le pétrole restera rare et cher durant les années et les décennies à venir (Nul ne saurait le nier ou ne pas être complètement d’accord). Et quoique le pétrole masque les problèmes de son épuisement et de sa consommation irresponsable par une baisse des prix, on ne saurait ne pas se maintenir sur ses gardes. Donc, que proposer pour Haïti comme modèle ? Comment adapter les modes de fonctionnement du pays aux nouveaux paramètres géopolitiques de l’énergie ?
L’énergie, la disponibilité énergétique, est un élément indispensable à la transformation d’Haïti, à son développement. L’électricité est fondamentale. La pauvreté de la demande est l’argument souvent utilisée par « certains connaisseurs » pour expliquer l’insuffisance de l’offre. Le pouvoir d’achat est trop bas pour permettre le développement du secteur et le secteur industriel trop atrophié pour faciliter les investissements. L’inertie du marché électrique ne permet pas l’obtention de grands bénéfices immédiats. Il s’agit donc de miser sur le moyen terme car le comportement de la demande aura à modifier son profil et se reposer sur :
Les processus industriels (Froid industriel - Production de Chaleur – Production de force motrice)
L’éclairage public (Éclairage de rues, de places et de routes – Services énergétiques aux bâtiments publics)
Le transport à traction électrique (Processus d’électrification du transport urbain et interurbain à l’aide du transport ferroviaire : train – métro – tramway)
Le secteur services (Hotellerie et restauration. Un pays comme Haïti avec moins de 2.000 chambres d’hôtel devra s’attendre à atteindre au moins 50.000 si on veut commencer à parler d’exploitation du tourisme. Or, un hôtel de 60/80 chambres a un besoin de puissance installée d’au moins 500 KW pour satisfaire l’intégralité des besoins standards de ses clients : cuisine - climatisation – eau chaude sanitaire – éclairage – piscines – sauna- spa- etc.)
Le secteur résidentiel en dernier lieu.
Tout cela a un coût. Pour trouver les fonds, l’implication du secteur privé est fondamental, et aussi le contrôle citoyen, la création de mécanismes permettant de rendre effectif ce contrôle. La décentralisation est le meilleur moyen de construire une structure énergétique propre, solide et capable de résister aux avatars géopolitiques de l’énergie. Bien que parler de souveraineté énergétique soit utopique, la recherche de compétitivité pour le pays oblige à rechercher la façon de satisfaire les besoins énergétiques de la façon la plus économique. En ce sens, il convient de penser à :
L’utilisation du potentiel hydroélectrique (loin d’être à son maximum)
Les ressources renouvelables sont toujours à exploiter : biomasse – biocarburants en général – Solaire photovoñtaïque – Solaire thermique – Éolien.
La formation d’un système régional décentralisé basé sur l’utilisation des ressources renouvelables.
La diversification de producteurs, l’appui aux petits producteurs (incentivation fiscale – détaxation – achat de la production à des tarifs préférentiels), la création d’un marché de l’électricité, la création d’un capital énergétique, la création de pôles industriels, la pénalisation des « producteurs individuels ».
Donc, le meilleur modèle pour Haïti est un modèle combiné, basé sur la décentralisation énergétique donnant la priorité à l’utilisation des énergies renouvelables.
Enfin, puisque « il n’y a jamais de vent pour celui qui ne sait pas où il va », prions, oeuvrons pour que les dieux nous soient propices et fassent que nous sachions où aller. Si tel est notre désir !
Barcelone, Février 2007
Contact : iphcaten@yahoo.es
[1] Physicien Industriel