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Haiti-Viol : Témoignages poignants des victimes

Par Marie-Frantz Joachim, pour Panos-Caraibes

Soumis à AlterPresse le 26 février 2007

« La société haïtienne ne semble pas mesurer l’ampleur et les conséquences du viol dans la vie d’une fillette ou d’une femme » : telle est la conclusion que tire Panos-Caraibes dans un dossier rassemblant des témoignages de victimes de viol et titré « Viol en Haïti : Portraits de filles et de femmes victimes ».

L’organisme qui est parvenu à répertorier 11 témoignages de femmes et filles ayant subi le viol dans diverses circonstances soutient que cette pratique est « à la fois un point d’actualité et un phénomène méconnu ». C’est, poursuit-il, un thème qui suscite un certain intérêt. Pourtant, ajoute-t-il, « les mythes sociaux qui entourent le viol sont si profonds et nombreux, qu’en réalité, le phénomène est encore occulté dans notre société ».

En général, selon Panos-Caraibes, « la victime préfère taire l’agression. Elle a honte de la déclarer. Elle a souvent des difficultés à la prouver. (…) La crainte d’être elle-même suspectée de prostitution ou de passer pour une allumeuse explique dans beaucoup de cas la réticence de la victime à dénoncer le viol ».

Le dossier de Panos-Caraibes a cependant fait « rompre le silence » à plusieurs victimes, particulièrement celles qui ont bénéficié d’un accompagnement psychosocial et/ou juridique auprès d’associations féministes, d’institutions de santé ou d’accompagnement psychosocial.

Les filles et femmes violées qui se sont confiées sont âgées entre 10 et 35 ans. Elles ont été agressées soit chez elles, soit loin de leurs résidences, par des proches, par des inconnus, « et, évidement, par les temps qui courent, des femmes ou filles sont violées en captivité », souvent « sous la menace des armes », souligne le dossier.

Martine, 10 ans, a été violée chez elle par un voisin. Annie, 17 ans, a été violée chez un voisin. Claudine, 15 ans, a été violée après avoir été contrainte de suivre un inconnu. Laetitia, 14 ans, a été violée en domesticité par un neveu de la maîtresse de maison. Tamara, 15 ans, a été violée par un adulte de 46 ans, alors qu’elle était en situation de convalescence. Deux sœurs, Caroline, 16 ans, et Lina, 14 ans, ont été violées simultanément dans la rue. Claire, 22 ans, a été violée dans un ravin par un groupe d’individus et est infectée par le virus du SIDA. Régine, 27 ans, a été violée par un kidnappeur. Monique, 27 ans, a été violée à plusieurs reprises par ses ravisseurs. Claudette, 35 ans, a été violée par une bande de kidnappeurs. Sophia, 23 ans, a pour sa part été violée par trois casques bleus de l’ONU, rapporte le dossier de Panos-Caraibes.

Le cas de Martine est semble-t-il parmi les plus courants. Elle vit à Fond Des Nègres (Sud) et est laissée seule à la maison un jour de mars 2006. Un voisin âgé de 23 ans, ami de la famille, s’introduit dans la maison. « Tout de suite, le jeune homme s’attaque à la fille qu’il contraint de toutes ses forces de se coucher pour pouvoir accomplir son forfait », lit-on dans ce récit. « J’ai beaucoup souffert, j’ai eu mal au vagin, j’ai eu mal au ventre », confie la victime, violée jusqu’au sang. Le violeur est arrêté, mais des menaces de mort pleuvent de la part de la famille de l’agresseur. La mère de Martine est obligée de déménager, avec sa fille, puis de venir à Port-au-Prince où la fille violée est accueillie par une organisation féministe.

Agée de 5 ans de plus que Martine, Claudine, 15 ans, habite à Carrefour, où un soir, alors qu’elle revient de la quête de l’eau, elle est contrainte sous la menace d’un revolver d’accompagner un individu qui la suivait. Prise violemment par le bras et traînée pendant une dizaine de minutes jusqu’à « une petite pièce » que l’homme « ferme à double tour », Claudine est violée sous la menace d’ « une balle dans la tête si je crie ». « C’était la première fois et j’ai eu très mal au vagin et au ventre », a témoigné la victime. Tombée enceinte, Claudine est abandonnée par sa famille.

Victime de viol également, Laetitia, enfant de 14 ans, en domesticité dans un quartier populaire de la capitale. Dans son récit, Laetitia raconte qu’un soir elle est seule à la maison avec un neveu de sa tutrice. Alors que les derniers marchands ambulants s’affairent à rentrer chez eux et que la clameur de la ville commence à s’estomper, elle ne se doute de rien et met la dernière main à quelques taches domestiques. « Brusquement, elle reçoit sur elle tout le poids d’un jeune homme qui lui saute dessus. Le temps de reconnaître qu’il s’agit du neveu de la maîtresse de maison, elle reçoit des coups partout. Elle tente en vain de se défaire de l’individu qui déploie une force bien supérieure à la sienne. Brutalisée, affaiblie, elle est violée sur le champ, sans ménagement ».

Devenue mère et ne pouvant assumer ses responsabilités, la fille de Laetitia a été adoptée par une riveraine. En phase de récupération dans un centre d’hébergement, elle n’a maintenant « qu’un seul objectif, reprendre ma fille ».

Le cas de Tamara illustre, d’autre part, la situation d’une adolescente en convalescence dans une commune de Jacmel, après avoir subi trois opérations à risque. C’est dans ces circonstances qu’elle est violée par un cousin de sa mère, âgé de 46 ans. « Il me fait savoir clairement et sur un ton très ferme qu’il me tuera si je parle à ma mère de ce qui va se passer dans un instant ». Boni réalise son forfait, accroissant les souffrances de la jeune malade, et, par la grossesse qui s’en suit, le danger de mort qui guète la jeune fille.

Le dossier de Panos-Caraibes rapporte aussi les témoignages de plusieurs victimes de viol durant leur séquestration par des kidnappeurs. Un jour de février 2006, Monique, une marchande de 27 ans, se rend à ses activités au centre de Port-au-Prince, lorsqu’elle est kidnappée par 2 jeunes hommes d’une vingtaine d’années, qui la poussent dans une voiture. Destination inconnue. Se retrouvant dans une petite pièce quelque part, Monique est contrainte de se déshabiller « comme un verre » devant « des hommes extrêmement menaçants ». Durant plus de 3 semaines, « je suis violée plusieurs fois tous les jours par plusieurs d’entre eux », dévoile-t-elle.

Après sa libération contre rançon, n’ayant accès à aucun encadrement, Monique ne va consulter aucun médecin. Elle se contente de quelques remèdes traditionnels. Elle souffre de vertige, elle est devenue « dépendante de la cigarette ». Ses enfants ne vont plus à l’école et la famille est pratiquement disloquée, indique le document.

« Ces témoignages de victimes de viol ne représentent qu’un échantillon qui ne fait pas ressortir tous les aspects de ce phénomène en Haïti », selon Panos-Caraibes, qui souligne l’inexistence de structure étatique dédiée à aider les femmes violées. « La grande majorité d’entre elles sont livrées à elles mêmes, s’enferment dans leur honte et leur silence, ruminent dans leur esprit cet acte douloureux qui les ronge ».

Il en existe néanmoins, celles qui, comme Claire, 22 ans, violée dans un ravin par un groupe d’individus et infectée par le SIDA, surmontent tant bien que mal leur peine, remontent la pente, tentent de donner un sens à leur vie et ne lâchent pas leur rêve « d’ouvrir une école de pâtisserie ».