P-au-P., 30 juin 03 [AlterPresse] --- Eclaircir les concepts partis politiques et société civile, les analyser dans leurs relations antagoniques et complémentaires, suivre leur évolution depuis la chute de la dictature des Duvalier en 1986, mesurer leurs atouts
et faiblesses, dégager des perspectives en vue de leur consolidation.
C’est à ce pari que se sont livrés l’écrivain Yanick Lahens et le professeur Ariel Henry à la dernière table ronde du Centre de Recherche et de Formation Economique et Sociale (CRESFED), le mardi 24 juin 2003.
Avant d’introduire les panélistes, la directrice du CRESFED, Suzy castor, a dressé un panorama plus ou moins global des rapports partis politiques / société civile, en s’inspirant d’une précédente table ronde du centre (animée par l’ancien Premier ministre Rony Smart, le journaliste Hérold Jean François et le professeur Christian Rousseau) à laquelle est consacré le numéro 17 de la revue « Rencontres ».
Ce survol a mis en lumière une différence fondamentale entre les partis politiques et la société civile. Cette différence se situe au niveau de la relation avec le pouvoir. Alors que la société civile, formée d’acteurs à intérêts divers, défend ceux-ci face à l’Etat et s’articule dans des structures dont les éléments expriment les contradictions sociales, les
partis politiques expriment les intérêts de pouvoir de tel groupe social, organisé politiquement, idéologiquement, et mu par la prétention de conquérir le pouvoir par la voie électorale.
Suzy Castor note qu’il a toujours existé peu d’articulation entre la société civile et les partis politiques. « Celui-ci tendant à remplacer celui-là . D’où le choix de Jean Bertrand Aristide », en 1990.
La directrice du CRESFED souligne par ailleurs la phase de mutation dans laquelle se trouve Haïti et indique que les problèmes de structuration se posent tant pour les partis politiques que la société civile. Elle estime toutefois que les deux constituent des pivots essentiels au progrès et à la stabilité et se complètent.
L’écrivain Yanick Lahens a abondé dans le même sens en présentant les partis politiques et la société civile comme deux types d’action citoyenne qui ne s’excluent pas, mais qui tendent à renforcer la création d’un espace public. Affirmant ne pas connaître dans les sociétés modernes d’autres mécanismes pour garantir le pluralisme démocratique, la conférencière a plaidé pour la consolidation des partis politiques. Selon Madame Lahens, les partis politiques ont pu, malgré leur faiblesse, sauvegarder un carré, si infime soit-il, que la société a su insérer dans l’espace de médiation.
L’écrivain a aussi planché sur le paradoxe du rejet que semble vivre les partis politiques. A son avis, le recul des partis politiques n’est pas un problème spécifiquement haïtien. Il résulte, sous de nombreux cieux, d’un désenchantement de la politique.
Yanick Lahens a souligné un ensemble de facteurs ne facilitant pas l’émergence d’une véritable classe politique. Elle a cité entre autres la tradition de la clandestinité (des partis politiques), la tradition des partis sans références, la faible disponibilité de gens ayant qualité, légitimité et compétence pour prendre des décisions importantes, la tradition de l’Etat totalitaire.
Yanick Lahens a également interrogé les postures historique et culturelle du peuple haïtien par rapport aux problématiques de l’engagement et de la participation. Elle s’est ensuite employée à camper les diverses générations de société civile ayant émergé depuis 1986. La première vague, avec notamment les TKL, les organisations populaires et les syndicats, qui a donné un désenchantement ; la deuxième avec l’entrée en jeu d’une partie de la bourgeoisie, restée généralement dans l’ombre pour des raisons politiques et historiques. Une entrée en scène suivie d’une suspicion qu’il convient d’interroger, selon la conférencière. La dernière vague est constituée par le Groupe de 184. « On va demander à cette société civile de jouer un rôle qui n’est pas le sien (la prise du pouvoir) ».
Yanich Lahens croit que la construction démocratique suppose une logique d’inclusion. « Nous sommes sommés d’être inventifs et de trouver de nouvelles formules pour casser la méfiance et le marronnage qui l’accompagne ».
Le dernier panéliste, Ariel Henry, a souhaité que la société civile et la société politique puissent trouver un terrain d’interaction pour arriver à un meilleur équilibre de l’espace public. Selon le professeur Henry, les antagonismes qu’on croit percevoir entre les deux sont dus au fait que la population s’attende à des résultats immédiats.
Le panéliste explique en partie l’échec des partis politiques par leur incapacité à mobiliser l’opinion et à changer la réalité. La société civile, elle, gagnerait des gallons par le fait qu’elle adresse des besoins réels, immédiats, et ouvre de nouvelles perspectives dans des domaines que négligent généralement les partis politiques. Selon le professeur Henry, les
gens de la société civile permettent aux politiques de mieux se positionner et d’affiner leur stratégie.
La phase des exposés a été suivie d’un débat très animé au sein d’une assistance nombreuse, au point que, outre la salle principale, la cour du CRESFED a dû être mise à contribution. [vs apr 30/06/2003 23:00]