Par Marie-Frantz Joachim, pour Panos-Caraibes
Soumis à AlterPresse le 7 février 2007
Le viol prend des proportions de plus en plus alarmantes en Haïti et connaît une véritable explosion au cours de ces années 2000, selon un dossier préparé et mis en circulation par Panos-Caraibes sous le titre « Viol en Haïti : Etat des lieux accablants ».
Ce dossier, qui présente la problématique du viol et les conséquences de cette violence sur les femmes, établit que cette pratique « s’exerce dans tous les lieux. Il s’étend de l’espace familial à l’espace de travail en passant par les espaces de loisir et d’autres lieux isolés. Il atteint toutes les couches sociales les riches, les pauvres comme les classes moyennes ».
Le dossier mentionne une enquête de la revue anglaise The Lancet, publiée électroniquement le 31 août 2006 et qui rapporte 35.000 cas de viols et agressions sexuelles perpétrés entre 2003 et 2005.
A la même époque, à partir d’investigations partielles dans ses zones de travail, l’organisation Solidarité des Femmes Haitiennes (SOFA) a confirmé « une nette tendance à l’accroissement », souligne le dossier de Panos-Caraibes.
La SOFA a relevé 44 cas de violence sexuelle et 31 cas de viols de janvier à mai 2005. Des chiffres qui étaient de loin inférieurs dans les années précédentes avec 30 cas de violences sexuelles accompagnées de 15 cas de viols pour toute l’année 2003, 46 cas de violences sexuelles et 25 viols pour toute l’année 2004.
« La situation atteint un niveau d’horreur gravissime dans la mesure où les nombreux cas concernent des fillettes de 2, 5, 7, 8, 13, 15 (...) ans », relève le document, ajoutant que « les femmes violentées sont (…) soumises à des sévisses corporelles les plus cruelles à savoir : assassinats, matrices perforées, yeux crevés, blessures graves ».
Ces violences ne sont pas sans rapport avec le contexte politique haïtien, marqué par une crise politique récurrente, faisant monter de temps à autre le niveau de violence observée dans la société. Le viol s’est ainsi converti en « arme politique » à partir des années 1990. « Le viol des femmes et des filles est devenu, une tactique de guerre utilisée pour humilier et terroriser la communauté ennemie », lit-on dans le dossier.
L’exemple du coup d’état du 30 septembre 1991 est mis en avant pour montrer comment cette pratique instrumentée a été utilisée « non seulement par des criminels, mais aussi par des activistes politiques tendant à imposer silence à leurs opposants ». Le viol servait alors à « intimider et punir les femmes à cause de leur lien direct ou indirect avec l’opposition au coup d’État ».
Les agresseurs étaient en effet des officiels ou des individus appartenant à l’appareil d’État (membres de l’armée, attachés, chefs de sections, paramilitaires, etc) qui tous « opéraient à l’instigation de l’armée ou bénéficiaient de son soutien ou de son consentement », souligne l’étude.
Une répétition de ces comportements a été observée depuis septembre 2004 dans le cadre de l’opération de violence armée appelée Bagdad, en faveur du retour en Haïti de l’ex-président Jean Bertrand Aristide. Des « actes de torture et autres châtiments barbares, inhumains et dégradants » ont été perpétrés sur les femmes, torturées sexuellement afin d’être mises « dans un état de ‘mort subjective’ », indique le document.
Citant un rapport de l’association féministe Kay Fanm, rendu public en décembre 2004, le dossier de Panos-Caraibes souligne que sur 272 femmes victimes de violence accueillies par cette organisation, « 85 étaient des cas de viols perpétrés par des groupes armés ».
Toujours selon ce dossier sur le viol, les Centres médicaux du Groupe Haïtien d’Etude du Sarcome de Karposi et des Infections Opportunistes (GHESKIO) ont indiqué avoir admis 81 femmes victimes d’agressions sexuelles de juillet à septembre 2004. Cinquante-quatre pour cent d’entre elles ont été violées en leur domicile par des hommes armés.
Abordant les conséquences du viol, Panos estime qu’elles sont « nombreuses, profondes et douloureuses », cette violence ayant des répercussions « psychologiques, médicales et économiques considérables pour la victime ».
La femme violée présente des « difficultés sexuelles qui peuvent se traduire par l’abstinence ou l’errance… », des « difficultés somatiques et psychosomatiques », qui se manifestent, entre autres, à travers « des problèmes gynécologiques, des douleurs au ventre, à l’anus et au dos, ainsi qu’un besoin de faire fréquemment sa toilette intime… », sans compter « les diverses pathologies psychiques telles la dépression, les psychoses, le mal-être généralisé, le sentiment de culpabilité dévorant, le sentiment de vide et de non-sens, le dégoût de soi, de son corps et de son image dans le miroir ».
Le dossier note aussi l’importance du « risque d’attraper des IST notamment le VIH /SIDA (…) : d’où la peur constante de la victime d’être séropositive ».
A travers ce document, Panos Caraïbe met en lumière également les instruments légaux traitant du viol, les instances de recours ainsi que les acteurs et actrices impliqués dans l’assistance aux victimes ou le combat pour l’éradication du viol.
Une avancée est observée en ce qui concerne les lois haïtiennes qui, depuis juillet 2005, traitent le viol comme un « crime » puni par la réclusion et non plus comme un « attentat aux mœurs ».
A propos des structures étatiques sollicitées par les victimes de viol, l’accent est porté sur le travail des commissariats de police, du Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF), de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) et du Cabinet d’Instruction.
Des structures non-étatiques assistent également les victimes de viol, notamment des institutions et associations qui procurent un accompagnement psycho-social dont Programme Objectif Zero Sida (POZ) et la Fondation pour la Santé Reproductive et l’Education Familiale (FOSREF) et d’autres qui, en plus de ce volet, fournissent un appui juridique et de plaidoyer.
Il demeure cependant que le viol doit être sanctionné, selon ce que préconise le dossier constitué par Panos-Caraibes. « Il est primordial d’appliquer des sanctions contre les agresseurs, une des conditions indispensables à la reconstruction de la personnalité des femmes victimes de viol et une étape incontournable du travail de mémoire des peuples, répondant aux besoins de reconnaissance de ces atteintes par la société. Cela requiert, évidemment, l’existence d’un cadre juridique cohérent et un système judiciaire approprié ».