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Haïti : L’agriculture urbaine et périurbaine face au déficit d’infrastructures

P-au-P., 05 fév. 07 [AlterPresse] --- En Haïti, l’agriculture représente 25% du produit intérieur brut (PIB). Elle constitue la principale activité des gens en milieu rural (où résident deux ménages haïtiens sur trois). Parallèlement à cette agriculture rurale, se développe une culture urbaine et périurbaine (en bordure des villes).Cette dernière bute sur des difficultés de tous genres.

Faute de mieux

« Les activités ne tournent pas rond. Mais nous n’avons pas le choix, si nous voulons nourrir nos enfants ».

Cette revendeuse de légumes s’approvisionne au principal marché public de Port-au-Prince, la Croix-des-Bossales.

Avant de s’adonner au commerce de légumes, Ghislaine gagnait sa vie en alternant les activités d’employée de maison et de cultivatrice, dans sa commune natale, Kenscoff (Est de Port-au-Prince).

L’essentiel de l’agriculture urbaine

La production de légumes constitue l’essentiel de l’agriculture urbaine en Haïti. Il s’agit en fait de la culture en pot, à l’instar de la culture de fleurs dans d’autres pays.

Selon l’agroéconomiste Gilles Damais, qui travaille en Haïti depuis plusieurs années pour le compte d’un bureau d’étude français, l’agriculture urbaine se fait principalement dans les quartiers populaires. « On place les pots que l’on construit sur le toit des maisons. Ils bénéficient à la fois d’un excellent ensoleillement - puisqu’il n’y a pas d’ombre -, et des précipitations quand il pleut. On arrose quand on est en saison sèche ».

Les acteurs

L’agriculture urbaine en Haïti relève surtout d’initiatives privée, d’ONG et de la coopération internationale. Un projet était observé il y a quelques années à Cité Soleil, le plus grand bidonville du pays. Une autre expérience, en cours aux Gonaïves, une ville située à quelque quatre heures, au nord de Port-au-Prince, vise à développer de petits potagers un peu plus grands que des pneus en milieu urbain. Gilles Damais attire aussi l’attention sur « une initiative privée d’un entrepreneur qui fait de l’agriculture hydroponique en milieu urbain et qui vend des produits de grande qualité, mais très chers, dans certains supermarchés ».

Une production marginale

La production issue de ces jardins urbains est extrêmement marginale, explique l’agroéconomiste. « C’est fait dans un premier temps pour de la consommation domestique, c’est-à-dire que la personne qui cultive sur le toit de sa maison va utiliser les légumes dans son alimentation quotidienne, mais peut également vendre une partie de sa production pour acheter par exemple des semences maraîchères qui sont relativement chères ».

L’agriculture périurbaine

Parallèlement à l’agriculture urbaine, une culture beaucoup plus importante a lieu en bordure des villes. Elle consiste en une production de denrées périssables, des légumes notamment, qu’on achemine vers les marchés de consommation les plus proches de la capitale haïtienne.

Selon Gilles Damais, cette agriculture périurbaine se pratique dans deux zones complémentaires en terme d’écosystèmes : une zone de plaine (la Plaine du Cul de Sac située au nord de Port-au-Prince) et une zone d’altitude (Kenscoff sise à l’est de la capitale).

Zones de plaine et d’altitude

Dans la zone chaude (la zone de plaine), « on trouve des oignons, des tomates, et, ce qu’on appelle, d’une manière générique, des feuilles, qui sont en fait des épinards ou des amarantes (qui son extrêmement consommés au niveau local ». Dans la zone de montagne (entre 800 et 1600 mètres d’altitude), poursuit l’agroéconomiste, « on trouve également des poireaux, des choux, des carottes et un petit peu de pomme de terre ».

Une production moins marginale

A la différence de l’agriculture urbaine, la culture périurbaine constitue, en terme de génération de revenus, une activité importante pour les populations qui vivent dans ces zones (périurbaines). La valeur de cette agriculture (périurbaine) serait estimée (annuellement) à quarante millions de dollars américains.

Une tentation synonyme de frein

L’agroéconomiste Gilles Damais évoque la concurrence sur le foncier comme une contrainte majeure au développement de l’agriculture périurbaine. « Si on est un petit paysan avec une toute petite parcelle de terre. Et l’on voit les prix du foncier multiplier en l’espace de quelques années. On est fortement incité à vendre son petit morceau de terre, à s’installer, non plus dans le périurbain, mais dans l’urbain, à vivre, entre guillemets, de sa rente, à financer, avec le produit de la vente du foncier, le départ pour l’immigration d’un enfant ou la scolarité des autres ».

Cette situation entraîne, souligne Damais, une réduction considérable, au fil des ans, de l’aire consacrée à cette agriculture périurbaine. Comme autre difficulté venant se rajouter à ce panorama, l’agroéconomiste mentionne l’absence de plan d’aménagement. « On a de plus en plus de difficulté à structurer une production et l’écoulement des produits dans cette aire périurbaine », regrette Gilles Damais.

La concurrence de la République Dominicaine

Le marché de l’agriculture périurbaine subit par ailleurs la rude concurrence d’importations de plus en plus volumineuses en provenance de la République Dominicaine (qui partage une frontière commune avec Haïti). « Il y a quelques années, Haïti exportait des pommes de terre vers la République Dominicaine. Aujourd’hui, Haïti importe la majeure partie de sa consommation de pomme de terre de la République Dominicaine », constate l’agroéconomiste Gille Damais.

Le besoin d’infrastructures

Le spécialiste évoque enfin un déficit d’infrastructures qui empêche l’acheminement sur les marchés, de manière régulière, de produits de qualité, entraînant du même coup des pertes importantes au moment de la commercialisation. « On peut voir sur les marchés de gros de la capitale l’état parfois lamentable des produits. Les tomates sont écrasées, les feuilles de poireaux commencent à pourrir, les choux pourrissent sur les lieux de stockage ».

Gilles Damais estime qu’il faudrait investir dans des infrastructures de marchés en vue de permettre une meilleure conservation de légumes fragiles. Par exemple, l’assainissement des marchés de gros de la capitale et la mise sur pied d’une chaîne de froid artisanale, pas forcément sophistiquée, aideraient les producteurs périurbains à satisfaire davantage les consommateurs urbains, de l’avis de l’agroéconomiste Gilles Damais. [vs apr 05/02/07 18:00]