Débat
Par Pierre Richard Cajuste [1]
Soumis à AlterPresse le 29 janvier 2007
L’action diplomatique doit être l’expression de la politique interne. Elle se définit aussi par référence aux nouvelles données de l’ordre mondial, à savoir la prépondérance des échanges commerciaux et l’universalisation des valeurs démocratiques.
Les diverses crises, qui ont secoué le pays depuis deux décennies, l’ont beaucoup affectées. Le résultat n’est pas très reluisant : Haïti est très en retard par rapport au processus de la mondialisation et du développement en général.
Pour sortir de cette ornière, le Gouvernement haïtien est dans l’obligation d’articuler un programme de développement national cohérent, clairement défini et faire en sorte que la diplomatie devienne, sur l’échiquier mondial, son principal instrument dans la mise en oeuvre de cette politique nationale basée sur la recherche de l’investissement, l’augmentation de la production nationale et l’amélioration des conditions d’existence de la population.
Les relations internationales, sans équivoque, sont fondées sur le maintien des liens d’amitié, de paix et de concorde entre les nations.
A ce stade, Haïti, au delà de l’aspect traditionnel de la diplomatie, doit faire montre de créativité et d’une agressivité positive, tenant compte de la situation exceptionnelle dans laquelle elle se trouve.
Aussi, cet exceptionnalisme doit-il conduire les différents acteurs évoluant sur l’échiquier national à avoir une autre lecture des réalités internationales actuelles en vue de conceptualiser un nouveau paradigme qui peut servir de cadre a l’avancement du pays.
Tout au début de son second mandat, le Président René Garcia Préval s’est clairement exprimé sur sa vision d’une nouvelle Diplomatie qui n’est autre que de sortir de la représentation traditionnelle vers une diplomatie dynamique au service du développement national.
Il a lui-même donné le ton en répondant à de multiples invitations des autres homologues et profité du même coup pour jeter des bases de coopération bilatérale à travers ses voyages à l’étranger. Ses actions diplomatiques semblent récolter des dividendes intéressants.
Pour ce, une vision stratégique bien articulée de l’action diplomatique d’Haïti et la mise en œuvre de celle-ci par des acteurs responsables et avisés se révéleraient indispensables.
Ainsi, cette volonté des nouvelles autorités d’opter pour une diplomatie orientée vers le développement devrait-elle conduire à la formulation de nouveaux objectifs de cette politique extérieure. Ces objectifs pourraient, entre autres, reposer sur cinq (5) points d’ancrage :
· La recherche de l’investissement étranger et la facilitation d ‘échanges commerciaux ;
· L’établissement d’une atmosphère sécuritaire visant au regain de la souveraineté nationale ;
· La défense des droits des immigrés haïtiens ;
· L’amélioration de l’image du pays à l’étranger ;
· L’appui au développement humain.
La coopération internationale avec Haïti est jusqu’à présent, axée sur deux objectifs : financement du développement national et appui institutionnel.
L’aide publique au développement, en dépit de son importance, à elle seule, ne peut pas sortir le pays du sous développement.
L’investissement étranger reste donc un élément essentiel dans la recherche d’une solution aux problèmes haïtiens.
Dans le contexte global actuel, l’une des tâches principales de cette nouvelle orientation est de parvenir à créer une articulation dialectique entre l’économique et le diplomatique, disons mieux une synchronisation des deux.
De ce fait, toute action diplomatique devrait avoir pour objectif fondamental : partir à la conquête de l’investissement étranger. Si la création de richesses passe par l’investissement privé, le rôle essentiel des diplomates sera d’utiliser tous les couloirs à leur disposition pour participer à l’accroissement des ressources matérielles et humaines du pays.
A cet effet, il faut faire en sorte que cette action diplomatique Haïtienne soit beaucoup plus significative dans les grandes capitales du monde, une présence beaucoup plus effective et efficace et non fantomatique dans les instances internationales.
Il s’agit donc de mettre en place des mécanismes visant à attirer les investisseurs étrangers et les marchés au profit de l’intérêt national.
Le deuxième point d’ancrage d’une nouvelle vision stratégique reste la sécurité extérieure de l’Etat à travers la mise en œuvre d’une politique et d’une praxis axées sur le dialogue permanent, la recherche de solidarité sur tous les plans de l’échiquier international et le renforcement des liens de coopération concrète avec les pays stratégiques (entendez : Etats-Unis d’Amérique, France, Canada, etc.) et les pays amis du Sud.
Cette stratégie de coopération/dialogue, avec toute une série d’alliances vitales, devrait permettre la récupération du contrôle de l’intégrité territoriale. Cette approche d’une « diplomatie sécuritaire » s’inscrit dans la logique de la culture de la paix à laquelle carburent les discours et pratiques des acteurs internationaux dans ce contexte global d’interdépendance entre les nations.
La diplomatie doit aider également à consolider la force publique haïtienne, en tenant compte du processus de réforme de la police et de la justice, à travers des Accords bilatéraux pour l’octroi de bourses, la participation de policiers haïtiens aux cours de formation continue et aussi à travers les négociations pour l’acquisition d’équipements (véhicules, armements etc.) indispensables au travail de la Police Nationale d’Haïti comme étant l’unique force de sécurité.
La quête et la consolidation de cette sécurité restent le pilier de la paix sociale et le fondement de la marche irrésistible du pays vers le regain de sa souveraineté totale.
La défense des droits des Immigrés haïtiens
Au cours de ces 40 dernières années, des millions de compatriotes ont, pour des raisons diverses, émigré vers d’autres terres d’accueil.
Selon les estimations les plus optimistes un tiers de la population vit hors des frontières d’Haïti. Toute approche de la diplomatie, en ce début du siècle, devrait intégrer cette donnée et prendre en compte cette réalité.
Bien qu’il soit admis que les questions migratoires relèvent du domaine exclusif et souverain des Etats accréditaires, il n’en demeure pas moins que la diplomatie haïtienne doit se constituer une certaine marge de manœuvre, un certain espace de négociation, en se basant sur les prescrits de la convention de Viennes en matière consulaire, pour que les droits des ressortissants haïtiens à l’étranger soient respectés et que le traitement accordé aux immigrés haïtiens soit en accord avec les normes et conventions internationales en vigueur dans ce domaine.
Ce point d’ancrage de cette diplomatie se concrétisera aussi par le renforcement des Missions consulaires et aussi par une coordination ordonnée des actions du Ministère des Haïtiens vivant à l’Etranger.
L’amélioration de l’image du pays à l’étranger
Les différentes crises politiques, qui ont secoué le pays au cours de ces deux dernières décennies, ont contribué amplement à détruire l’image d’Haïti à l’étranger.
La violence, l’instabilité sociopolitique font figure de marques déposées, quand il s’agit de qualifier la République d’Haïti.
Pour que le pays retrouve sa place dans le concert des nations, reconstruise sa réputation et réalise ses objectifs en termes d’incitation au tourisme et à l’investissement étranger, la transformation de cette perception généralisée s’avère indispensable.
Donc, pour atteindre cet objectif, il faut s’efforcer de changer l’image du pays à l’étranger, en neutralisant les vieux réflexes pavlovisés de violence, de misère, d’insalubrité, à partir desquels habituellement le pays est perçu.
A cette fin, le Ministère des Affaires étrangères devrait travailler de concert avec le Ministère des Haïtiens vivant à l’étranger (MHAVE) et d’autres entités étatiques (Ministères du Tourisme et de la Culture) pour « vendre » l’image du pays à l’extérieur.
Le pays accuse des déficits incroyables en matière de services de santé, d’éducation et d’infrastructures de base, et ne pourra pas s’en sortir seul.
Dans le cadre des fonctions régaliennes de l’Etat et considérant les limitations du pays en termes de ressources financières, la diplomatie doit aider à mobiliser le support des partenaires internationaux, tant au niveau de l’état accréditaire qu’à celui de la société civile, (coopération décentralisée), en vue de contribuer à l’amélioration des conditions de vie de la population.
Il s’agit de privilégier une diplomatie qui se fonde sur une autre forme de gouvernance, avec comme contenu organique la prééminence de la notion de citoyenneté.
En un mot, cette dimension de la diplomatie haïtienne serait certainement l’expression de la politique sociale du gouvernement : une politique sociale basée sur la lutte contre la pauvreté, contre l’exclusion, sur la création d’un espace de solidarité, de convivialité, de dialogue, dans lequel paysans, ouvriers, étudiants, hommes d’affaires, hommes politiques, etc., s’attèleront à redéfinir l’architecture sociale existante et à refonder les relations sociales.
Pour ce, il est important, sur le plan interne, de définir les besoins sociaux pour que nos Missions Diplomatiques, sur la base d’instructions claires et précises émanant de la Chancellerie, puissent partir à la conquête des opportunités.
Remarquez que cette démarche est intimement liée aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (ODM), fixés par la communauté internationale comme étant des moyens stratégiques visant à réduire l’extrême pauvreté dans le monde d’ici à 2015.
Si, jadis, l’action diplomatique haïtienne était axée fondamentalement sur l’espionnage et le maintien d’un régime au pouvoir, à l’heure actuelle, le contexte national et international nous dicte autrement, en ce début de siècle marqué par des flux de toutes sortes (marchandises, information, images, idées, valeurs etc.).
Ce document préliminaire ne fait que dégager une vision stratégique d’ensemble de la diplomatie haïtienne. Cependant, il revient aux dirigeants de conceptualiser et de préparer un PLAN D’ACTION DIPLOMATIQUE, qui fournira les éléments et mécanismes opérationnels dans la perspective de la conduite et de l’application par les différentes Missions diplomatiques et Consulaires des axes programmatiques définis.
Allons ! Concrétisons l’espoir.
Pierre Richard Cajuste
cajuste2000@yahoo.com
[1] Diplomate, Ancien Délégué d’Haïti a l’ONU