Analyse
Par Wooldy Edson Louidor
P-au-P., 25 janv. 07 [AlterPresse] --- Ce début d’année 2007 s’annonce à la fois prometteur et préoccupant pour les rapports entre Haïti et la République Dominicaine qui partagent une même île et une frontière longue d’environ 380 kilomètres. 2007 présente aux autorités haïtiennes et dominicaines le défi de changer le cours de l’histoire des relations entre les deux pays.
Des signes prometteurs
Des efforts sont en train d’être déployés par les autorités des deux pays pour créer et renouer des canaux de dialogue et d’entente. Les deux gouvernements ont annoncé la réactivation de la Commission Mixte Haitiano-Dominicaine, responsable d’engager des négociations sur les thèmes binationaux.
Les parlementaires haïtiens et dominicains ont participé à un forum d’interaction réalisé le 12 janvier 2007 à Santo Domingo sous les auspices du gouvernement de la Norvège. Au cours de cette rencontre, les parlementaires ont conclu un accord visant à faciliter la solution des problèmes auxquels les populations frontalières des deux côtés sont en butte.
Le Tribunal de Dajabón a condamné, le 15 janvier 2007, quatre (4) ressortissants dominicains déclarés coupables d’avoir été impliqués dans le voyage clandestin au cours duquel 25 sans papiers haïtiens ont été morts par asphyxie dans la nuit du 10 au 11 janvier 2006. Cette décision manifeste la volonté de la Justice dominicaine de coopérer à la lutte contre la criminalité binationale organisée.
Des faits inquiétants
Le gouvernement dominicain n’a, cependant, pas encore convaincu la société civile des deux pays et l’opinion publique internationale de sa détermination à faire respecter les droits humains des migrants au cours des rapatriements et à protéger effectivement leurs droits, leur vie et leurs biens contre les représailles des Dominicains furieux et mus par des sentiments racistes et xénophobes (anti- haïtiens).
Au contraire, l’État dominicain a intensifié les expulsions des migrants haïtiens vers leur pays d’origine. Les déportations des sans papiers haïtiens ont augmenté : l’année dernière, elles s’élevaient à 25 mille. Durant les trois premières semaines de janvier 2007, elles ont déjà atteint plus de quatre mille (selon les chiffres communiqués par les autorités dominicaines).
En outre, les différentes agressions de nature xénophobe et ouvertement anti-haïtienne que des Dominicains ont perpétrées contre des migrants haïtiens restent encore impunies. Des ressortissants haïtiens ont été victimes de représailles un peu partout sur le territoire dominicain. Seulement pour l’année 2005, on peut citer quelques lieux : Hatillo Palma (le 6 mai), Dajabón (entre le 5 et 6 août), Higuey (7 septembre), Barranca (8 septembre), Villa Trina (10 décembre).
Les conséquences
Ces représailles dont les migrants haïtiens ont fait les frais ont été perpétrées suite à des assassinats et d’autres forfaits commis contre des Dominicains. Ces crimes ont été attribués sans enquête préalable aux ressortissants haïtiens. Ceux-ci ont été par la suite persécutés. Quelques uns d’entre eux ont été lynchés, battus et maltraités. Leurs maisons ont été saccagées, pillées et brûlées.
Les rapatriements, qui ne sont pas toujours réalisés « en bonne et due forme » par les autorités migratoires et militaires dominicaines, c’est-à-dire dans le respect des droits et de la dignité des migrants dans tout le processus (interception, vérification du status migratoire, détention et transport), ont causé des catastrophes humanitaires, des violations massives de droits humains et même des tragédies, comme l’accident, le 25 septembre 2006 à Elias Pina, d’un véhicule qui transportait des rapatriés.
Il s’agissat d’un autobus de la Direction Générale de la Migration Dominicaine tombé dans un fossé non loin du point frontalier Elías Piña- Belladères, alors qu’il transportait des migrants haïtiens vers leur pays. Plusieurs dizaines de sans papiers haïtiens étaient blessés. Le véhicule était en mauvais état et, en plus, surchargé.
Tout en saluant plusieurs interventions de l’ambassadeur haïtien à Santo Domingo, Fritz Cinéas, contre les expulsions massives, inhumaines et brutales de ses compatriotes par l’État dominicain, plusieurs secteurs de la société haïtienne ont toutefois signalé un manque de dynamisme au niveau de la Chancellerie haïtienne en vue de porter les autorités dominicaines à réaliser les rapatriements « en bonne et due forme », conformément au Protocole d’Accord sur les mécanismes de rapatriement signé en décembre 1999 par les deux gouvernements.
De même, le silence et l’inaction des autorités dominicaines face aux représailles et violences perpétrées contre les ressortissants haïtiens en République Dominicaine risquent de susciter et de multiplier en Haïti des réactions « anti-dominicaines », à l’instar des violences perpétrées au cours du mouvement de protestation contre le président dominicain, Leonel Fernandez Reyna, lors de sa visite officielle en Haïti le 12 décembre 2005.
Des agents de la Police Nationale d’Haïti ont été alors obligés d’intervenir en quadrillant le périmètre du Palais National où des centaines de manifestants, en majorité des étudiants, lançaient des slogans hostiles à l’endroit du chef d’État dominicain.
2007, une année charnière
2007 est une année charnière pour rompre avec tous ces événements regrettables, inspirés par des sentiments anti-haïtiens et des réactions anti-dominicains en Haïti et en République Dominicaine respectivement, qui ont jalonné l’histoire des rapports entre les deux pays depuis mai 2005. Les signes prometteurs enregistrés au début de cette nouvelle année ont commencé à marquer une nouvelle ère.
Les autorités haïtiennes et dominicaines sont confrontées au défi de construire des relations plus harmonieuses par l’adoption d’une vraie volonté de s’entendre sur des thèmes bilatéraux, dont la migration, de coopérer pour le bien-être et le développement des deux pays et, surtout, de protéger la vie, les droits humains et la dignité de tous les habitants de l’île. [wel gp apr 25/01/2007 17:00]