P-au-P., 26 juin. 03 [AlterPresse] --- Les sorties en cascade cette semaine dans la presse des plus hautes autorités lavalas pour diaboliser le directeur général par intérim de la police nationale d’Haïti démissionnaire, ont entraîné une vive réplique de l’intéressé.
Dans une interview à la station privée Radio Kiskeya ce 25 juin, depuis les Etats-Unis où il a pris refuge, Jean Robert Faveur maintient les révélations contenues dans sa lettre de démission en date du 21 juin. Il apporte certaines explicitations susceptibles de renseigner sur la nature du régime.
« La démocratie est une utopie. Ici en Haïti, on applique la démocratie autoritaire ». Le Premier ministre Yvon Neptune aurait sèchement lancé ces propos, le visage grimaçant, à l’endroit du patron de la PNH, lors d’une réunion du conseil supérieur de la police nationale (CSPN) le 9 juin. Aux dires de Jean Robert Faveur, le chef du gouvernement, qui préside le CSPN, s’employait par ainsi à le faire revenir sur terre.
« Il faut faire la différence entre ce qui est écrit dans la loi et la réalité du terrain ». Le premier ministre égrenait ces « leçons de real politic » à monsieur Faveur alors que celui-ci se plaignait des pressions exercées sur lui par le secrétaire d’Etat à la sécurité publique, Jean Gérard Dubreuil, pour qu’il avalise des nominations effectuées en dehors des règlements de la police nationale.
Pour illustrer la leçon, Yvon Neptune aurait rappelé à monsieur Faveur que c’est le président de la République, et non la société civile ou un quelconque autre groupe, qui choisit le directeur général de la police. Et que ce choix est approuvé par un autre organe politique, le Parlement. « Ce n’est pas pour rien que le CSPN est composé de trois politiciens et de deux hommes en uniforme », aurait ajouté le chef du gouvernement.
Depuis cette date, j’envisageais de me retirer de cette galère, confie Jean Robert Faveur. L’ancien commissaire divisionnaire dénonce un ensemble d’anomalies caractérisant le fonctionnement de la PNH. Il souligne par exemple la présence du secrétaire d’Etat Jean Gérard Dubreuil à toutes les réunions du CSPN comme messager des diktats du chef de l’Etat, alors qu’il ne fait même pas partie de cette instance. Les instructions de monsieur Dubreuil auraient été faites généralement de cette manière : « Le président vous ordonne de faire telle chose. Si vous ne l’exécutez pas, ça ne tournera pas bien pour vous ».
Jean Robert Faveur condamne la réintégration, assortie de promotion, au sein de la police, d’anciens policiers qui ont été révoqués pour cause d’implication dans le trafic illicite de la drogue. C’est le cas, a-t-il dit, pour la plupart des nouveaux directeurs départementaux de la police (Nord, Sud, Sud-Est). « Les lettres de nomination de ces derniers émanent directement du Palais National ».
Le directeur par intérim démissionnaire critique les violations systématiques de l’article 60 des règlements de la PNH définissant les critères suivant lesquels les promotions doivent se faire, à savoir l’ancienneté et la compétence. Entre autres exemples de ces violations, Jean Robert Faveur cite le cas de Will Dimanche, ancien agent 3 révoqué et qui est gratifié de deux étoiles (commissaire divisionnaire) et du poste de directeur de la circulation et de la police routière, quelques mois seulement après sa réintégration et sans lettre de nomination dûment signée.
Le directeur démissionnaire déplore que presque tous les policiers placés actuellement aux postes de commande n’aient aucun parcours professionnel sérieux et aient été choisis en fonction de leur seule allégeance à Jean Bertrand Aristide. Il souligne par exemple le cas de Evans Sainturné qui est sorti directement du palais National pour atterrir à la direction de la police routière et pour aboutir enfin à la tête de l’inspection générale considérée comme la police des polices.
Jean Robert Faveur fait, par ailleurs, allusion à une liste de 293 policiers, affectés au commissariat de Delmas (Est de la capitale) entre le 21 janvier 1997 et le 14 octobre 1999, liste laissée sur son bureau « pour suivi ». Il refuse de faire part de son interprétation de cette liste, émise le 16 mai 2003.
La période de janvier 1997 à octobre 1999 correspond au passage de l’ancien commissaire Guy Philippe à la tête du Commissariat de Delmas. Guy Philippe, actuellement en exil, a été, à plusieurs reprises, accusé par les dirigeants lavalas de fomenter des complots contre le régime au pouvoir.
Dans son rapport 2003, publié en mai dernier, l’organisme international de défense des droits humains Amnesty International avait dénoncé plusieurs disparitions et des exécutions extrajudiciaires "imputables à la police". Des organismes haïtiens de défense de droits humains soutiennent que des brigades secrètes au sein de la police auraient pour tache de procéder à des exécutions sommaires.
Deuxième lauréat de sa promotion en 1996, après la création de l’institution policière, Jean Robert Faveur est un policier de carrière qui a occupé, au sein de la PNH, des postes de responsabilité dans plusieurs départements du pays.
Le président Jean Bertrand Aristide l’avait choisi à contrecoeur, sous la pression de la communauté internationale et de l’OEA, à la veille de la trente-troisième assemblée générale de l’organisation hémisphérique qui se tenait à Santiago du Chili, du 8 au 10 juin 2003. Sa nomination avait été bien accueillie par divers secteurs de la société qui s’interrogeaient toutefois sur la marge de manœuvre dont il allait disposer pour remplir sa mission. Dans sa lettre de démission, le chef par intérim de la PNH confirme qu’on voulait le confiner dans une posture de fantoche. Il n’était même pas autorisé à signer des chèques de déblocage de fonds pour l’institution policière.
Le chef de la mission spéciale de l’OEA en Haïti, David Lee, avait lui aussi considéré le choix de Faveur comme un pas dans la bonne direction.
Lors de la dernière réunion de l’OEA à Santiago, les participants se seraient convenus de ré-évaluer le dossier d’Haïti si des progrès significatifs ne sont pas enregistrés dans le sens d’une normalisation politique d’ici au mois de septembre 2003. L’une des exigences faites au régime lavalas, par une délégation internationale de haut rang ayant visité Haïti en mars dernier, a été la mise en place d’un nouveau leadership au sein de la PNH susceptible de rétablir la confiance en vue de la tenue des élections législatives et territoriales dans le pays. [vs apr 26/06/2003 08:30]