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La lettre de démission de l’ex directeur général de la police, Jean Robert Faveur

Port-au-prince le 21 juin 2003

S.E.M Jean Bertrand Aristide
Président de la République d’Haïti en ses bureaux

Excellence,

Pour des raisons dont des convenances seront libellées ci-dessous, je vous présente aujourd’hui ma démission en tant que Directeur Général a,i de la police nationale (PNH).

Monsieur le Président, le vendredi 06 juin 2003, en compagnie du secrétaire d’Etat à la sécurité publique S.E.M Jean Gérard Dubreuil, de l’ex Directeur Général M. Jean Claude Jean Baptiste, vous m’avez rencontré dans votre bureau au palais national pour me donner des directives concernant ma nouvelle fonction de Directeur Général a,i au sein de la PNH.

J’ai été pris au dépourvu quand vous m’aviez commencé à parler de votre autorité sur la gestion de la police nationale. Vous aviez commencé par dire que tout ce que je dois faire, c’est en consultation avec Jean Gérard Dubreuil et Jean Claude Jean Baptiste si je ne veux pas finir comme Nesly Lucien. La nomination et le transfert des directeurs départementaux dépendent de vous et de vous seulement. Les affections de la zone métropolitaine dépendaient de vous aussi. Je devais me souvenir de ce qui était arrivé à l’ex Directeur central de la police judiciaire(DCPJ) Jeannot François quand un grade lui avait été attribué sans votre consentement. Il avait été tout simplement dégradé.

Dès lors, j’ai su que j’étais en de très mauvaises postures. Je ne m’illusionnais pas sur mon sort en cette conjoncture mais je ne pensais pas que les pressions allaient commencer avant même mon installation. Et, après, ce fut l’installation dans une pièce trop petite de la direction générale sur ordre du secrétaire d’Etat à la sécurité publique (SEJ). Avant cette période, le jour même, (vendredi 6 juin 2003), Monsieur Jean Baptiste s’afférait à signer des tas de lettres de promotion et de transferts. Et, ce n’est qu’après son départ que Mario Siclair est venu me montrer des correspondances à « corriger » car il y a eu erreur. Je devais les faire sortir à nouveau avec mon nom pour signature après correction.

Grande, a été ma stupéfaction, quand j’ai pu constater que M. Jean Baptiste a nommé un agent II (Germain St Fleur d’identité policière # 95-06-04-02437) commissaire divisionnaire pour qu’il soit affecté à la Croix des Bouquets en tant que responsable. Bien entendu, le Directeur du personnel n’a pas osé citer l’article 60 de la loi dans l’exécution de cet ordre illégal. En effet, que dit cet article tant cité et violé par les deux directeurs généraux qui m’ont précédé : « La carrière des différents fonctionnaires de la police Nationale comprend des grades hiérarchisés de façon ascendante sans discontinuité à l’intérieur de trois niveaux. A l’intérieur de chaque niveau, la promotion se fera sur la base d’ancienneté et de compétence. Le candidat à un niveau supérieur de la police devra subir des concours internes dont les épreuves et les conditions d’accès sont déterminées par les règlements intérieurs. Ces grades sont présentésÂ… » (Loi du 28 décembre 1994 portant création de la PNH paru dans le Moniteur # 103 de cette même année)

J’ai été au bureau du S.E.J. pour lui dire que je ne peux signer cela si ce monsieur a subi un concours avant mon arrivée pour commissaire de police, il devrait être promu commissaire de police et non commissaire divisionnaire. Il a répliqué « c’est l’ordre du Président, on peut changer la forme mais la fin doit être atteinte ». Cependant, pour certains autres dossiers, c’est la date qui devait être modifiée car on les a fait sortir avec la date de mon installation.

Le lundi 9 juin, j’ai été vraiment choqué et émotionné quand le Directeur central de l’administration et des services généraux actuel m’a envoyé une lettre signée par le S.E.J dans laquelle il manquait ma signature. Cette lettre spécifiait que la Direction Générale transmet les spécimens de signature des personnes autorisées à signer sur les comptes de la PNH. Il s’agit de :

- Jean Robert Esther : Directeur Central de l’administration et des services Généraux.

- Patrick Valcin : Directeur Central de l’administration et des services Généraux et Directeur de la logistique.

Le directeur général a,i est mis automatiquement en dehors de l’administration. Il n’a plus le droit de contrôler les comptes de la PNH. Et, le comble, c’est lui qui doit autoriser cela. Encore une fois, ce fait a été contesté auprès du S.E.J qui réplique que je n’ai pas le choix car le Président l’a ainsi décidé. C’est la même phrase que l’ex Directeur général de la police nationale M. Jean Baptiste m’avait dit sans citer le nom du président quand il m’annonçait le mercredi 4 juin 2003 qu’il avait choix de moi pour devenir son chef de Cabinet.

En face du S.E.J, sidéré, j’avais en main l’alinéa 7 de l’article 23 portant création de la PNH qui stipule : « le Directeur général exerce les attributions suivantes :

Article 7- superviser et contrôler le fonctionnement de toutes les dépenses ou sorties de fonds à préparer, de concert avec la direction administrative, l’avant-projet du budget annuel ».

Fort de cet article, je lui ai dit que je ne pourrai pas apposer ma signature à côté de la sienne car c’est illégal. Il m’a répondu qu’il comprend ma situation mais je dois mettre de côté cette loi. Je lui ai demandé que vais-je dire au parlement ou à la Cour des Comptes s’ils me convoquent sur un décaissement de fonds irrégulièrement utilisé ? Il m’a répondu que je ne serai pas responsable puisque je n’aurai rien signé en matière de chèques à émettre ou de décaissement de fonds. Je lui ai dit que dans ce cas, ma signature ne serait pas non plus nécessaire sur la lettre qu’il a déjà signée. S.E.J a répondu que je dois le faire, d’ailleurs l’administration est bloquée. Il a continué pour dire que le Président a dit que je m’occuperai de la « professionnalisation de la PNH », tandis que lui et les deux personnes autorisées à signer les chèques s’occuperont de l’administration. Avant de partir, je lui ai dit qu’il faudrait me définir le terme « professionnalisation de la PNH »

Abasourdi, malade, j’ai pris quelques heures de répit en dehors du bureau et certaines personnes m’ont conseillé de faire passer le temps car ma vie et celle de mes proches étaient en danger. Dans l’après-midi, j’ai signé ce non droit ainsi que plusieurs listes de transferts et de nomination que l’exécutif m’a imposé tandis que je faisais passer le temps pour m’en sortir de cette position de pantin dans laquelle je suis. Je n’avais pas plus d’autorité qu’un agent I affecté au Palais national quand vous m’aviez imposé votre cabinet, imposé des hommes sortis tout droit du Palais pour être nommés Directeurs départementaux au sein de la PNH. Or l’article 45 de la loi portant création de la police nationale stipule : « La direction départementale est dirigée par un commissaire divisionnaire. Il est Directeur départemental de la police nationale. Il est nommé par le Directeur Général après consultation avec le CSPN » (Conseil Supérieur de la Police Nationale). Ainsi, vous m’avez enlevé le contrôle opérationnel et financier de la PNH.

Cela fait deux semaines de souffrances morales, physiques, et deux semaines de résistance que j’ai passé à la tête de la PNH. Je ne voudrais pas en passer un jour de plus. J’ai écouté, réfuté et envoyé en douceur auprès du SEJ un ex sénateur du centre, membre de votre cabinet particulier et le Député Lévy Joseph qui sont venus me soumettre une liste avec grade de gens armés qui « pacifient le Plateau central ». Les noms de ces personnes ont été soumis pour être nommés dans la PNH. Cette démarche viserait à légitimer les actes de ces hommes.

Monsieur le président, si vous aviez bien suivi mon discours, vous auriez remarqué que cela fait longtemps depuis que je fais des sacrifices en vue de sauvegarder les valeurs qui font défaut aujourd’hui dans le pays : L’HONNEUR, LA DIGNITE, L’INTEGRITE, LE CARACTERE d’HOMME.

Aujourd’hui, j’ai choisi le chemin de l’exil au lieu de me laisser corrompre et de m’asservir. Monsieur le Président, la situation n’est pas bonne au sein de la PNH et la misère fait rage dans le pays. Je pensais qu’avec moi, vous voyez un début de solution au problème de la crise. Mais non, vous n’en tenez pas compte. Beaucoup de gens qui s’enrichissent autour de vous ont peur de vous dire que ça va mal dehors. Je suis fier de n’avoir pas trahi la confiance que le peuple, les policiers (la grande majorité), la communauté internationale et certains de vos proches ont placé en moi.

J’en profite pour dire au Premier ministre, au ministre de la justice, au ministre des finances, au secrétaire d’Etat à la sécurité publique, au Parlement, à la communauté internationale, aux policiers nationaux, au peuple Haïtien, que les pièces annexées à la présente prouvent la mauvaise foi de nos dirigeants et le danger permanent qui pesait sur ma tête et sur celle de mes proches. Tout ceci expliquait mon silence.

Je m’en vais aujourd’hui mais je suis toujours disposé à servir mon pays honnêtement sans avoir de dangers internes qui pèsent sur ma tête à cause de mon caractère d’homme et de ma facon d’être. J’ai sauvegardé mon âme, ma conscience et ma dignité.

Jean Robert Faveur
Ex Directeur Général a.i.

CC : Premier Ministre
Ministre de la Justice
Ministre des Finances
Secrétaire d’Etat à la Sécurité Publique
Parlement Haitien
Cour Supérieure des Comptes
Presses

PJ. : 1) Deux copies de la lettre #DGPNH/DCA/763-CS-02-03 dont l’une avec la seule signature de M. Jean Gérard DUBREUIL (SEJ)

2) Copies de deux lettres de promotion dont l’une est signée par Jean Claude Jean Baptiste pour le policier JEANTY Edner A2 #95-08-10-04418 qui est passé Commissaire Divisionnaire suivant « l’article 60 de la loi portant création de la P.N.H. »

3) Copies de deux lettres de promotion pour GERMAIN Saint Fleur A2 #95-06-04-02437 avec les mêmes remarques dans PJ#2

4) Copies d’une liste de gens armées travaillant au plateau central soumis par un ex sénateur, membre du cabinet particulier du Président de la République et le député Lévy Joseph pour nomination au sein de la PNH.

5) Copie d’un rapport soumis par le directeur général a.i. au Secrétaire d’Etat à la Sécurité Publique en date du 13 juin 2003