Par Armand Louis, ingénieur, enseignant
Document soumis à AlterPresse le 18 décembre 2006
Monsieur le président,
Je vous salue au nom de la patrie commune et prends la responsabilité de vous écrire en ce jour anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (10 décembre), devant le péril de la barque nationale pour vous faire les remarques suivantes en vue d’un sursaut patriotique pour le sauvetage de notre nation en détresse.
Après votre 1er mandat de cinq ans, de 1996-2001, vous êtes retourné dans votre région natale, dans les hauteurs de Marmelade pour aller encadrer les paysans de la zone, disait- on. Tout le monde a salué cet acte de portée hautement symbolique dans un pays où la mégalomanie des hommes habitués du pouvoir n’est plus à démontrée.
Mais à l’approche des élections de 2006, quand on parlait de votre possible réélection au timon des affaires de l’État, un goût amer est revenu sur les lèvres et beaucoup se demandaient sceptique comment l’équipage d’un navire abandonné en pleine tempête sur une mer démontée par son capitaine avec le seul canot de sauvetage, lequel équipage qui, par miracle est arrivé au port, pourrait à nouveau et de bon sens porter son dévolu sur ce même capitaine pour un autre voyage plus lointain et plus périlleux que le précédent .
Ironie du sort ! Ô peuple sans mémoire, condamné à la fange, au destin funeste et cruel ! Vous êtes réélu comme président d’Haïti pour cinq autres années. Désenchantement de la raison dit-on. Certains présageaient le chaos, d’autres le statu quo ante, une autre catégorie plus clémente prévoyait une certaine amélioration au niveau de la sécurité, une autre tranche encore prétendait que pendant le 1er mandat, vous aviez eu les mains et les pieds liés. Maintenant, vous êtes libre de vos mouvements, votre vraie personnalité va apparaître etc.
Monsieur le président, depuis votre accession au pouvoir le pays n’est pas dirigé. On est en train de vivre une descente aux enfers. C’est le saut de tout un peuple vers l’abîme effrayant du désespoir.
Monsieur le président, dans toutes les communautés et dans tous les pays civilisés du monde, de la nuit des temps à aujourd’hui, les bandits, les criminels, les assassins, les kidnapeurs, les voleurs, les brigands sont considérés comme des gens qui nuisent à la paix et à la stabilité d’une nation, et ces États s’organisent en mettant tout en oeuvre pour qu’ils soient mis hors d’état de nuire. On se demande avec effroi comment aujourd’hui, Haïti doit-elle servir de laboratoire expérimental pour la cohabitation des citoyens paisibles avec les brigands et ceux qui détruisent la société ? Revêtu de quel masque, une certaine organisation de droits humains ou les Nations-Unies ou les Etats-Unis, ou la France ou le Canada ou certains latinos en mal de puissance ou d’hégémonie oserait imposer ou proposer à notre pays de négocier avec les bandits et les assassins en les soudoyant, alors que chez eux ces malfaiteurs sont dans les liens de la prévention pour être rééduqués et payer ce qu’ont mérité leurs forfaits.
Monsieur le président, la nation a besoin de savoir si vous et votre gouvernement avez fait option préférentielle pour les hors la loi au grand drame de toutes les familles haïtiennes ? Pour combien de temps encore tout un peuple, de ceux qui sont à la mamelle jusqu’au dernier des vieillards, doivent être, au grand mépris des gouvernants, livrés comme des brebis à la boucherie, à la furie des mécréants ? Est-ce que pour continuer à survivre dans ce pays qui est notre, tout le monde doit se transformer en bandit ou en hors la loi ? Puisque de l’avis de tous, les bandits sont accompagnés, encadrés et récompensés pour tous les crimes et les actions abominables qu’ils ont perpétrés contre la nation.
Monsieur le président, le pays n’a jamais été aussi en danger et la vie collective n’a jamais été aussi menacée. Vous et votre gouvernement êtes les premiers responsables de ce désastre et il est navrant de constater comment vous abandonnez certaines parties du territoire, notamment la capitale à la foudre des terroristes et à l’hypocrisie des occupants impies qui sont venus ajouter à nos malheurs l’absinthe et le poison de leur haine séculaire.
Monsieur le président, un chef d’État est quelqu’un de responsable et ne devrait être ni un lâche, ni un endurci, ni un indifférent. Ce devrait être avant tout, comme un père de famille qui se soucie du bien-être de chacun de ses enfants et qui irait même au sacrifice quand la survie de sa maison est menacée.
Monsieur le président, il nous est très pénible de comprendre votre indifférence et celle de votre gouvernement face au drame de l’insécurité. Le message que nous recevons de ce style de leadership nous donne l’impression que nous sommes en train de vivre le renversement total des valeurs et que notre survie doit désormais dépendre de notre seule férocité.
D’aucun dirait, Monsieur le président, que vous n’avez que quelques mois au pouvoir et que vous êtes encore à votre période de rodage. On n’a pas besoin d’être grand clerc pour voir que vous êtes mal parti. Un pays en crise multiforme ou généralisée ne peut être dirigé comme un pays normal ; un pays en agonie ne peut-être gouverné par des improvisateurs ; pour toute situation exceptionnelle, il faut des hommes exceptionnels et des mesures exceptionnelles.
On n’a pas besoin d’une communauté internationale pour nettoyer les rues de leurs détritus ; on n’a pas besoin d’une communauté internationale ou d’une association des droits humains pour dire que les délinquants doivent être contrés. D’ailleurs, cette communauté internationale a son propre agenda et elle cesserait d’exister s’il n’y avait pas des pays comme Haïti qui doivent être en crise permanente pour justifier leur présence et leur Mission.
En vérité, il n’y a pas un seul chef d’État dans le monde qui ait réussi à améliorer les conditions de vie de son peuple en se soumettant servilement aux injonctions des étrangers. Il n’y a pas un chef d’État dans l’histoire des peuples qui ait réussi à tirer son pays du gouffre sans avoir un coeur qui puisse compatir à la misère de ses concitoyens et qui puisse souffrir avec ceux qui souffrent.
Monsieur le président, nous vivons l’heure du grand défi, l’heure des grandes décisions. Il faut un homme de vision et de volonté, un homme qui a le sens des grandes responsabilités avec une équipe de patriotes avisés, capables de privilégier les seuls intérêts de la nation en désarroi.
Comprenez bien que l’histoire ne vous absoudra pas, si vous continuez avec cette politique de laisser-faire, laisser-dire et vous n’allez pas nous redire en fin de mandat et désespérément : “Naje pou nou soti…”
Monsieur le président, faites preuve de grandeur d’âme, arrêtez l’hémorragie. Montrez que vous méritez de la patrie. Nous et nos femmes, nos fils et nos filles, nos pères et nos mères, nos grands parents, nos proches et nos voisins … le pays tout entier, la postérité enfin vous seront reconnaissants.