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Haiti : l´État kidnappé… la société et le trésor public en paient les rançons

« Le royaume des cieux est pris de force et ce sont les violents qui s’en emparent »
Mathieu 11:12.

Débat

Par Gary Olius [1]

Soumis à AlterPresse le 27 novembre 2006

Toutes les raisons du monde, qu´elles soient mathématiques ou politiques, ne sauraient justifier le fait que des bandits de notoriété publique soient systématiquement ménagés et protégés pendant que l´honneur et la dignité des gens honnêtes soient foulés aux pieds. Plus de 1,900 assassinats crapuleux en deux ans et demi, en toute impunité. On souffre en silence et on dirait que chacun de nous attend passivement son tour, comme des condamnés à mort, dont le sort est irréversiblement scellé, faisant la queue aux pieds d´un poteau d´exécution. C´est inacceptable ! Regardant le niveau d´arrogance et d´assurance avec lequel les malfrats accomplissent leurs crimes, on est en droit de penser qu´un réveil immédiat s´impose à la société haïtienne comme un impératif incontournable si elle souhaite conserver un peu de chance de survie, car sinon les choses risquent sous peu de parvenir au stade de non-retour. Ce n´est pas une blague, les vagues déferlantes de la violence et de l´insécurité sont en train de tout dévaster sur leur passage et menacent à présent de détruire ce qu´il nous reste de plus cher, notre espérance de vivre dans un pays où un minimum de « vivabilité » est garanti.

Les déceptions répétées, les promesses non tenues et le cortège de cadavres qui défile sous nos yeux depuis belle lurette ne font que diminuer, chaque jour plus, nos possibilités de re-mobilisation en vue de construire ce modèle de pays auquel nous aspirons. Nos décideurs semblent ne pas être imbus de cette évidence. Et c´est sans avoir peur de mettre en péril ce qui leur reste d´humain et sans la moindre pudeur qu´ils continuent encore à remuer toutes les théories saugrenues pour trouver les arguments qui leur permettent de justifier leur silence suspect et leur inaction face aux crimes abominables qui sont perpétrés jour et nuit au sein de la société. Pour paraphraser Lao Tseu, il semble qu´ils se laissent plonger dans une asservissante illusion qui leur pousse à négliger leur devoir immédiat pour rêver uniquement de leurs chantiers politiques de longue durée, profondément enfuis dans leur pensée. Marxistes défroqués pour la plupart, ils oublient malheureusement ces paroles du maître qui pourraient les inciter à recouvrer la raison : « les faits sont plus rusés que les politiciens ».

Au mois de février 2006, on a vu la somme de violence qu´on a dû mobiliser pour forcer le CEP à signer, dans les conditions qu´on connaît, l´arrêt consacrant la victoire du regroupement LESPWA sans passer par un second tour de scrutin. Tous les naïfs y voyaient l´élan d´un peuple assoiffé de mieux-être et qui a vu en M. René Préval l´homme providentiel ou le mieux placé pour l´aider à assouvir cette soif. C´est une idée qui a fait son chemin, mais toujours est-il qu´il y avait des sceptiques qui n´étaient pas dupes du fait que l´agressivité manifestée en ce temps-là recelait quelque chose de préoccupant. La raison en est que la distance qui séparait M. Préval des autres candidats était suffisante pour lui assurer une confortable marge de victoire au second tour. Mais les groupes d´intérêts et les forcenés qui comptaient sur le retour de ce natif de Marmelade pour reconquérir leur paradis perdu ne l´entendaient pas de cette oreille et laissaient entendre qu´ils ne voulaient assumer le moindre risque. A partir de là, il fallait supposer que l´enjeu était tout autre et n´avait rien à voir avec quelque chose ayant une connotation démocratique.

Comme le temps qui passe a une vertu éclairante, après quelques semaines on a commencé par comprendre peu à peu le pourquoi de cette menée agressive du mois de février, conduite par des supporteurs « éduqués » du régime, lesquels ne s´embarrassaient d´aucun scrupule et sont allés jusqu´à troubler le repos des touristes de l´Hôtel Montana offrant au monde entier le spectacle d´un pays habité par des barbares ; oui dans cette Haïti où même les moins avisés acceptent l´idée que le développement du pays doit nécessairement passer par celui du secteur touristique.

Trop pressé de livrer la marchandise, le Président n´a pas lésiné sur les moyens et fait tout pour envoyer des signaux de gratitude à tous ceux qui se sont donnés corps et âmes pour lui garantir ce triomphe prématuré. Au mépris de tout ce que peuvent penser les observateurs critiques, il annule la poursuite judiciaire initiée contre Aristide pour vol et corruption, il place des gens soupçonnés d´enrichissement illicite dans des postes où l´argent circule à flot, il annonce la privatisation massive des entreprises de l´Etat et il promet de privilégier la négociation avec les bandits dans sa soi-disant lutte contre l´insécurité. L´application de ces mesures annoncées en grande pompe représente une part importante du bilan des six premiers mois de son mandat.

Sans un revirement drastique, le régime au pouvoir se retrouvera tôt ou tard dans ses petits souliers car il a trop de passifs à honorer et ce qui lui reste de crédit s´effritera au fur et à mesure qu´augmenteront les suspicions sur ces liens réels avec ceux qui font souffrir la société haïtienne et la font gravir le ciel à reculons. Il a bâti son règne sur deux bévues monumentales qui risquent de lui clouer éternellement aux poteaux de l´inaction. D´abord, il a accepté que sa campagne électorale soit menée dans des zones de grande importance politique par des bandits officiellement recherchés par la police ou par des gens bien connus pour leur propension à la malhonnêteté. Ensuite, l´opulence dont il a fait montre à ce moment là ne lui a permis de conserver aucune marge d´autonomie par rapport à des secteurs qui, dans le but d´avoir les coudées franches pour effectuer leurs actions irrégulières, sont toujours disposés à compromettre les éventuels présidentiables en mettant à leur disposition des possibilités de financement introuvables nulle part ailleurs. Pris dans cet étau, le gouvernement se retrouve coincé et contraint de s´aligner sur les positions que lui dictent les groupes qui l´ont supporté dans sa bataille pour accéder au pouvoir dans des conditions peu recommandables démocratiquement. Et, c´est justement pour satisfaire les desiderata de ces derniers qu´il parle incessamment de vente d´entreprises (très rentables) appartenant à l´Etat et de négociation avec les criminels qui prennent refuge dans les bidonvilles pour mieux accomplir leurs sales besognes.

En prêchant à hue et à dia la privatisation massive de toute une série de services publics (très stratégiques pour un Etat qui se veut social), dans un contexte où le secteur privé a montré son incapacité à gérer même une petite entreprise comme la Socabank, le Président se pose en défenseur irréductible d´une certaine frange de la société au détriment des autres. En poursuivant aveuglement ses pourparlers avec ceux qui sèment la terreur dans le pays, le gouvernement fait douter très sérieusement de sa crédibilité. En toute logique, pour entrer en concertation – Sans Médiation - avec des kidnappeurs, il faut être soit une victime du rapt soit avoir un certain lien avec eux. Car, il n´est pas donné à n´importe qui d´avoir leurs numéros de téléphone ou de les rencontrer face à face. Or, de fait, le gouvernement a négocié et a versé de l´argent. Ces sommes puisées du trésor public sont ou bien des primes octroyées pour des services préalablement rendus ou bien des versements effectués sous pression (pour ne pas dire tout simplement : rançons). Dans les deux cas le mal est grand et il ne saurait être toléré, sous aucun prétexte.

Cela ne vaut absolument pas la peine de vivre sous l´ordre d´un Etat qui se retrouve bourré de redevances envers des groupuscules particuliers, qui vit constamment avec le couteau sous la gorge, qui n´est pas libre de ses actions et qui ne juge même pas indécent le fait de ne pas pouvoir protéger ses paisibles citoyens. L´heure est grave et toute la société se doit de se soulever pour crier leur ras-le-bol et exiger un redressement sans condition de la situation. C´est un droit à faire valoir, toutes affaires cessantes, car c´est l´avenir de tout le pays qui est en jeu. Il faut aussi exercer une forte pression sur le Parlement en vue de décrocher le vote d´une loi qui définira comme illégal tout pourparler et tout octroi de fonds à des malfrats pour quelque raison que ce soit. Il est inacceptable, d´ailleurs, que des gens soient doublement récompensés pour les abominations qu´ils infligent à des innocents sans défense. Ils reçoivent périodiquement des centaines de milliers de dollars de la part du gouvernement en place et perçoivent des millions en rançons des parents des victimes. Et, pour signifier leur toute-puissance, ils torturent impunément les personnes qu´ils maintiennent de force sous leur contrôle. Le coût est trop élevé pour la société et il est temps de rompre le silence…car nous ne sommes pas une nation de zombis.

Il faut croire que si la société accepte de se soulever, le Parlement sera contraint de voter la sus-dite loi réclamée et le gouvernement se retrouvera dans l´obligation de changer radicalement de comportement. Tout refus d´obtempérer amènera à considérer carrément ses principaux membres comme les Actionnaires Majoritaires de cette funeste industrie qui tend à devenir la plus rentable d´Haiti. Et, dans ce cas de figure, ceux-ci devront être déclarés illégitimes et hors la loi, en attendant que la haute cour de justice soit mise en place pour recevoir une plainte formelle contre eux.

Si la société refuse d´assumer de toute urgence cette responsabilité, l´Etat restera pendant plusieurs années encore l´otage des réseaux mafieux ; et la société haïtienne continuera d´en payer les frais. Aussi aura-t-on à longueur de semaine des récits accablants à lire dans les journaux, comme celui de Farah N. K. Dessources (dont je salue la mémoire, en tant que Normalien et Haïtien averti. Et, les familles profondément déprimées, qui n´auront pas les moyens de quitter ce merdier qu´est de venu Haïti, finiront par offrir la main de leurs filles aux bandits ou d´intégrer leurs fils, leurs neveux ou leurs cousins dans des réseaux mafieux pour se tailler une forme de « protection ». Enfin de compte, Haïti deviendra littéralement une caverne de brigands et tous les pays voisins nous auront en horreur. Avant qu´il ne soit trop tard, il nous faut donc réagir. A bon entendeur, salut !

Contact : golius@excite.com

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[1Economiste et Doctorant en
Gouvernement et Administration Publique