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Haїti face aux grands défis du nouveau millénaire

Intervention de Hérold Jean-François dans le cadre de la célébration des 200 ans du Sénat haïtien, Cayes, le 9 novembre 2006

Document soumis à AlterPresse le 15 novembre 2006

Deux cents deux ans après, Haïti n’a pas été au rendez-vous du suivi de 1804. Nous n’avons pas pris les moyens de rester au sommet en érigeant une nation conforme aux idéaux de l’Indépendance.

Depi tout tan sila, nou chita ap grennen tenten. Nou pa pran okenn mezi pou nou mete bonjan baz solid pou kore pou tout tan nanshon an oswa nasyon an. Dayè, nou ponkò jam rive yon veritab peyi kote nou tout santi tout bon vre nou se frè ak sè.

Nou ponkò depase reyalite zansèt nou yo kite soti nan diferan peyi nan Lafrik, kidonk manb tribi ki pa te gen anyen pou yo wè yònn ak lòt.

Aujourd’hui encore en Haïti, nous parlons de nèg anwo, nèg anba, nèg lavil, nèg nan mòn, nèg andeyò. Liberté, Égalité, Fraternité notre devise nationale demeure un vœu pieux. Haïti est un pays éclaté entre de multiples réalités. Il n’y a plus seulement aujourd’hui en Haïti,‘’deux nations dans la nation’’, comme le déplorait au début du XXè. Siècle dernier, le grand écrivain et penseur, Louis-Joseph Janvier. Il y a désormais en Haïti autant de nations que de citoyens, chacun de nous, indépendamment du groupe auquel nous appartenons considére le pays comme le sien propre, en fonction de nos intérêts personnels, de nos besoins du moment, au détriment du reste de la société.

Les défis que nous devons relever au début de ce nouveau millénaire sont multiples allant de la satisfaction des besoins primaires de la population aux normes universelles à appliquer pour adhérer comme membre à part entière au village global qu’est devenu le monde. Cependant en relevant trois défis essentiels, le peuple haïtien prendra une option sérieuse pour renverser tous les revers qui ont marqué son histoire au cours de ces deux derniers siècles. Ces trois principaux défis sont : Revenir à l’État ; Sortir de l’indigence ; Construire ensemble un pays pour tous.

Premye gwo defi nou gen pou nou leve an Ayiti jounen jodi a, se retounen nan leta. Jodia nan peyi nou, nou pa nan leta, se bandi ki fè lalwa, nou retounen nan sa gwo save ki reflechi sou zafè peyi ak fòmasyon nanshon yo rele yon retou nan yon sitiyasyon kote anvan leta te egziste pou enpoze règ ak lalwa bay tout sitwayen yo kidonk yon sitiyasyon zannimo sovaj kote se sa ki gen plis fòs la ki fè tande vwa li. Dans cette situation anarchique il n’y a aucune garantie sur la possession d’aucun bien, celui qui dispose de la force s’approprie ce qui appartient à son voisin sans aucun recours. C’est à peu près aujourd’hui la réalité de notre pays. Les menaces sur la propriété privée, la déroute de l’autorité, les viols, les rapts, les kidnappings ne sont rien moins que l’expression d’une situation de non État.

Revenir à l’État suppose que la République dispose des moyens de coercition efficaces et adéquats pour imposer ses décisions à tous les citoyens. Que l’État ait à son service la force publique qui puisse intervenir à point nommé pour faire régner l’ordre et garantir la paix publique ; que la justice devienne un appareil efficace et bien rodé pour appréhender qui que ce soit et que chaque citoyen devienne comptable du délit perpétré et en reçoive une sentence équivalente au forfait commis ; que l’État soit suffisamment moral pour s’imposer à la société et aux partenaires étrangers, qu’il puisse mettre la nation en confiance et les bandits en déroute.

Le deuxième grand défi pour Haïti pou nou rive korije kaye nou retwouve diyite nou, reprann dwa grandèt nou pou nou kontinye nan liy zansèt nou yo te trase lè yo te vle pran endepandans yo, se pou nou fè jan’n konnen pou nou soti nan lawont lonje kwi nou isit lòtbò pou nou rive anvan lontan kapab ranmase fatra nou pou kò nou, pou nou rive jwenn andedan peyi a ase lajan pou finanse bidjè peyi a pou nou kapab jwenn lajan pou se nou menm ki depanse lajan pou nou fè eleksyon lakay nou, bay popilasyon an bonjan sèvis kelkilanswa kote li ap viv sou teritwa a, elatriye.

Sortir de l’indigence doit être l’un de nos principaux objectifs. Nous devons œuvrer à la récupération de notre dignité, retrouver notre légitime orgueil de peuple fier et souverain. La première étape de cette récupération de l’orgueil national passe évidemment par un retour à la terre. De la colonisation à date, notre espace a été un lieu privilégié de la production. Bien dotée par la nature, l’agriculture est la vocation essentielle d’Haïti. Nous devons, à la lumière de notre passé de grand producteur de biens agricoles et mettant à profit les techniques modernes de production avec l’introduction de la machinerie agricole, des engrais, des fertilisants, du crédit à l’agriculture, d’une redistribution des terres en incitant au regroupement sur des parcelles plus étendues, relancer la fièvre de la production pour mettre ce pays en culture. Regarder par exemple dans le Sud, la plaine de Torbek entre autre et son immense potentialité agricole !

Nous sortirons alors d’une agriculture de subsistance pour entrer dans une agriculture de production et d’exportation. Les nouvelles économies émergentes de l’Amérique Latine et d’ailleurs ont dans leur panier de biens à l’exportation, des milliers de produits issus de la terre et de la transformation industrielle. Le Chili, est aujourd’hui, l’un des meilleurs exemples avec plus de trois mille produits exportés sur les marchés mondiaux. Cela passe des fruits destinés au marché asiatique, aux jus de fruits sur le marché mondial et au vin dont il est devenu un concurrent non négligeable. Notre marché, aujourd’hui est envahi par les produits en provenance du Chili, de l’Argentine, du Mexique, du voisin dominicain et de la lointaine Afrique du Sud, sans parler de la Chine qui est en passe de devenir la prochaine super puissance économique. Tous ces produits, font partie de l’inventaire de ce qui est disponible dans notre écho système. Si vous voulez un exemple, nous importons du jus de mangue, du jus de goyave, du jus d’ananas, du maïs moulu, du pois, de la banane, du citron et nous en passons. Nous importons du poisson alors que nous nous trouvons sur une portion d’île ! Nous devons nous secouer pour organiser enfin la production et reverser notre statut d’importateur pour produire les biens essentiels que nous consommons et faire une bonne apparition sur les marchés mondiaux en offrant des produits tropicaux que nous importons aujourd’hui parce que nous sommes en train de dormir inconsciemment.

Des pays comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Corée du Sud, Taïwan, entre autres, ont, en moins de cinquante ans, changé leur condition de pays sous-développés pour faire partie aujourd’hui des principales économies du monde. Les misères d’Haïti qui n’arrivent pas à sortir du désert qu’il traverse depuis sa naissance ne sont en rien une situation unique. Nous avons l’avantage de pouvoir lire l’histoire des autres peuples pour tirer parti de leur vécu. Mais nous sommes connus pour notre refus à tirer profit des enseignements de notre propre passé !

Sortir de l’indigence signifie également entrer dans les normes. Nos problèmes actuels sont le fruit de trop de décennies d’improvisation, du refus de la planification. Nous devons enfin arrêter de prioriser le pouvoir au détriment de tout le reste. Nous devons entrer dans les normes pour cesser d’être un État avorté. Lè n’ap gade jan peyi a ap fonksyone nou parèt tankou moun k’ap chare moun k’ap fè peyi. Nou te vle endepandan tankou tout lòt, men nou tèlman betize, tou sa nou rive fè se yon tankou peyi, yon Repiblik bannan kote leta plizyè fwa, sa k’ap dirije’l, se yon asosiyasyon malfektè, oswa yon bann malad mantal ki ta pi byen nan yon azil moun fou ke nan tèt peyi a. Nou wè tout kalite dirijan. Gen kèk grenn exsepsyon prezidan ki eseye make tan yo kite kèk reyalizasyon. Men eksepsyon yo pa te sifi pou mete peyi a sou yon wout kote nou pa te ka fè bak e ke bout wout la se pwogrè tout sitwayen yo alawonnbadè ap santi nan lavi yo ki vinn pi bon jou apre jou.

Il a manqué à trop de nos dirigeants, le souci de résultats. Nous devons aujourd’hui prendre une option nouvelle dans la quête du pouvoir. Pourquoi vouloir le pouvoir si ce n’est pour relever des défis, transformer les réalités difficiles, contribuer à améliorer les conditions de vie, créer les infrastructures, prendre les mesures audacieuses qui placent le pays sur la voie du progrès et du changement social ? Le pouvoir pour le plaisir d’en jouir, nous devons rompre avec cette vision déformée qui a mobilisé les maigres ressources de la nation sur des priorités personnelles au détriment de l’ensemble des citoyens que nous laissons croupir dans des situation de misère abjecte. Et la source du maintien de ce système réside dans le maintien des masses dans l’ignorance.

Fòk nou soti nan leta tout pou mwen an pou nou antre nan yon leta modèn, yon leta ki gen anbisyon, yon leta k’ap fè jefò tout moun ka wè, tout moun santi nan zèv li konstwi, nan bèl wout, nan kannal pou rouze tè, nan lekòl ki gen ban ak tout lòt bagay ki nesesè pou ti fi kou ti gason aprann nan bon kondisyon, nan lopital, izin pou kouran blayi toupatou, wap pou komès alevini, tranzaksyon travay kale kò yo, ayewopò pou ayisyen kou touris deplase rapid vinn pran plezi yo, repoze yo aloske y’ap ede ekonomi an fonksyone ak anpil mwayen.

L’État comme il faut, ce n’est pas en Haïti, comme nous fonctionnons aujourd’hui que nous l’observons. Même l’État, le pouvoir organisé, pour le contempler, nous devons voyager, au moins, traverser la frontière. Nous devons lever ce défi principal de revenir à l’État, avec le prestige inhérent à ce statut, des institutions respectables, des représentants de l’État honorables, le respect de l’autorité, des valeurs morales, bref, retrouver notre pays avec ses principales valeurs, celles qui ont fait sa grandeur, sa fierté et l’envie du reste du monde.

Mettre en place un pays viable, redonner confiance aux Haïtiens en l’avenir d’Haïti, retrouver le respect et l’admiration des étrangers, ce sont autant de sous-ensembles faisant partie de l’un des principaux défis, sortir de l’indigence. En mobilisant nos ressources, mettre à profit tous les atouts de cette généreuse nature qui nous a gâté pour redevenir l’une des principales destinations touristiques de la Caraïbe, moderniser notre appareil fiscal pour collecter plus de revenus et sortir graduellement de la dépendance de l’aide publique au développement, créer nos propres forces de sécurité pour cesser de transférer nos principales prérogatives d’un État libre à ce que nous appelons avec complaisance la communauté internationale sont les principales exigences de ce pari, sortir de l’indigence.

Le troisième grand défi des Haïtiens et pas le moindre, c’est celui de construire ensemble la nation, ériger un pays pour tous. Lè nou gade kote nou ye la plis pase 200 lane apre fondasyon peyi nou, li t’a samble ke mete tèt nou ansanm pou nou fonn yon ak lòt nan yon sèl peyi, samble se bagay ki pi difisil pou ayisien fè. Peyi a jan li ye jodia a, nou tout wè nou ladan’l, san an reyalite li pa pou nou tout vre. Nou pa bezwen bay tèt nou manti, nou pa janm fè gwo jefò pou tout ayisien santi peyi sa a se pou yo, yo gen dwa ladan’l, yo jwenn sèvis, yo konte yo pou moun. Sèl lè tout ayisien konte se lè gen eleksyon. Nan Ayiti jodia, se sèl lè nou santi nou egalego.

Nou p’ap viv nan yon sèl peyi, genyen plis pase 9 milyon ayisien. Ayiti pa nou an se reyalite nou chak ap viv la. Kidonk genyen anpil fwontyè andedan espas ki rele Ayiti a. E nou konnen menm jan avè’m se pa konsa ou soti nan Ayiti pa nou chak la pou nou antre nan Ayiti pa lòt la ! Les barrières sont là, nous avons tout fait pour les maintenir. D’ailleurs, aujourd’hui, plus que jamais, nous montons les murs plus hauts pour nous enfermer dans notre petit monde, nous protéger des menaces et des regards envieux des autres Haïti…

Construire ensemble la nation haïtienne, demeure le plus grand défi des Haïtiens plus de deux cents ans après l’Indépendance.

Le premier pas pour aller vers cette nation haïtienne une, juste, indivisible, agréable et appartenant indifféremment aux uns et aux autres, passe par l’éducation de tous les citoyens. L’exclusion de la majorité réside jusque-là dans le refus d’éduquer l’ensemble des citoyens. S’il le faut, pour prendre un nouveau départ, nous devons consacrer l’essentiel de nos moyens à ce devoir d’éduquer la nation entière.

L’exclusion dont on a toujours parlé prend sa source dans le fait que notre société ait accepté d’une génération à l’autre de reproduire cette injustice majeure, sans se mobiliser pour porter l’État à assumer cette obligation essentielle.

Depuis quelque temps, nous attirons l’attention de la nation sur une situation anormale, celle issue de l’éducation refusée à la majorité. La majorité des Haïtiens, aujourd’hui, est constituée de gens de maison, de garçons de cour, de portefaix, de manœuvres non qualifiés, de paysans incultes, de marchandes, d’enfants de rues, de ce que l’on qualifie de lumpen taillable et corvéable, manipulé et manipulables par toutes les chapelles politiques. Quand dans un pays, la majorité est incapable de participer valablement au changement social et aux actes qui conduisent au développement, malgré toute sa bonne volonté, ses efforts, sa contribution inestimable dans les foyers où elle fait assez souvent un travail ingrat, non apprécié à sa juste valeur, elle devient alors immanquablement un frein au développement. Alors, le rôle de l’État et de ses élites est de prendre conscience de ce facteur de blocage, pour se donner les moyens de mettre fin à cette situation anormale.

C’est par l’éducation que l’on intègrera tous les Haïtiens dans la nation. En nous impliquant tous, chacun dans notre champ de compétence, capable d’ajouter de la valeur par notre compétence à tout ce que à quoi nous touchons, c’est alors que nous mettrons notre pays sur sa véritable voie. Il nous faut rompre le moule de reproduction des inégalités, casser cette machine d’injustice et prendre des options viables pour la renaissance de notre pays. La clef de cet objectif, le principal levier pour lever ce défi de taille, c’est l’éducation.

Notre pays est caractérisé par un ensemble d’incuries, l’État défaillant, les citoyens irresponsables réclamant des droits sans tenir compte des devoirs. L’accès à l’eau potable, reconstruire notre environnement, la scolarisation universelle, la sécurité publique, l’énergie électrique, les infrastructures essentielles, la collecte des ordures ménagères, le minimum, l’inimaginable, comme des enfants fréquentant des écoles sans mobilier, tout est défi dans notre pays, mais après deux cents ans sans prendre les moyens de transformer cet espace et le rendre agréable pour tous, nous semblons incapable de voir qu’il est presque trop tard pour le sauvetage. Faire prendre conscience sur la nécessité de nous arrêter pour faire notre bilan et prendre ensemble, en toute conscience, un nouveau départ, dans d’autres états d’esprit, représente à lui seul tout un défi, alors il nous faut nous réveiller et aller à la rencontre de ces défis pour remettre à nos enfants un pays plus viable.