P-au-P, 14 nov.06 [AlterPresse] --- Le directeur central de la police judiciaire (DCPJ), Michael Lucius, en conflit ouvert avec des instances de la justice nationale depuis plusieurs semaines, a décidé ce 14 novembre 2006 de se démettre officiellement de son poste, a annoncé l’intéressé au cours d’une rencontre avec la presse à son bureau.
« Si ma présence est embarrassante à la DCPJ, je décide de me retirer, à l’instar de la sage décision du juge d’instruction Napela Saintil de se dessaisir du dossier », affirme Michael Lucius qui attend une autre réaffectation de la direction générale de la police nationale d’Haïti (PNH).
L’annonce de la démission officielle du directeur de la DCPJ intervient environ 24 heures après les déclarations publiques du commissaire du gouvernement près le tribunal civil de Port-au-Prince, Claudy Gassant, réitérant sa détermination à ne plus recevoir les dossiers d’arrestation, de garde à vue et autres transmis par la DCPJ, auxiliaire du système judiciaire national.
Pour Gassant, qui considère l’inspecteur général de police aujourd’hui démissionnaire comme « légalement en fuite », Michael Lucius demeure un inculpé contre qui un mandat d’amener, puis un mandat d’arrêt ont été décernés par le juge d’instruction Napela Saintil.
Ce dernier se serait écarté « volontairement » de l’affaire le 10 novembre 2006, parce qu’il y aurait des « intouchables » en Haïti. En l’occurrence, les armes « détenues par la police nationale » auraient la préséance sur les dispositions prises par la justice d’Haïti.
Le 13 novembre 2006, l’un des avocats de Lucius, Samuel Madistin, informait la presse des démarches déjà entreprises par son client auprès de la direction générale de la PNH pour une affectation à un autre poste au sein de l’institution policière.
Toujours est-il que Lucius, y compris ses défenseurs, s’est toujours déclaré disposé à répondre aux convocations de la justice, mais d’un autre juge qui ne serait pas Napela Saintil, qu’il a récusé.
L’affaire Saintil-Lucius défraie la chronique depuis plusieurs mois en Haïti, depuis qu’au début de l’année 2006, le responsable démissionnaire de la DCPJ a envoyé à la direction générale de la PNH un document faisant état de la corruption de nombreux juges du système judiciaire haïtien dans la libération de plusieurs prévenus, dont quelques-uns suspectés de participation ou de complicité à des actes d’enlèvement de personnes.
Or, ce serait sous l’accusation de « responsabilité » dans des « actes de kidnapping » que le directeur démissionaire de la DCPJ serait inculpé, malgré un ensemble d’actions en contestation auprès du tribunal des référés, de la Cour d’Appel et de la Cour de Cassation de la République, entamés depuis plusieurs mois par les avocats de Michael Lucius.
Les opinions restent partagées, dans les milieux judiciaires haïtiens, sur la possibilité ou non de poursuivre Michael Lucius.
En dehors de reproches légitimes ou non vis-à-vis du responsable démissionnaire de la DCPJ, d’aucuns soupçonnent une allure « politique » donnée à l’affaire Saintil-Lucius.
Michael Lucius serait en train de payer son « arrogance » dans la dénonciation de « magistrats corrompus » qui ont libéré des prévenus « en pleine grève de juges en décembre 2005 », à l’instar du directeur de l’Unité centrale de Renseignements Financiers (UCREF), Jean Yves Noël, incarcéré pendant quelques jours en mai 2006 [8 jours après l’investiture le 14 mai du nouveau président René Garcia Préval] sur demande d’un autre juge d’instruction Jean Perez Paul.
Le 23 novembre 2005, Michaël Lucius, comme chef de la DCPJ, dénonçait les responsables de la justice qui libèrent des bandits "sans conditions", sans prendre le temps de conduire des investigations approfondies, alors que 2 hauts gradés de la police ainsi que des policiers se trouvaient en prison.
« Il est anormal que les policiers qui risquent leur vie soient gardés en prison et que des bandits notoires soient en liberté » déplorait alors Lucius au cours d’un point de presse de la Police Nationale d’Haïti.
Est-ce que Lucius va être appréhendé et détenu dans les mêmes cellules que les bandits qu’il poursuivait il y a quelques mois, comme le responsable de l’UCREF [institution constituée le 29 novembre 2004 pour diligenter des enquêtes financières], qui a échappé à des tentatives d’assassinat pendant son incarcération ? Dans quelle mesure l’actuelle saga judiciaire Cabinet d’Instruction / Direction Centrale de la Police judiciaire renforcera ou affaiblira les pouvoirs de la justice et de son auxiliaire, la police nationale ?
Les observateurs attendent les développements à venir pour se fixer, notamment sur l’orientation du gouvernement Préval/Jacques Edouard Alexis II (deuxième version après la période 1999 – 2001), quant à la poursuite des criminels et au combat contre l’impunité, à un moment où différents groupes et gangs armés menacent de provoquer des troubles violents dans la capitale d’Haïti, moins d’un mois avant la tenue des élections municipales et locales prévues pour le 3 décembre 2006. [rc apr 14/11/2006 13 :30]