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Haiti-Décentralisation : Mise en œuvre difficile

Première partie d’un texte de Tony Cantave, coordonnateur Groupe de Recherche et d’Intervention en Éducation Alternative (GRIEAL), titré « Le projet constitutionnel de Décentralisation :
une co-administration et une co-gestion de la République »

Document soumis à AlterPresse le 18 octobre 2006

« Pour vivre, la décentralisation a besoin d’une codification minutieuse et claire… Pour prospérer, il lui faut un environnement favorable car c’est une plante fragile qui réclame une attention soutenue et appelle des soins constants. Elle ne pourra s’épanouir que si la collectivité tout entière, c’est-à-dire naturellement le pouvoir central ainsi que les autorités locales, mais aussi l’ensemble des citoyens, (c’est nous qui soulignons) souhaite ardemment son éclosion et veille à son durable enracinement ».
Jacques Bauguenard : La décentralisation – Que sais-je ? # 1879. PUF, 1996.

Le contexte

L’administration publique haïtienne aujourd’hui se caractérise par une déficience aigue dans les services qu’elle offre dans les domaines socio-économiques et culturels et un dysfonctionnement dans l’organisation et la gestion des services collectifs.

La nation haïtienne vit avec un État excluant axé sur une forte centralisation des pouvoirs de décision à la capitale et une concentration des services dans la zone métropolitaine. Il en résulte un ″vide étatique provincial″ prononcé, expression somme toute d’une faible et d’une mauvaise répartition des agents de la fonction publique. Cette situation n’est pas nouvelle, elle est plutôt chronique.

Pour remédier à cet état de fait, la Constitution de 1987 propose un nouveau modèle d’organisation de l’État qui a pour fondement essentiel la décentralisation territoriale basée sur les Collectivités Territoriales et la Déconcentration des services dans les divisions administratives.

« La Décentralisation doit être accompagnée de la Déconcentration des services publics avec délégation de pouvoir et du décloisonnement industriel au profit des départements » prescrit l’article 87.4 du pacte fondamental et ce dans le but évident d’accélérer le processus de prestation de services collectifs à toute la population, et ce dans les meilleures conditions possibles, d’une part, d’initier les processus de développement communautaire, local, régional et national par une bonne gouvernance, d’autre part.

La Décentralisation telle que préconisée par la Constitution n’est pas une simple formule technico-administrative recherchant seulement une meilleure efficacité dans la gestion des services publics. Elle se veut et s’inscrit d’emblée comme un outil politico-administratif d’organisation sociétale, et spatiale devant :
- affirmer une présence significative de l’État sur l’ensemble du territoire par une administration de service et de proximité,
- établir la démocratie participative,
- partager les responsabilités de l’État entre les cinq (5) piliers institutionnels que sont les trois (3) pouvoirs traditionnels (Exécutif, Législatif, Judiciaire), les Institutions Indépendantes (Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, Office de Protection du Citoyen, Conseil Électoral Permanent, l’Université d’État d’Haïti, Commission de Conciliation), les Institutions Territoriales Décentralisées (Collectivités Territoriales (3) Conseil Interdépartemental),
- assurer le développement économique, social, culturel au niveau local, régional, départemental et national.

Ce faisant, la Décentralisation devient le socle de la nouvelle architecture de l’organisation de l’État Unitaire. Son déploiement à travers les Collectivités Territoriales – ses points d’ancrage – devra s’arc-bouter tant aux structures institutionnelles que dans la distribution des compétences consenties par les pouvoirs Exécutif et Législatif.

Les Collectivités Territoriales, base de cette décentralisation sont divisées en trois (3) catégories soit le Département, la Commune et la Section Communale (cf. Art. 61). Elles se déploient sur trois (3) instances : un Conseil Exécutif, une Assemblée Délibérante et une population active et agissante permettant une participation citoyenne dans la gestion quotidienne des affaires locales. En plus, elles sont accompagnées par les structures déconcentrées de l’administration centrale réparties dans les circonscriptions administratives que sont les départements, les arrondissements, les communes, les quartiers et les sections communales (cf. Art. 9 et 9.1) afin d’offrir, de façon célère, des services collectifs de qualité à toute la population.

Le cadre constitutionnel : une operationnalisation difficile

Une trentaine d’articles environ balise, structure et cadre le projet constitutionnel de décentralisation pour l’édification de l’ÉTAT UNITAIRE DÉCENTRALISÉ D’HAITI. On peut les classer selon deux niveaux : le niveau politico-administratif et le niveau politico-économique. L’absence manifeste de volonté politique des dirigeants depuis environ 20 ans tant du côté du pouvoir Exécutif que du Pouvoir Législatif constitue la pierre d’achoppement de l’opérationnalisation du projet constitutionnel.

a- Niveau Politico-administratif : Un projet de co-administration de la république

La décentralisation se retrouve couplée à la déconcentration des services publics avec délégation de pouvoir (art. 87.4). Le Conseil Municipal, est assisté, à sa demande, d’un Conseil Technique que lui fournit l’Administration Centrale (art. 71). De plus, l’Exécutif nomme pour coordonner et contrôler les services publics, un Délégué dans chaque département et un Vice-Délégué dans chaque arrondissement (art. 85 et 86).

Dans le domaine de la justice, les Assemblées Municipales soumettent au Président de la République le choix de personnalités à nommer au poste de Juge de Paix dans leur circonscription juridictionnelle, et les Assemblées Départementales font de même pour le choix des Juges des Tribunaux de Première Instance et ceux des Cours d’Appel (art. 175).

La Constitution établit des relations fonctionnelles entre les catégories de Collectivités Territoriales. Chaque Conseil Exécutif est assisté d’une Assemblée Délibérante (art. 63.1, 67 et 80) pour le bon fonctionnement de la gouvernance locale. En effet, le Conseil Municipal rend compte à l’Assemblée Municipale qui elle-même en fait rapport au Conseil Départemental (art.73). En ce qui concerne la Collectivité Territoriale Départementale, le Conseil rend compte à l’Assemblée qui elle-même fait rapport à l’Administration Centrale (art. 83).

Emboîtant le pas, la 46ème législature dans l’élaboration de la loi « Portant sur l’Organisation de la Collectivité Territoriale de Section Communale » le 28 mars 1996 a opté pour la même procédure pour la Section Communale en confiant au Conseil Municipal les mêmes prérogatives annoncées précédemment (cf. art. 11.3).

De plus, en cas d’incurie, de malversations ou d’administration frauduleuse prononcée par le Tribunal Compétent en ce qui a trait à la gestion de la Collectivité Territoriale Communale, et s’il s’ensuit des motifs de dissolution, c’est le Conseil Départemental qui supplée immédiatement à la vacance. Il saisit le Conseil Electoral Permanent qui, dans les soixante (60) jours, à partir de la date de dissolution organise des élections en vue de la mise en place d’un nouveau Conseil Municipal (art. 72). Et si la même situation d’incurie, de malversation ou d’administration frauduleuse légalement constatée par le Tribunal Compétent en ce qui concerne la Collectivité Territoriale Départementale et s’il s’en suit un cas de dissolution c’est l’Administration Centrale qui nomme une Commission Provisoire et en saisit le Conseil Electoral Permanent qui organise des élections en vue de compléter le mandat qui reste à courir dans les soixante (60) jours de la dissolution (art. 84).

Au niveau strictement politique, les Assemblées Départementales concourent avec les Pouvoirs Exécutif et Législatif et aussi avec la Cour de Cassation à la nomination des membres du Conseil Electoral Permanent, (CEP) chargé en toute indépendance, d’organiser toutes les élections au pays (art. 192). C’est dans le domaine de l’éducation que la Constitution a été le plus loin dans le développement du partenariat entre l’administration centrale et les Collectivités Territoriales. L’article 32.1 stipule que « L’éducation est une charge de l’État et des Collectivités Territoriales. Ils doivent mettre l’école gratuitement à la portée de tous. »

L’article 32.2 se lit comme suit « La première charge de l’État et des Collectivités Territoriales est la scolarisation massive, seule capable de permettre le développement du pays. L’État encourage et facilite l’initiative privée en ce domaine. »

L’article 32.4 prescrit que « L’enseignement agricole, professionnel, coopératif et technique est une responsabilité primordiale de l’État et des communes. »

Quant à l’article 32.7, il prescrit sans ambages ce qui suit : « l’État doit veiller à ce que chaque Collectivité Territoriale, section communale, commune, département, soit doté d’établissements d’enseignement indispensables, adaptés aux besoins de son développement, sans toutefois porter préjudice à la priorité de l’enseignement agricole, professionnel, coopératif et technique qui doit être largement diffusé. »

Et l’article 32.9 prescrit que « L’État et les Collectivités Territoriales ont pour devoir de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue d’intensifier la campagne d’alphabétisation des masses. Il encourage toutes les initiatives privées tendant à cette fin. »

De plus, les Collectivités Territoriales peuvent avoir des litiges avec l’Etat et c’est la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif qui est chargée de connaître ces litiges (art.200.1). C’est aussi la Cour qui est chargée du contrôle administratif et juridictionnel des recettes et dépenses des Collectivités (art. 200).

A l’article 87.1, il est dit que le représentant au Conseil Interdépartemental (CID) sert de liaison entre le Département et le Pouvoir Exécutif. Celui-ci siège au Conseil des Ministres avec voie délibérative (art. 87.3).

A regarder de près l’architecture organisationnelle du nouvel État, c’est à une véritable co-administration de la république qu’impose à nos dirigeants politiques la constitutions de 1987.

Voir en cliquant ci-dessous le schéma de présentation du cadre constitutionnel et légal des relations entre :
- les organes des collectivités territoriales et l’administration centrale
- les collectivites territoriales et l’administration centrale

b- Niveau Politico-économique : Un projet de co-gestion de la république

La décentralisation prônée par la Constitution de 1987 place le développement économique du pays au coeur même du débat de la réforme de l’Etat d’Haïti pour tenter de sortir le pays de la situation de pauvreté massive qui le caractérise. En effet, l’implantation des Collectivités Territoriales (CT) comme pilier de la décentralisation induit les questions de potentialités économiques requises, de ressources à générer pour amorcer le processus de développement local, de reconfiguration des institutions du pouvoir central et du positionnement des institutions territoriales déconcentrées et décentralisées pour la satisfaction des besoins fondamentaux de toute la population. La trentaine d’articles de la Constitution de 1987 relative à la décentralisation et aux Institutions Territoriales Décentralisées s’articulent donc pour concourir à la Co-Gestion de la République .

En effet, les Collectivités Territoriales jouissent de l’autonomie administrative et financière (art. 66 et 77). Cependant, cette jouissance n’est accordée qu’aux Collectivités Territoriales Communales et Départementales. Rien n’est dit concernant la Section Communale et nulle part ailleurs dans la constitution on fait exception de cette collectivité, car, toutes les Collectivités Territoriales - Section Communale, Commune et Départementale - participent à l’élaboration des lois de finance les concernant (art 218).

L’article 74 de la Constitution affirme que le Conseil Municipal est gestionnaire et privilégié des biens fonciers de l’État du domaine privé de l’État situés dans les limites de sa commune. De plus, il est formellement stipulé que : « ils [les biens fonciers] ne peuvent être l’objet d’aucune transaction sans l’avis préalable de l’assemblée municipale. »

A ce prescrit de l’article 74, l’article 39 de la Constitution précise : « Les habitants des sections communales ont un droit de préemption pour l’exploitation des terres du domaine privé de l’état situées dans leur localité. »

De plus, le Conseil Départemental élabore avec la collaboration de l’Administration Centrale le plan de développement du Département (art. 81). Une place de choix est encore accordée au Conseil Interdépartemental (CID) qui, de concert avec l’Exécutif, lors des réunions spécifiques du Conseil des Ministres qui étudie et planifie les projets de décentralisation et de développement du pays au point de vue social, économique, agricole et industriel (art. 87.2) ; et ce, avec voix délibérative (art. 87.3). En plus, il élabore avec l’Exécutif la loi qui fixe la portion et la nature des revenus publics à attribuer aux Collectivités Territoriales (Art.217).

On peut dès lors sans risque de se tromper affirmer que le projet constitutionnel de décentralisation au niveau politico-économique convie nos dirigeants à une co-gestion de la république assumée par l’Administration Centrale représentée par le Pouvoir Exécutif dans sa branche gouvernementale d’une part et les Collectivités Territoriales représentées par le Conseil Inter-départemental d’autre part.

Voir en cliquant ci-dessous le schéma d’organisation de l’État Unitaire Décentralise d’Haïti et le Plan National de Développement (PND)