Analyse et commentaire
Par Wooldy Edson Louidor
« Port-au-Prince se présente aux yeux comme une mixture sonore
de couleurs où la vie s’étourdit et oublie qu’elle dure peu et qu’elle fait beaucoup souffrir.
La ville copie sur les peintres qui peignent la ville ?
Ou c’est elle qui convertit toute seule ses ordures en beauté ? »
Eduardo Galeano, Bocas del tiempo (Traduction libre)
Des images d’Haïti projetées à l’extérieur sont tristes : depuis les conclusions du rapport annuel de l’organisation non gouvernementale Transparency International (TI) illustrées par le quotidien français Le Monde à travers une photo que Reuters a publiée, jusqu’au 16ème Sommet Ibéro américain à Montevideo sur le thème « Migration et Développement ». Le plus triste c’est que ces images, quoique nuisibles parfois à sa dignité, ne manquent pas toutefois de refléter la réalité de ce pays qui paraît de plus en plus ingouvernable et où des groupes armés refont surface par moments pour dicter leur loi aux autorités, aux forces de l’ordre nationales et internationales et à la population civile.
Y a-t-il une chance pour qu’Haïti présente une réalité et une image dignes d’elle-même ?
Les images d’Haïti récemment projetées à l’extérieur
Haïti, l’un des trois pays les plus corrompus du monde
Commençons par le rapport annuel de l’Organisation « anti-corruption » Transparency International (TI) publié le lundi 6 novembre. Ce rapport conclut que, parmi 163 pays évalués sur une échelle allant de 0 (très corrompus) à 10 (pas du tout corrompus), Haïti, la Birmanie et l’Irak sont classés en tête des pays les plus corrompus du monde.
L’étude de Transparency International, basée sur les sondages et rapports d’institutions indépendantes comme la Banque Mondiale et le Forum économique mondial, montre un lien étroit entre la corruption et la prospérité économique, puisque les riches démocraties sont en tête de liste des pays les moins corrompus à la différence de la quasi-totalité des pays pauvres qui obtiennent une note inférieure à la moyenne 5.
Haïti, l’un des trois (3) pays les plus corrompus du monde : cette image invite les bailleurs à ne pas débloquer, comme sous la présidence de Jean-Bertrand Aristide, les fonds en faveur de l’aide internationale au pays !
Haïti, ville où porcs et êtres humains font bon ménage
Pour illustrer les conclusions de ce rapport annuel, le quotidien français Le Monde utilise sur son site Internet une photo de Reuters qui présente une rue de Port-au-Prince infestée d’ordures où porcs et êtres humains font bon ménage. Cette image qui veut symboliser la pauvreté d’Haïti, conséquence de la corruption de la plupart de ses dirigeants, ne manque pas d’éclabousser la dignité du pays.
Haïti, une charge sur les épaules du pays voisin
D’autre part, à Montevideo, en Uruguay, au cours du 16ème Sommet Ibéro américain sur le thème « Migration et Développement », le vice-président dominicain, Rafael Alburquerque, implora le samedi 4 novembre l’appui de la Communauté Internationale au développement économique et au processus de renforcement des institutions d’Haïti, conditions sine qua non pour permettre aux citoyens haïtiens de rester chez eux et de ne pas envahir la République voisine.
Depuis 1991, face à la fermeture des ambassades et frontières maritimes des autres pays (le Canada, les Etats-Unis et quelques îles de la Caraïbe) aux migrants et réfugiés haïtiens, la grande majorité de ces ressortissants haïtiens en fuite de la violence, la misère et l’insécurité se dirigent vers le pays voisin où ils sont considérés comme une « charge » pour l’État et la société dominicains.
Le gouvernement dominicain actuel a bien compris que pour « se décharger », il faut non seulement déporter les migrants haïtiens et nier à leurs descendants nés sur le sol dominicain la nationalité dominicaine, mais aussi solliciter l’aide internationale en faveur d’Haïti.
La réalité actuelle d’Haïti
De partout dans le monde, des organisations non gouvernementales ainsi que des chefs d’État et autres autorités sont en train de lancer un SOS en faveur d’Haïti, qui fait pitié. Pourtant à l’intérieur du pays, on s’éternise encore sur les hauts faits de Jean-Jacques Dessalines, de Capois La Mort, de Boisrond Tonnerre et d’autres héros de l’indépendance !
De l’autre côté, le chef de la Police Judiciaire et un juge du Cabinet d’Instruction de Port-au-Prince se livrent à une lutte sans merci, mettant ainsi en évidence le conflit de pouvoirs, le manque de coordination entre la Police et la Justice, la fragilité des institutions de l’État et l’absence d’arbitres pour trancher les litiges entre ces deux corps indispensables dans la lutte contre l’insécurité et la violence qui règnent à la capitale haïtienne depuis plus de deux ans.
Effectivement, de nouvelles violences ont refait surface à Martissant et à Fontamara (au Sud de Port-au-Prince) les 3 et 4 novembre laissant un mort et plusieurs blessés. Le phénomène du kidnapping a réapparu avec vigueur les 1er et 2 novembre, surtout en Plaine et à la Route des Frères (périphéries Nord et Nord-Est de la Capitale) faisant une dizaine de victimes.
Des manifestations se déroulent ici et là, au cours de la semaine écoulée, pour exiger le départ de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH) ou la démission du premier ministre Jacques-Édouard Alexis ou la réintégration des partisans de l’ancien régime de Jean-Bertrand Aristide dans les entreprises et bureaux publics.
Perspectives
Dans ce décor sombre où la population civile est la grande victime, le gouvernement haïtien actuel semble perdre le contrôle des institutions et le gouvernail du pays. Le Parlement a la bonne volonté de faire bouger les choses, mais se montre parfois immature dans certaines de ses démarches et ses prises de position. La classe politique, toujours à l’avant-garde, brille actuellement par son silence et son absence sur la scène politique. Les casques bleus de la MINUSTAH se montrent de plus en plus incapables de lutter contre l’insécurité et la violence en crue dans la Capitale. Et les donateurs internationaux hésitent à débloquer les fonds en faveur d’Haïti, en dépit du SOS lancé à eux par beaucoup de pays et d’organismes de la Communauté internationale.
La réalité haïtienne actuelle est vraiment triste, et des pays historiquement liés à Haïti, comme les Etats-Unis, la France et la République Dominicaine, ne manquent pas de lui tailler des images sur mesure.
S’il y a lieu de noter parfois à travers ces images d’Haïti projetées à l’extérieur un certain dédain envers la dignité de ce pays, les autorités et les élites haïtiennes (de l’avoir, du pouvoir et du savoir) donnent l’impression de fermer les yeux devant ces images qui devraient, au contraire, toucher leur orgueil et les pousser à les changer en cherchant à améliorer la situation du pays.
Haïti attendra encore bon nombre d’années et une nouvelle génération d’haïtiens et d’haïtiennes dignes d’elle et capables de lui redonner sa dignité. [wel gp apr 08/11/2006 05:00]