Port-au-Prince, 05 juin. 03 [AlterPresse]--- A six mois du 200ème anniversaire de la proclamation de son indépendance, la République d’Haïti se débat encore dans une crise aggravée par les élections de l’année 2000.
Le régime au pouvoir fixe justement l’organisation d’élections comme prioritaire dans son agenda politique avant le 1er janvier 2004. Dans le même temps, il serait disposé à négocier la nomination d’un nouveau directeur de la Police Nationale d’Haïti (PNH) avec l’Organisation des Etats Américains (OEA), dont plus d’une vingtaine de missions n’ont encore auguré d’un lendemain meilleur pour le pays.
L’opposition dénonce l’attitude du régime lavalas, qui serait, à ses yeux, plus réceptif aux vœux du « blanc » (NDLR : entendez la communauté internationale) qu’aux revendications de la population.
Pas un centime de la France, ancien pays colonisateur d’Haïti, ne sera déboursé au gouvernement actuel qui a intérêt à se montrer vigilant par rapport à la nature et aux actions du régime. C’est ce qu’a voulu conseiller le président français Jacques Chirac, au terme du sommet des 8 pays les plus industrialisés du monde (G8) à Evian (Suisse).
Autre sujet d’actualité, René Théodore, ancien communiste et membre de l’opposition au régime lavalas, est mort d’un cancer au poumon à Miami le 1er juin dernier. C’est l’occasion pour Lesly François Manigat, ancien président issu des élections du 17 janvier 1988, de rappeler aux « bons entendeurs » que « nous sommes tous des passagers en transit sur la terre ».
Et à l’approche du 7 juin, journée latino-américaine de la presse, les journalistes semblent pris en étau entre l’intolérance de plus en plus arrogante du pouvoir et des considérations négatives de milieux diplomatiques. Mandat contre le journaliste Sonny Bastien, Directeur de Radio Kiskeya, pour le contraindre à témoigner sur la fuite en exil d’un ancien juge et le dossier d’un ancien officier et ex-président d’un gouvernement militaire, Prosper Avril, tous deux interviewés par le confrère. Critiques de la mission spéciale de l’OEA en Haïti, qualifiant de « sélectives » les informations diffusées par la Presse qui ne contribuerait point, par ses choix, à éclairer la lanterne de l’opinion.
Elections, pour sortir de la crise
L’organisation des élections dans le meilleur délai reste la priorité pour le gouvernement dans son agenda politique avant le 1 er janvier 2004, qui marquera le 200 e anniversaire de la proclamation de l’indépendance d’Haïti.
C’est ce qu’a indiqué le 3 juin 2003 l’ingénieur agronome Anthony Dessources, l’un des conseillers du président du 26 novembre Jean-Bertrand Aristide.
Dessources a lancé un appel aux « frères de l’opposition » pour que ces derniers donnent un « coup de main » en déléguant leur représentant au Conseil Electoral, organisme appelé à organiser les élections à tous les niveaux, selon la constitution du 29 mars 1987. Il y va du renouvellement des membres de la législature contestée qui, en janvier 2004, a de fortes chances d’être confrontée à une absence de « couverture ».
Voilà pourquoi un précédent appel avait été envoyé à l’opposition à l’occasion du 18 mai 2003, correspondant au bicentenaire de la création du bicolore national, pour une trêve des querelles et un rassemblement autour du drapeau, a fait savoir l’ancien ministre de la planification de l’ex-président lavalas René Garcia Préval (7 février 1996 - 7 février 2001).
L’opposition politique n’a pas encore pipé mot sur cette nouvelle proposition tendue par le régime lavalas, cinq jours avant la prochaine assemblée générale de l’OEA à Santiago du Chili, du 8 au 10 juin 2003.
David Lee, chef de la mission spéciale de l’OEA en Haïti, avait estimé le 25 mai 2003 que le régime lavalas aurait intérêt, avant ce sommet, de nommer un nouveau directeur au sein de la PNH, de concert avec la mission spéciale.
Jean-Claude Jean-Baptiste, directeur ad interim de la police nationale depuis mars dernier, a affirmé le 3 juin être disposé à se retirer. Dans une lettre parvenue à la Presse, Jean-Baptiste s’est déclaré ouvert à toute décision que prendrait Aristide le concernant. Il en a profité pour signaler qu’il se réserve le droit d’attaquer en justice les personnes qui s’avisent de l’accuser dans l’assassinat de l’ancien dirigeant politique Sylvio Claude, le 30 septembre 1991, au moment où l’ancienne armée d’Haïti avait amorcé un coup d’Etat militaire contre le président élu le 16 décembre 1990.
La lettre rendue publique par Jean-Claude Jean-Baptiste, qui évoque une possible démission (entre les lignes) de l’actuel directeur a.i. de la PNH, témoigne de la volonté du pouvoir lavalas à obéir exclusivement aux vœux formés par « le blanc », a estimé Evans Paul, l’un des chefs de file de la Convergence Démocratique, principal rassemblement de partis d’opposition au régime.
La question est de savoir qui donne les ordres à la Police, et non quel personnage est placé à la tête de l’institution policière, a ajouté Evans Paul.
Jean-Robert Faveur, actuel commissaire départemental du sud-est de la PNH, et Bernard Sainvil, le dernier juge à avoir instruit le dossier de l’assassinat de Jean Léopold Dominique et du gardien de Radio Haïti Inter Jean-Claude Louissaint, seraient parmi les personnalités pressenties pour devenir nouveau chef de la Police.
D’un côté, le pouvoir lavalas s’apprêtrait à donner du lest. De l’autre, les membres du parti au pouvoir, y compris ministres, parlementaires contestés et partisans dits « membres d’organisations populaires » ont jugé carrément inappropriée la demande de l’OEA pour le remplacement de Jean-Claude Jean-Baptiste.
Il faut attendre les prochaines semaines pour voir de quel bord la balance se penche : est-ce dans le camp de l’OEA qui, ces derniers jours, semble avoir de sérieuses divergences avec le régime ; est-ce du côté du pouvoir qui confortera alors sa position irréversible dans la conduite des affaires du pays.
Après la demande du 25 mai en faveur du départ du chef de la PNH, l’OEA n’a délégué aucun représentant à la cérémonie de destruction symbolique de 233 armes à feu le jeudi 26 mai 2003.
Restitution et réparation : la France continue de dire non
Le président français Jacques Chirac a fait savoir le 2 juin que son pays ne verserait pas d’argent au gouvernement d’Haïti au titre de la « dette d’indépendance », contrairement au montant de plus de 21 milliards de dollars américains que réclame le régime lavalas depuis le 7 avril 2003. Tout en exprimant son respect pour la population haïtienne, Chirac qui intervenait, au terme du sommet du G8, a rappelé que son pays n’a pas cessé d’apporter une aide substantielle à Haïti.
Jean-Bertrand Aristide avait profité du 7 avril, 200 e anniversaire de la mort de Toussaint Louverture au Fort de Joux en France, pour exiger la restitution de plusieurs milliards de dollars américains afin de « pouvoir réaliser des projets pour le peuple » avant 2004.
Le 3 juin, l’un des conseillers d’Aristide a précisé que le gouvernement lavalas était disposé à négocier avec la France pour obtenir une somme moindre que les 21 milliards, objet d’une campagne tous azimuts dans le pays depuis le 7 avril.
Le 8 avril 2003, le Quai d’Orsay (ministère français des Affaires Etrangères) avait déjà indiqué le refus formel des autorités françaises à agréer la demande de leurs homologues haïtiennes.
Entre-temps, les autorités ont désigné du doigt les forces anti-changement comme responsables de l’incendie, dans la nuit du 30 au 31 mai 2003, de différents engins lourds de l’Etat, qui servaient à la réparation du tronçon de route reliant Saint-Marc aux Gonaïves, la cité de la proclamation de l’Indépendance le 1 er janvier 1804, à 171 kilomètres au nord de la capitale. Plus de 500 mille dollars de dégâts auraient ét’e enregistrés à l’occasion, selon le ministre lavalas des Travaux publics Harry Clynton.
Par ailleurs, la police nationale a transféré le 3 juin à la prison centrale de Port-au-Prince le citoyen Hébert Chérissaint, représentant de la Convergence Démocratique à Hinche, `a 128 kilomètres au nord-est de la capitale. Appréhendé le 1 er juin par des agents spéciaux de la PNH qui ont recouvert sa tête d’un sachet, Chérissaint est soupçonné par la police comme l’un des commanditaires d’actes de sabotage perpétrés par des inconnus, dans la nuit du 7 au 8 mai 2003, à la centrale hydro-électrique de Péligre (à plus de 70 kilomètres dans le Plateau Central, au nord-est de P-au-P).
Décès de l’ex-communiste René Théodore
Cette semaine, la classe politique haïtienne a salué le départ pour l’au-delà , de René Théodore, membre de l’opposition au régime lavalas, principal responsable du Mouvement pour la Reconstruction Nationale (MRN) et ancien secrétaire général du Parti Unifié des Communistes Haïtiens (PUCH).
René Théodore est mort à 62 ans d’un cancer du poumon le dimanche 1 er juin 2003 au Jackson Memorial Hospital de Miami.
Ses dernières actions politiques publiques remontent au 3 décembre 2002, lors de la manifestation de l’opposition réprimée violemment à Port-au-Prince par des partisans lavalas. Auparavant, le 17 novembre 2002, il avait pris part à la grande manifestation de l’opposition contre le gouvernement au Cap-Haïtien, deuxième ville du pays, où des milliers de personnes avaient défilé.
René Théodore laisse 4 enfants ; deux d’un premier mariage en Russie, 2 autres d’un second mariage avec l’architecte haïtienne Sabine Mallebranche. Vers le milieu des années 1990, à côté de ses activités politiques, il avait initié une petite entreprise de produits laitiers (yogourt et fromage) et de saucissons.
Il a commencé très jeune dans la politique en luttant contre le régime des Duvalier. En exil en Russie, il animait, sous le nom de Lesly, des émissions d’analyse politique sur les antennes de la station « Radio Paix et Progrès », que beaucoup de ressortissants haïtiens écoutaient en cachette un peu partout sur le territoire national.
Rentré au pays après la chute du régime des Duvalier le 7 février 1986, il s’est porté candidat à la présidence aux élections de 1987 et 1990, puis candidat à la mairie de Port-au-Prince en 2000. Mais, il n’avait pas obtenu les suffrages de l’ensemble des votants à ces joutes. De nombreux jeunes, y compris des étudiants, ont manifesté beaucoup d’enthousiasme à côtoyer le leader communiste revenu d’exil pour s’informer de la réalité du communisme, un système politique banni et synonyme de persécution et d’emprisonnement sous la dictature des Duvalier.
La Presse nationale se souvient de René Théodore comme un responsable politique qui s’est toujours exprimé avec beaucoup de pondération sur les faits de l’actualité.
A boulets rouges sur la Presse
La Presse nationale fait l’objet, depuis les 4 dernières semaines, de différentes attaques en règle de la part du régime lavalas au pouvoir.
Parmi ces tirs tous azimuts sur la Presse, il convient de citer le mandat de comparution adress’e par le juge d’instruction Brédy Fabien au président directeur général de Radio Kiskeya Sonny Bastien pour un témoignage diffusé en avril 2002. Finalement, le doyen du tribunal civil de Saint-Marc a cassé le 2 juin le mandat de comparution du juge Fabien qui avait considéré le confrère Bastien comme un « témoin important » devant témoigner sur l’interview accordée l’année dernière à Henry Kesner Noel, prédécesseur de Brédy Fabien.
Kesner Noel, aujourd’hui en exil à l’extérieur, avait déclaré au micro de Sonny Bastien avoir fait l’objet de fortes pressions de haut-placés du régime lavalas, en ce qui concerne le dossier de l’ex-lieutenant militaire Prosper Avril, emprisonné depuis plus d’un an malgré des ordres de libération de la justice.
L’affaire a fait scandale dans le milieu, plusieurs associations de journalistes ont exprimé leur solidarité à l’endroit du confrère Sonny Bastien qui avait publiquement signifié son refus de répondre à la convocation du juge d’instruction Fabien. Seulement, il avait fait remettre au cabinet d’instruction de Saint-Marc une copie de l’interview diffusée en avril 2002 par Radio Kiskeya.
Ce mandat de comparution contre le PDG de Radio Kiskeya est intervenu, peu de jours après une lettre de menaces, contenant un balle du fusil 12, adressée à la directrice de programmation et présentatrice d’une émission populaire de nouvelles Lylianne Pierre-Paul. Selon des membres d’une organisation proche du pouvoir, cette lettre de menaces aurait été écrite à Saint-Marc.
Parallèlement, Mario Dupuy, secrétaire d’Etat à la communication du gouvernement lavalas, n’a pas fini de lancer des propos virulents contre la Presse. Après avoir qualifié les journalistes de contribuer à « traumatiser la population » en faisant état du climat d’insécurité, Dupuy s’interroge aujourd’hui sur les sources de financement des médias. Il a fait ces nouvelles déclarations à la suite d’une note de l’Agence Américaine pour le Développement International, selon laquelle des fonds de soutien sont accordés aux médias dans le cadre du programme de l’agence.
Parallèlement, la mission spéciale de l’OEA a condamné, dans son rapport du 22 mai sur Haïti, les choix « trop sélectifs », à ses yeux, de la Presse nationale en Haïti, qui ne permettraient pas à la population de se faire une idée correcte de ce qui se passe dans le pays.
D’aucuns s’interrogent sur les objectifs inavoués de ces nouvelles accusations, qui tendraient à vouloir ordonner à la Presse une approche linéaire, dans ses méthodes de travail, les traitements de l’information et les faits rapportés au public. [rc apr 05/06/03 15 :00]