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Affaire de la « liste noire » de personnalités haitiennes interdites d’entrée au Canada

Épilogue heureux pour l’ancien ministre haïtien de la santé, Dr Rodolphe Malebranche

Par le Dr Rodolphe Malebranche

Soumis à AlterPresse le 6 octobre 2006

Épilogue heureux d´une « affaire » malheureuse

Le 03 mai 2006, la bombe éclatait sous la forme d´une dépêche de la section locale de la prestigieuse et réputée Agence de presse internationale, l´Agence Reuters. Cette dépêche, sortie juste au moment où Monsieur René Garcia Préval, récemment élu à la Présidence de la République, devait se rendre en visite officielle au Canada, faisait état d´une « liste noire d´auteurs ou de complices de crimes contre l´humanité », interdits, du même coup, de séjour au Canada, liste établie apparemment par le gouvernement de ce pays parmi les anciens proches collaborateurs - Ministres, Directeurs Généraux, Hauts Fonctionnaires de l´Etat… - du Président Préval. Selon l´Agence, mon nom figurait sur cette liste à côté de ceux de l´actuel Premier Ministre du Gouvernement Haïtien, Monsieur Jacques Edouard Alexis et de Monsieur Philippe Rouzier, ancien Conseiller du Président Préval. L´affaire était extrêmement sérieuse puisqu´elle mettait en question ma probité, mon honneur et ma dignité et même ma sécurité physique ; elle était à prendre au sérieux, en dépit de son caractère apparemment grotesque, ce d´autant plus que l´un de ceux cités par l´Agence Reuters, en l´occurrence Le Premier Ministre Jacques Edouard Alexis, s´était effectivement vu enlever en 2004 son visa encore valide par un fonctionnaire de l´Ambassade du Canada, à l´aéroport même, alors qu´il était en partance pour ce pays.

Passés les premiers moments de stupéfaction et d´indignation, je décidais dans un premier temps d´écrire à son Excellence l´Ambassadeur du Canada en Haïti, Monsieur Claude Boucher, une lettre datée du 06 mai 2006 dans laquelle je sollicitais de sa part, avec toute la courtoisie de rigueur, des éclaircissements par rapport aux révélations de la dépêche de l´Agence Reuters : s´agissait-il de fausses et malveillantes rumeurs à mon égard, véhiculées par des individus mal intentionnés ? L´information au contraire était-elle fondée et, le cas échéant, quels étaient « les crimes contre l´humanité » qui m´étaient reprochés et les éléments à charge qui avaient été retenus contre moi par son gouvernement ?

Cette 1ère correspondance étant restée sans réponse, j´adressais le 18 mai 2006 au même destinataire une lettre de protestation, ouverte cette fois-ci, à laquelle l´ensemble des média – radios, télés, presse écrite – allait donner un très large écho. Cette lettre ouverte allait avoir pour conséquence :

1. une réaction quasi-immédiate et officielle de l´Ambassade qui me faisait savoir, dans une lettre datée du 25 mai 2006, que L´Ambassadeur, absent au moment de la publication de ma lettre, serait prêt à me recevoir dès son retour en Haïti ; proposition que j´acceptais évidemment sans réserves ;

2. la mise en branle d´un très vaste mouvement de solidarité parti des Centres GHESKIO de lutte contre le Sida, de l´Association Médicale Haïtienne (AMH), du Collège Haïtien de Cardiologie (CHC) sous forme d´une lettre de protestation adressée collectivement par ces organisations à l´Ambassadeur du Canada avec copies conformes aux personnalités les plus importantes du Gouvernement Canadien et rendue publique à travers les médias de la Capitale et les principales Agences de presse. Parallèlement une centaine de médecins haïtiens parmi lesquels certains confrères et consœurs exerçant au Canada, dans les Antilles Françaises, aux USA et en France signaient à titre individuel une note de protestation adressée aux mêmes destinataires et également rendue publique. Dans le même temps des lettres de protestations provenant d´universitaires américains, français et de confrères strasbourgeois et mulhousiens étaient également envoyées à l´Ambassadeur et au Gouvernement Canadien. L´Ambassade était littéralement bombardé de lettres et de notes d´appui inconditionnel à ma personne, comme aura à me le dire l´Ambassadeur lui-même lors de notre rencontre.

J´ai donc été reçu par Son Excellence Monsieur Claude Boucher, Ambassadeur du Canada en Haïti, le 06 juillet 2006. Il devait, au cours d´un entretien particulièrement courtois de part et d´autre, mettre l´accent sur les points suivants :

1. l´Ambassade du Canada ou une quelconque personnalité du Gouvernement Canadien n´avait été, à aucun moment à l´origine des déclarations rapportées par l´Agence Reuters me concernant ;

2. il n´y avait pas de liste pré-établie de personnalités haïtiennes « accusées comme auteurs ou complices de crimes contre l´humanité » et interdites de séjour au Canada ; par contre chaque fois qu´un ancien Ministre d´un Gouvernement Haïtien ou un Haut fonctionnaire de l´Etat Haïtien sollicitait un visa d´entrée au Canada, son dossier faisait l´objet d´une étude par rapport aux exigences des lois canadiennes sur l´immigration et la protection des réfugiés et sur les crimes contre l´humanité et les crimes de guerre ; le requérant pouvait ainsi se voir accorder ou au contraire refuser le visa en fonction des résultats de l´enquête menée par les autorités d´Ottawa ;

3. à sa connaissance, le Consulat Canadien n´avait jamais eu à me signifier un refus lors d´une demande de visa, ce qui était exact et que j´ai d´ailleurs toujours pris soin de rappeler lors de mes nombreuses interventions dans la presse au sujet de cette affaire.

Cet entretien certes m´apportait déjà des éléments de réponse au sujet des principales questions formulées dans mes deux lettres à l´Ambassadeur, mais de manière indirecte. Je décidais donc de passer à la dernière phase de la stratégie que j´avais élaborée dans l´approche de mon problème, phase d´ailleurs également suggérée par l´Ambassadeur au cours de notre entretien : j´introduisais une demande de visa auprès du Consulat Canadien, décidé cette fois-ci à répondre à toutes les exigences qui pourraient m´être faites à cette occasion. Mon passeport et le formulaire de demande dûment rempli ainsi que la valeur réclamée pour une entrée unique au Canada furent donc déposés au Consulat au début du mois d´août ; toutefois devant quitter le pays le 15 août et comme la demande n´avait pas encore abouti, je reprenais mon passeport aux environs du 10 août pour le renvoyer au Consulat à mon retour le 21 septembre dernier. Le mardi 03 octobre, mon passeport m´était retourné avec un visa autorisant de multiples entrées au Canada et valable pour une durée de deux années. L´octroi d´un visa à entrées multiples était manifestement une courtoisie de l´Ambassade et du Consulat Canadien à mon endroit. J´apprécie cette courtoisie à sa juste valeur et en remercie l´Ambassadeur et le Consul.

Cet épilogue heureux est certainement la preuve que le Gouvernement Canadien n´avait absolument rien à me reprocher en ma qualité d´ancien Ministre et que je ne figurais sur aucune liste. Autrement il ne se serait certainement pas privé de m´envoyer une lettre de refus motivée, comme cela a été le cas pour d´autres.

Je voudrais maintenant remercier tous ceux qui m´ont soutenu tout au long de cette épreuve. Au-delà de la solidarité sans faille qu´ils m´ont manifesté en apposant leur signature au bas des lettres ou des notes de protestation, c´est leur confiance inconditionnelle à mon égard qui m´a le plus touché et ému. Je ne pourrai certes pas remercier publiquement tous mes confrères et consœurs qui ont signé la note de protestation, tous ceux et toutes celles qui auraient voulu la signer mais n´ont pu le faire car ils en avaient été informés trop tard, tous les membres de la société civile et tous mes amis et proches qui m´ont apporté directement le témoignage de leurs sympathies. Il me faudrait pour ce faire plusieurs pages. Ils ne m´en voudront donc pas de remercier d´une façon spéciale :

 certaines autorités et personnalités canadiennes qui avaient manifesté, dès le départ, un intérêt particulier à mon dossier et à ma cause ; je veux citer :

-  Son Excellence Madame Michaëlle Jean, Gouverneure Générale du Canada,

-  L´Honorable Député Madame Vivian Barbot qui avait même envisagé, au cas où mes questions seraient restées sans réponse, d´enjoindre les responsables des droits humains au Parlement canadien de son parti, le Bloc québécois, d´interpeller directement le ministre concerné par mon affaire, à l´ouverture de la Chambre à la mi-septembre,

-  L´Honorable député de Johnson, Monsieur Claude Boucher, homonyme de l´Ambassadeur qui, alerté par un ami mulhousien commun, le Dr Antoine Buemi, s´était penché sur mon dossier et s´informait tout récemment encore de son état d´avancement ; c´est l´occasion pour moi de remercier publiquement le Dr Buemi ;

 le Dr Jean William Pape, Directeur des centres GHESKIO et le Dr Alix Lassègue qui ont initié ce vaste mouvement de solidarité du monde médical haïtien envers moi et qui n´ont pas ménagé leur peine dans le processus de recueil des signatures ;

 l´AMH et particulièrement sa Présidente, le Dr Jeanne Philippe ;

 le Collège Haïtien de Cardiologie et tout particulièrement son Président le Dr Gérard D. Pierre et son Secrétaire le Dr Michel Théard ;

 le Conseil de l´Université d´Etat d´Haïti ;

 le Dr Symphar Bontemps ;

 le Dr Warren D. Johnson Jr, chef de la Division de médecine internationale et des maladies infectieuses à Cornell University et au New York Presbyterian Hospital et son collègue de la même Université, le Dr Daniel W. Fitzgérald ;

 le Dr Peter F. Wright, professeur de pédiatrie, pathologie, microbiologie et immunologie à Vanderbilt University :

 le Professeur Christian Raccurt, chef du service de parasitologie et de mycologie médicales au centre hospitalier et universitaire d´Amiens qui fût également ancien enseignant coopérant à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Port-au-Prince et ancien directeur du Bureau caraïbe de l´Agence universitaire de la Francophonie,

 mes amis du Canada et en particulier le Dr Jean-Claude Fouron, les Drs Serge et Elizabeth Rousseau, le Dr Franck Thomas et Gigi son épouse, Le Dr Raymond Duperval, Mme Micky Roy, Mme Nadia Rousseau Dunand et M. Frantz Voltaire qui a contribué, par l´intermédiaire du Cidihca, à une très large diffusion via internet de mon dossier ;

 mes maîtres de la Cardiologie Mulhousienne, en l´occurrence les Drs Gérard Laval, Fernand Hessel et Christiane Ameur ;

 tous mes anciens collègues cardiologues du centre hospitalier de Mulhouse, tous les médecins de ce centre et tous mes amis de cette ville avec lesquels j´avais tissé des liens si solides qu´ils ont résisté à l´usure du temps et de la distance ; je ne puis tous les citer, car ils ont été près d´une cinquantaine à avoir signé la lettre d´appui à mon égard adressée aux autorités canadiennes. Je ne saurais toutefois passer sous silence les noms des Drs Guy et Marie-Laure Courdier, Pierre et Christine Bailly qui ont orchestré ce vaste mouvement de solidarité parti de Mulhouse et auquel s´étaient associés également certains amis de Strasbourg dont le Dr Patrick Hémar et le Professeur André Gentine de la Faculté de Médecine ;

 l´ensemble des médias de la capitale qui ne m´ont pas marchandé leur concours à l´occasion de cette affaire.

Je voudrais pour terminer revenir sur la dépêche de l´Agence Reuters qui avait déclenché toute l´affaire du moins en ce qui me concerne. Le représentant local de cette agence avait en effet affirmé que mon nom était porté sur « la fameuse liste noire du gouvernement canadien », sans avoir jamais vu une telle liste, sans avoir jamais pu obtenir de l´Ambassade ou du Consulat – il l´a dit lui-même – confirmation d´un tel fait et évidemment sans avoir jamais pris la précaution élémentaire de me contacter, ce qui eût été la moindre des choses à faire avant de rendre publique sa dépêche. S´il l´avait fait, il aurait appris qu´à aucun moment un visa canadien ne m´avait été refusé, que j´en avais obtenu un en 1998, c´est à dire une année après avoir quitté le gouvernement du Président Préval (1ère version) et qu´en 2004 j´avais simplement de moi-même mis fin à une nouvelle demande de visa que j´avais introduite auprès du Consulat canadien parce que, en raison des nouvelles procédures appliquées aux anciens ministres et/ou aux hauts fonctionnaires de l´Etat Haïtien sollicitant un visa d´entrée au Canada et du net allongement du temps nécessaire à l´obtention de ce visa, la date de mon voyage avait été largement dépassée et mon ticket perdu. Le représentant de l´Agence, voulant probablement publier au plus vite « son scoop » a pour le moins fait montre de légèreté professionnelle pour ne pas dire plus, ce qui a eu pour conséquence de m´entraîner dans toute cette histoire. Je ne lui en garde toutefois pas rigueur, persuadé que son intention n´était certainement pas de me nuire. Cela prouve une fois de plus, s´il en était besoin, qu´il est nécessaire que les journalistes traitent avec la plus grande prudence les informations qu´ils reçoivent avant de se décider à les rendre publiques.

Contact : r_malebranche@yahoo.fr