Jean-Claude M., 43 ans, a été arrêté à Santo Domingo, République Dominicaine, par des agents de la Migration, le 25 septembre 2006. En compagnie de plusieurs dizaines d’Haïtiens, il a été embarqué de force à bord d’un véhicule défaillant qui devait finir sa course dans le lit d’une rivière à l’entrée de la ville d’Elias Piña, non loin de la frontière haitiano-dominicaine. Le lendemain même de l’accident, Jean-Claude M., encore traumatisé, a été abandonné au point frontalier d’Elias Piña/Belladère, en compagnie d’autres rapatriés haïtiens accidentés. AlterPresse rapporte le témoignage de ce rescapé de l’accident du 25 septembre, fait au bureau du Groupe haïtien d’appui aux rapatriés et réfugiés (GARR).
Soumis à AlterPresse le 3 octobre 2006
Je réside en République Dominicaine depuis 9 (neuf) ans. Je suis originaire d’Anse-à-Pitres. Je pratique divers métiers, mais je travaille surtout comme ouvrier agricole.
Le 26 septembre 2006, j’allais chercher ma paye à l’entreprise où je travaille quand des agents de la Migration m’ont arrêté. Ils m’ont bousculé et forcé à monter à bord de leur véhicule.
Ce jour-là, ces agents faisaient des rafles d’Haïtiens. C’est ainsi qu’en cours de route, ils descendaient fréquemment du véhicule et se mettaient à quatre pour saisir des personnes qui, à leur avis, étaient des Haïtiens. Ils les soulevaient en l’air, puis les lançaient sans ménagement dans le véhicule de la Migration. Ils rejetaient toutes les explications des personnes arrêtées.
Ces agents nous ont ensuite conduit dans une maison située à un endroit retiré, où un groupe de 15 personnes étaient maintenues enfermées depuis 5 jours, sans eau, sans nourriture. A notre arrivée, ces personnes ont crié aux agents qu’elles avaient faim et soif, et qu’elles n’en pouvaient plus de rester dans ces conditions. Un agent a, alors, pris des menottes et s’en est servi pour frapper, violemment à la tête, l’un des hommes qui protestaient.
A un autre endroit toujours retiré, nous avions trouvé d’autres personnes détenues. C’était à Haina. Là, nous sommes passés à 120 personnes. Les agents étaient agressifs. Personne n’avait le droit d’ouvrir la bouche, sinon on risquait de recevoir des coups.
Ils ont fait des prises de photos individuelles, 2 photos par personne. Ils ont repris les photos quand ils nous ont fait remonter à bord de l’autobus de la Migration.
Le bus était surchargé, certains d’entre nous ont dû voyager debout. Nous étions très coincés les uns contre les autres. Tout au long du parcours de Haina à Elias Piña, les agents nous insultaient.
L’accident s’est produit ce même lundi [NDLR : 25 septembre 2006], dans l’après-midi, dans la région de Matayaya, non loin d’Elias Piña. Avant d’atteindre le pont de Matayaya, quelque chose s’est cassé sous le véhicule. Un Haïtien inquiet a demandé au chauffeur d’arrêter le bus.
Mais, une fonctionnaire de la Migration l’a ironisé, disant : « Qu’on accélère pour qu’on en finisse avec ces Haïtiens qui ne sont pas des êtres humains ! ».
Pendant ce temps, le chauffeur faisait de vaines tentatives pour freiner le véhicule qui a fini sa course dans un fossé.
Les agents de la Migration, dont celle qui ironisait l’Haïtien, ont été projetés à travers le pare-brise. Cette fonctionnaire dominicaine a eu le corps transpercé par une lame de fer, semble t-il. C’est en hélicoptère qu’on l’a transportée pour aller la soigner.
Du côté haïtien, nous comptons beaucoup de blessés, dont une femme qui a eu les 2 jambes brisées au moment de l’accident. Je ne l’ai pas revue. Une autre Haïtienne, qui avait été séparée de ses enfants restés à Santo Domingo, souffrait d’une blessure au pied. Quant à moi, j’ai eu un choc à l’estomac. Ce sont des militaires, qui passaient sur les lieux, qui nous sont venus en aide.
On nous a conduits à l’hôpital San Juan de la Maguana. Le lendemain matin, on nous a déclaré à l’hôpital : « Vous Haïtiens, nous n’avons pas à vous garder ici davantage ; vous devez quitter l’hôpital ! ».
Ils ont alors appelé l’Armée et demandé qu’elle s’amène avec un véhicule pour nous conduire à la frontière. Les militaires sont venus. Je faisais partie d’un groupe de 9 personnes dont 2 femmes, amenés à la frontière d’Elias Pina, le 26 septembre 2006.
Je suis venu les mains vides, je n’ai rien. J’ai laissé 2 enfants à Santo Domingo, une fille, Féfé et un garçon, Menor ; et ils ne sont pas au courant de ce qui m’est arrivé. ( Fin du témoignage de Jean-Claude M.)