Par Wooldy Edson Louidor
Soumis à AlterPresse le 12 septembre 2006
La problématique de la migration haïtienne vers le territoire dominicain, de la frontière et des rapports entre Haïti et la République Dominicaine n’est pas l’apanage des Etats et gouvernements des deux pays qui partagent l’àŽle. En Haïti, les citoyens et citoyennes, regroupés dans des Organisations Non Gouvernementales (ONG) et dans d’autres structures de la société civile, les moyens de communication, les intellectuels, les jeunes…, ont senti dès le début des années 1990 la nécessité de prendre à cœur le dossier « haïtiano-dominicain » et d’intervenir pour apporter leur quote-part.
Entre le 29 août 2006 et le 4 septembre 2006, ce fut le tour de l’Eglise norvégienne, en collaboration avec le gouvernement norvégien, d’appuyer une initiative de dialogue entre les secteurs étatiques et non étatiques des deux pays qui eut lieu à Oslo, la capitale norvégienne.
Cette initiative visait à articuler un dialogue de haut niveau entre les acteurs des deux pays avec le concours des spécialistes norvégiens versés dans la question haïtiano-dominicaine. Selon les participants à cette rencontre, répondaient à l’appel ces personnalités : « la vice-présidente du sénat haïtien, Edmonde Suplice Beauzile, la colonelle Rosanna Pons, directrice de l’Institut cartographique dominicain et membre de la sécurité du président Leonel Fernández, l’ambassadeur brésilien en Haïti, Paolo Pinto, des cadres et dirigeants d’ONGs, des responsables religieux, des journalistes haïtiens et dominicains… » (AlterPresse, 31 août 2006)
L’hypersensibilité des autorités étatiques et gouvernementales de la République Dominicaine face à la gestion de la problématique haïtiano-dominicaine (Migration, Frontière, Rapports…) ne tardait pas à se révéler : le chancelier dominicain, Carlos Troncoso Morales, fit le 30 août –un jour après le déroulement de la rencontre- une mise en garde où il rejeta catégoriquement « la médiation de la Norvège dans les pourparlers entre les deux Etats haïtien et dominicain ». Face à l’insistance de l’Etat norvégien qui, par l’entremise de son vice-ministre des Affaires Etrangères, affirma « ne vouloir imposer quoi que ce soit », les autorités dominicaines durent « rectifier leur position » en appuyant ouvertement « les efforts des autorités norvégiennes ».
L’Etat dominicain se maintiendra toujours sur le qui-vive au sujet de la thématique haïtiano-dominicaine parce qu’il est très attaché à sa « souveraineté » et, en outre, le lieu où il manifeste le plus sa souveraineté c’est par rapport à Haïti dont il conquit son indépendance en 1844 après plus de 22 ans d’occupation. La question des migrants haïtiens en République Dominicaine est de plus en plus vue par une grande fraction de la population et des autorités dominicaines comme une deuxième « invasion » ou « occupation ». Cette conception qui prévaut dans la société dominicaine est le fruit d’un long processus historique ponctué par des luttes, des haines et rancoeurs refoulées qui par moments font et refont surface au cœur des deux peuples et ont éclaté plus violemment en République Dominicaine contre les migrants haïtiens (les perpétuels boucs émissaires). Des politiciens de mauvais aloi et des groupes nationalistes (anti-haïtiens) dominicains, qui contrôlent des espaces de pouvoir et détiennent les grands moyens de communication et de production, véhiculent des messages et contribuent à créer de jour en jour dans la société et l’opinion publique dominicaines une mentalité hostile à toute ouverture et dialogue avec les haïtiens.
D’où l’importance de la « Déclaration de Kristiansand » signée à Oslo le 2 septembre 2006 par les délégations haïtienne et dominicaine qui « recommandent une dépolitisation du dossier de la migration haïtienne en République Dominicaine ». Il faudrait insister aussi sur la nécessité pour les deux pays voisins d’aller au-delà des cauchemars historiques (de faire une espèce de thérapie historique) et des blessures affectives qui en découlent, pour aborder et résoudre la problématique haïtiano-dominicaine en termes rationnels et pour poser la question de la migration haïtienne en République Dominicaine comme un « phénomène social » à l’échelle mondiale.
Oslo représente un premier pas vers la réactivation du dossier haïtiano-dominicain qui a été totalement oublié par les deux gouvernements haïtiens antérieurs. Les migrants haïtiens et leurs descendants sont des laissés-pour-compte en République Dominicaine, une terre où ils gagnent leur pain quotidien au prix de leur dignité, de leurs droits humains et parfois même de leur vie ; à la différence de leur propre pays, Haïti, où ils/elles disent n’espérer rien de leurs dirigeants sinon que de fausses promesses, des discussions stériles, des conflits inutiles entre politiciens et groupes politiques qui luttent aveuglément pour le pouvoir et l’argent.
Si l’Etat dominicain est très jaloux de sa souveraineté et de la gestion « souveraine » qu’il veut faire du dossier haïtiano-dominicain ; pour sa part, l’Etat haïtien abandonne complètement la question de la migration haïtienne vers le territoire dominicain aux mains de la Coopération internationale et des Organisations Non Gouvernementales telles que le Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR), le Service Jésuite des Réfugiés et Migrants (SJRM), le Centre Pont...
La souveraineté nationale est aussi importante que la coopération internationale ; Oslo constitue une tentative d’articuler les deux en invitant les secteurs étatiques et non étatiques des deux pays à dialoguer pour « construire des ponts » et pour mettre le respect des droits humains, de la dignité et de la vie au-dessus des principes de la souveraineté, au cœur du processus migratoire et des problèmes affectant les deux sociétés comme « l’éducation, la gestion des catastrophes, le traitement et la prévention de la violence ».
Que cet exercice de dialogue réveille l’Etat haïtien de son sommeil par rapport au sort des migrants haïtiens et de leurs descendants en République Dominicaine ! Qu’il soit aussi pour l’Etat dominicain un exemple capable de le convaincre de la nécessité de l’appui de la coopération internationale pour établir un dialogue de haut niveau, rationnel ou du moins raisonnable entre les deux Etats ! Et tout cela, en vue de chercher à harmoniser les rapports entre les deux peuples qui cohabitent une même àŽle, au lieu de continuer sur la voie de la « balkanisation » sous prétexte de s’enfermer outre mesure dans le principe de la souveraineté nationale ou de déléguer la responsabilité à la coopération internationale et aux Organisations Non Gouvernementales.