Londres, 26 mai. 03 [AlterPresse] --- Dans un bureau de Kennington Lane, au centre de Londres, j’attends. J’ai rendez-vous avec Christian Wisskirchen, un avocat anglais, militant de Haiti Support Group. Il a travaillé en 1995 en Haiti, au lendemain du retour à l’ordre constitutionnel, suite au sanglant coup d’état militaire.
Grand, mince et chauve, Christian Wisskirchen arrive, armé d’un sourire. Présentations rapides et décision de s’installer dans un bar du quartier pour parler d’Haiti.
Comme le ferait un Haitien, Christian commence par me demander les nouvelles du pays. Entre deux gorgées de bière, je raconte. Au centre des échanges, le blocage politique et les pratiques de pouvoir en Haiti.
Notre Créole fait tourner les têtes dans ce bar anglais ou l’on vient brûler le temps qu’on a à perdre. Plus tard, Chrtistian sort un magnétophone de poche. « Je peux t’enregistrer ? » L’interview va servir d’ingrédient pour « Haiti Briefing », un bimensuel de Haiti Support Group.
Haiti Support Group est un organisme anglais de solidarité qui a longtemps appuyé le processus démocratique en Haiti. Fondé en 1992, cette association, animée par le journaliste anglais Charles Arthur, a beaucoup lutté en faveur du retour en 1994 en Haiti du président Jean Bertrand Aristide et du gouvernement légitime.
Lorsqu’à mon tour je tire mon carnet de notes, Christian se laisse aller. Il ne me cache pas sa déception : « malheureusement Aristide a changé ».
Christian raconte son séjour en Haiti en 1995. Jeune Avocat, il avait dirigé à Petit-Goave (Ouest) un bureau de la Mission Civile Internationale des Nations Unies et de l’Organisation des Etats Américains en Haiti (MICIVIH). Il se félicite des « bons résultats » obtenus et regrette « l’absence de volonté » de la part des responsables de la MICIVIH, laquelle etait « controlée par les Etats-Unis ».
Ceci sitot précisé, l’avocat anglais revient à sa préoccupation première : « dans les milieux internationaux de solidarité avec Haiti, nous devons admettre que Aristide a changé », dit-il, en mesurant le poids des réflexes traditionnels dans l’action politique du dirigeant haitien. Il s’interroge sur le système du « big chief ».
Le constat n’est pas réjouissant non plus en ce qui concerne « l’opposition traditionnelle ». Christian met en doute « la crédibilité » de la gente politique opposée à Aristide et engagée, comme lui, dans une lutte « rien que pour le pouvoir ».
Le militant de Haiti Support Group prone la construction d’une « opposition des groupes de base ». Et, faisant allusion à la mobilisation de la fin des années 80 et du début des années 90, il parle de la nécessité d’un « nouveau mouvement lavalas ».
« Il faut que les gens en Haiti n’abandonnent pas la politique », martèle Christian. « Il faut continuer à s’organiser pour trouver une alternative ».
Le blocage politique, suite aux élections contestées du 21 mai 2000, vient de boucler ses 3 ans, sans aucune perspective de dénouement. Et le marasme économique persiste, aboutissant à ce que des institutions tant nationales qu’internationales qualifient de situation d’urgence.
L’avocat anglais est en faveur d’une plus grande manifestation de la solidarité internationale à l’endroit d’Haiti. Il comprend que l’aide au gouvernement ait été interrompue, mais, dit-il, « il faut trouver les moyens de supporter la population et les groupes qui luttent en faveur de la démocratie ».
C’est à cette tache que s’atèle Haiti Support Group, qui oeuvre dans le plaidoyer sur Haiti, auprès de la population et du gouvernement anglais, m’expliquera enfin Christian. « Nous travaillons dans l’information et l’articulation des secteurs de base haïtiens avec des associations et secteurs professionnels anglais », précise-t-il. Haiti Support Group intervient également dans la promotion de la culture haïtienne en Angleterre et assiste les journalistes anglais qui couvrent Haiti.
Deux heures se sont écoulées et on n’a pas vu passer le temps. Les verres sont vides et la nuit va bientôt tomber sur Londres. Un léger vent froid et une petite pluie fine balaient Kennington Lane. Christian doit partir à un autre rendez-vous, familial cette fois. La conversation se poursuivra dans le métro bondé. « Kenbe fèm ! » (Tiens bon !), me lance Christian, après une belle poignée de main, lorsqu’il descend à la station Victoria. [gp apr 26/05/03 18:20]