« Ce à quoi on assiste dans le cinéma haïtien actuellement est peut-être plus important qu’une année à Hollywood parce qu’il s’agit d’êtres humains dans tous les cas »
Dany Laferrière.
Par Nancy Roc
Soumis à AlterPresse le 6 septembre 2006
La deuxième édition du Festival International du Film Haïtien (FIFHM) a été lancée ce mercredi 6 septembre à la salle de l’Office National du Film du Canada (ONF) du quartier St Denis à Montréal. Cette initiative de la Fondation Fabienne Colas présente le plus important festival dédié au cinéma haïtien en terre étrangère. Il se tiendra du 15 au 24 septembre et offrira aux cinéphiles montréalais une quarantaine de films haïtiens réalisés en Haïti, aux Etats-Unis, en France et au Canada. Ce rendez-vous unique permettra de faire découvrir la richesse culturelle d’Haïti à travers une sélection de films très diversifiée : documentaires, fictions, courts et longs métrages seront au menu de cet événement qui jouit déjà d’un succès grandissant.
Cette année, la porte parole du FIFHM est Fabienne Colas (sur la photo logo, avec Emile Castongay, D. Laferrière et Réal Barnabé), présidente de la Fondation Fabienne Colas et instigatrice de cet événement qui deviendra certainement un rendez-vous annuel au Québec. Ce Festival démontrera la volonté d’une cinématographie haïtienne, naissante mais dynamique, de surmonter les affres d’un pays secoué par la violence, les remous politiques et économiques pour s’ouvrir sur le monde et faire connaître aux montréalais une culture complexe avec des racines profondes.
Fabienne Colas, l’actrice la plus populaire du cinéma haïtien et présidente de la Fondation Fabienne Colas, se donne corps et âme pour soutenir et faire briller le cinéma haïtien sur la scène internationale. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle la Fondation Fabienne Colas a vu le jour. Tout en poursuivant sa carrière, elle a fait preuve d’un esprit d’innovation autant que de leadership en lançant, l’année dernière, la 1ère édition du Festival du Film Haïtien à Montréal à travers sa fondation, dont la mission est de promouvoir l’art, la culture et le cinéma haïtien sur la scène internationale. La Fondation Fabienne Colas a la ferme conviction que la fiction a le pouvoir d’influencer très fortement le développement, les mœurs, les habitudes, les coutumes, les traditions et les préjugés d’une société.
Fabienne Colas est persuadée, à juste titre, que la culture est un facteur d’intégration sociale et joue un rôle essentiel dans le développement d’un peuple. Lors de la conférence de presse organisée ce mercredi 6 septembre à l’ONF, Fabienne Colas a fait état des efforts déployés pour arriver à financer la tenue d’un tel événement mais aussi des raisons qui l’ont poussée à initier ce festival malgré l’existence de la section créole du Festival Vues d’Afrique : « nous avons initié ce festival après avoir constaté que dans d’autres événements semblables, il n’y avait presque pas de films en provenance d’Haïti alors que la production cinématographique haïtienne grandit a une vitesse étonnante. Or, à ce rythme là , si il n’y a pas davantage de films haïtiens sélectionnés dans les différents festivals, je me demandais si le cinéma haïtien pourrait réellement arriver là où il peut aller. En créant le FIFHM, nous avons voulu montrer la richesse de la création cinématographique qui existe en Haïti, malgré le chaos qui caractérise notre pays et qui est l’aspect le plus souvent et malheureusement véhiculé par les médias ici. »
La deuxième édition du FIFHM est une preuve de la détermination, de la persévérance et des efforts de Fabienne Colas qui avait organisé, l’année dernière, trois jours de projections de films haïtiens vus par près de 3.000 cinéphiles. Devant le succès de cette première initiative, Fabienne Colas récidive cette année en lançant le FIFHM avec des partenaires prestigieux tels que Radio Canada, le Réseau Liberté, CH Montréal (l’unique télédiffuseur multiculturel à Montréal), la Maison de la culture de Rivière-des-Prairies, la Ville de Montréal, Loto Québec et la radio communautaire haïtienne de Montréal, CPAM. Les organisateurs du FIHFM espèrent accueillir 15.000 cinéphiles cette année. Radio Canada décernera le Prix du meilleur film, le Réseau Liberté celui du meilleur court métrage et la Fondation Fabienne Colas celui du meilleur premier film.
- Martin Hurtubise et Real Barnabe
Plusieurs événements seront organisés en marge de la seconde édition du FIFHM. Le président du Réseau Liberté, Réal Barnabé a annoncé qu’avec l’appui financier de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et en collaboration avec l’Institut canadien de formation en radiodiffusion publique (CBC/Radio Canada), son organisme offrira un atelier de trois jours dans les locaux de Radio Canada à une dizaine de journalistes Haïtiens venus directement d’Haïti pour couvrir le Festival. Ils pourront recevoir cette formation en journalisme culturel qui leur permettra, à leur retour au pays, d’être de meilleurs journalistes et d’élargir leur potentiel sur le marché du travail.
Cet atelier est aussi ouvert à des journalistes Canadiens, qu’ils soient ou non d’origine haïtienne. Trois grands thèmes y seront abordés : le cinéma haïtien et les médias, les spécificités et caractéristiques du journalisme culturel et la pratique du journalisme culturel (technique et éthique). « La société haïtienne est une société très divisée comme toutes les sociétés en crise, mais s’il y a un lieu de consensus, c’est peut-être le cinéma où tous les Haïtiens, quelle que soit leur divergence politique, ont du plaisir à aller voir leur cinéma et cela est extraordinaire. C’est pour cela que, chaque année, nous allons continuer à appuyer cette initiative car c’est peut-être dans sa culture que réside l’espoir d’Haïti », a déclaré Réal Barnabé.
Le coup d’envoi du FIFHM est donné ce jeudi 7 septembre avec la soirée pique-nique cinéma en plein air qui se déroulera au Parc Alexis-Carrel. Cette soirée est organisée en partenariat avec la Maison de la culture Rivière-des-Prairies qui était représentée à la conférence de presse de ce matin par Martin Hurtubise, agent culturel. Ce dernier a annoncé que, sous l’égide d’un réalisateur chevronné, le public pourra participer au tournage de courts métrages spontanés qui seront présentés au début de la programmation principale du Festival. Lors de cette soirée, le public pourra assister à la projection du film Nèg Maron, de Jean-Claude Flamand Barny mettant en vedette Admiral T.D.Daly et Jocelyne Béroard. La Maison de la culture Rivière-des-Prairies et la Fondation Fabienne Colas présenteront également Ecran Noir , une série de trois projections sur grand écran : VIP : Vanité, Intrigue, Passions (14 octobre, 20h), Sonson (4 novembre, 20h) et Barikad (2 décembre, 20h) seront projetés dans l’intimité de la maison du Bon Temps.
Le célèbre écrivain d’origine haïtienne et, désormais scénariste et réalisateur de renom au Québec, Dany Laferrière était venu encourager les organisateurs du Festival et a dressé un constat des progrès réalisés dans le cinéma haïtien. « Le cinéma haïtien dont on parle de plus en plus- qui a commencé avec un petit film de Jean Dominique qui avait fait un petit film de carnaval autour d’une reine de beauté- est devenu très populaire et a son public. On le tuera, on le sauvera, on verra car il est intéressant qu’un cinéma cherche d’autres publics ; que son public ne l’écrase pas et ne le vide pas de ses valeurs et de son esthétique. On constate aujourd’hui que ce cinéma se démarque des thèmes que les Haïtiens réclament toujours tels que deux femmes qui se battent pour un homme, la vie d’une domestique ou la montée sociale d’un individu. Il y a aussi le constat d’une « déterritorialité » : les films non seulement se tournent à Miami ou à Montréal mais se passent aussi à Miami, à Montréal et à New York. Cela signifie que l’on s’est déplacé beaucoup plus vite dans le cinéma, on a changé de territoire et on a cherché un autre public. Ceci n’était pas forcément le cas des écrivains Haïtiens qui n’avaient pas toujours besoin d’un public lecteur car ils ne rêvaient que de devenir consuls. Les cinéastes veulent un public parce que le cinéma coûte de l’argent et il faut trouver de l’argent pour en faire d’autres. Et, pour ce faire, il fallait qu’ils soient plus à l’écoute de la société et ils en sont devenus les miroirs d’une certaine manière. Cela est très important car les gens se demandent comment vit le peuple haïtien et je pense que le cinéma va nous apporter davantage de réponses sur la vie des Haïtiens. Au début on ne le faisait pas parce que l’on exportait toujours l’image du pauvre et du riche mais, aujourd’hui, les cinéastes s’adaptent aux conditions des personnages qui sont dans le film et il y a eu un progrès rapidement fait en ce sens dans le cinéma haïtien. On adapte désormais les lieux au thème et cela est intéressant comme le fait que cet art s’étende aux provinces et ne se cantonne plus à Port-au-Prince. Il faut qu’il y ait, à un moment donné, une identification et celle-ci commence par le cinéma. La vie des peuples n’est pas faite uniquement de grandes choses : on peut aussi démarrer par des petites choses. Et ce à quoi on assiste dans le cinéma haïtien actuellement est peut-être plus important qu’une année à Hollywood parce qu’il s’agit d’êtres humains dans tous les cas. Or, ce qui rend la vie inhumaine c’est la multiplication des choses déjà vues comme ces télé séries américaines qu’on regarde le soir et qui sont tellement bien faites qu’on se demande si l’on peut aller plus loin. On les regarde comme on aurait mangé un plat de spaghetti : cela n’ajoute rien à notre humanité. Alors que, lorsque l’on regarde un film haïtien, si difficile, si naïf qu’il puisse être, il veut dire quelque chose ; non seulement dans la vie du cinéaste mais aussi dans celle du peuple haïtien qui finit par dire, même avec naïveté, ce qu’il est aujourd’hui. C’est pour cela que j’applaudis ce Festival du cinéma haïtien », a déclaré Dany Laferrière.
La seconde édition du Festival International du Film Haïtien de Montréal sera clôturée par un grand bal … « et ça va être chaud ! » a annoncé Emile Gastongay, responsable de la programmation du Festival. Michel Martelly et le groupe Mizik Mizik sont attendus pour cette soirée qui aura lieu le 23 septembre prochain.
Montréal le 6 septembre 2006.