Solidarite Fwontalye considère impératif pour le parlement haïtien de parvenir à une législation mationale sur la migration et contre le trafic illégal
Soumis à AlterPresse le 4 septembre 2006
Encadrons les communautés frontalières haïtiennes et protégeons leurs droits humains fondamentaux
Mieux comprendre la problématique de la frontière et des rapports entre Haïti et la République Dominicaine pour mieux attaquer les causes fondamentales de la migration haïtienne « irrégulière » vers le territoire dominicain
à€ l’occasion de la Journée Nationale des Migrants, le Service Jésuite des Réfugiés et Migrants (SJRM) en Haïti tient à présenter les problèmes de droits humains que nous considérons comme fondamentaux à Ouanaminthe, à la fois communauté frontalière avec la République Dominicaine et commune du Département (le Nord-Est) le plus pauvre d’Haïti.
Cette présentation vise à sensibiliser la communauté locale, les autorités et les décideurs à tous les niveaux (local, départemental et central), la société civile nationale, la communauté internationale et l’opinion publique en général en les aidant à mieux comprendre, à travers le cas concret de Ouanaminthe, la problématique de la frontière et des rapports entre Haïti et la République Dominicaine pour mieux attaquer les causes fondamentales de la migration haïtienne irrégulière vers le territoire dominicain.
I- Ouanaminthe en tant que communauté frontalière avec la République Dominicaine
A) Ville frontalière avec Dajabón, où se réalise le marché binational le plus important de l’île partagée par Haïti et la République Dominicaine, Ouanaminthe constitue un point géographique où :
a) des milliers de migrants haïtiens voyagent chaque mois « sans papiers » vers le territoire dominicain en quête d’emploi et de meilleures conditions de vie,
b) et sont déportés presque quotidiennement et de façon inhumaine par l’Etat dominicain des migrants haïtiens (et, à un degré moindre, des Dominicains d’origine haïtienne et à la peau noire), dont des nourrices avec leurs nouveaux-nés, des femmes enceintes, des parents séparés de leurs enfants, des mineurs non accompagnés de leurs parents, des porteurs du VIH- Sida...
Nous constatons que le manque de politiques et de lois en Haïti en matière de migration et la quasi-absence d’autorités étatiques et gouvernementales compétentes, avec des structures et des moyens adéquats à leur service à Ouanaminthe, ne font qu’aggraver la situation d’illégalité à la frontière Nord haïtiano-dominicaine (Ouanaminthe-Dajabón) dont les Haïtiens sont les principales victimes. Situation qui se reflète dans l’organisation de trafics illégaux de migrants, au su et au vu de tout le monde, et dans les violations des droits humains dont sont victimes les petits commerçants dans le marché binational de Dajabón, les rapatriés au cours des déportations et les travailleurs migrants saisonniers qui font le va-et-vient entre les deux pays.
Le trafic illégal et la traite des êtres humains réalisés au poste frontalier officiel Ouanaminthe-Dajabón et dans les points frontaliers non officiels, comme Méac-Manzanillo, Ferrier-Sanché, Capotille-Capotillo…, sont devenus une industrie créée et maintenue par des réseaux de trafiquants dominico-haïtiens, en complicité avec quelques fonctionnaires migratoires, policiers et militaires dominicains.
Les déportations faites par l’Etat dominicain n’épargnent aucun groupe vulnérable, ni respectent le statut migratoire des personnes interceptées (qu’ils/elles soient légaux ou non, dominicains ou non) ; en plus, elles tendent à causer et/ou aggraver la crise humanitaire et sociale que vit Haïti qui traverse actuellement un moment difficile, surtout les communautés frontalières qui sont les plus pauvres et marginalisées.
Le marché binational de Dajabón se convertit, de jour en jour, en un espace où des fonctionnaires migratoires, policiers et militaires dominicains et des agents de la Mairie de Dajabón, commettent des abus contre les petits commerçants haïtiens et contre les travailleurs migrants saisonniers qui profitent des jours de marché, où le poste frontalier est « ouvert aux citoyens des deux pays », pour retourner chez eux en Haïti.
B) En tant que ville très commerciale, parce que située sur un point frontalier où se réalisent beaucoup d’activités commerciales entre les deux peuples, Ouanaminthe attire beaucoup de bandits et de délinquants qui s’organisent en associations de malfaiteurs pour voler, violer et tuer à l’intérieur de la ville et sur la route la reliant au Cap-Haïtien et à d’autres Départements du pays.
Nous constatons aussi que le système judiciaire du Nord-Est est très faible, dans le sens qu’il se révèle de plus en plus incapable d’appliquer correctement la loi et de bien administrer la justice en garantissant les droits et libertés fondamentaux de tous les citoyens et citoyennes.
Cette faiblesse de l’appareil judiciaire du Nord-est, liée à une multitude de causes, génère et fait perpétuer une situation de violations systématiques des droits humains, auxquelles les femmes sont plus vulnérables.
Situation qui se manifeste dans les agressions sexuelles très fréquentes contre les femmes ; dans certains foyers où les femmes, les adolescentes et les enfants sont victimes de la brutalité de leurs maris, leurs pères, leurs tuteurs… ; à Morne Cassis, situé sur la route entre Ouanaminthe et Cap-Haïtien, où des bandits séquestrent les camions publics et les font dévier vers des lieux retirés pour voler, violer et humilier les passagers et passagères ; aux centres de détention qui n’ont pas le minimum de conditions hygiéniques et où les détenus sont privés de leur liberté pendant plus de 48 heures de temps (parfois durant des mois) sans comparaître devant leur juge naturel ; à la Zone franche de la Compagnie de Développement Industriel (CODEVI), où des agents de sécurité prennent plaisir à brutaliser en toute impunité les ouvriers et surtout les ouvrières haïtiens-nes.
II- Ouanaminthe en tant que commune du Nord-Est, le Département le plus pauvre d’Haïti
Haïti est le pays le plus pauvre de l’Hémisphère et le Nord-Est constitue le département le plus pauvre d’Haïti. La pauvreté du Nord-Est est due fondamentalement à la marginalisation dans laquelle l’Etat haïtien l’a maintenu à cause de la grande distance qui le sépare de la Capitale Port-au-Prince, où tout est centralisé, et de la difficulté d’accès à ce Département.
L’Etat a déjà pris des mesures de décentralisation, en installant des Bureaux départementaux dans le Nord-Est destinés à desservir la population de ce Département et à assurer une liaison avec les Bureaux centraux de la Capitale. Cependant, ces Bureaux départementaux n’ont pas assez de structures, de moyens, d’équipements et de personnel compétent et sérieux pouvant offrir les services sociaux de base (éducation, santé, route…) à une population (la plus pauvre d’Haïti) qui en a réellement besoin et qui les réclame à cor et à cri.
Cette absence d’infrastructures et de services de base empêche la quasi-totalité des habitants du Nord-Est (94% vivent dans la pauvreté et 84% dans la pauvreté extrême) de jouir de leurs droits sociaux et économiques fondamentaux : droit à la santé, à l’éducation, au travail… Cette situation contribue à renforcer la migration haïtienne irrégulière en République Dominicaine et transforme le Nord-Est en zone à risques au niveau humanitaire.
Le trafic illégal de toutes sortes (armes, drogue, migrants), la criminalité, la contrebande, le commerce illégal et le marchandage politique deviennent les seules alternatives à la pauvreté et même des sources d’enrichissement.
Ouanaminthe est paradigmatique des villes frontalières d’Haïti qui, en dépit de leur grande contribution aux deniers publics à cause des bénéfices tirés des rapports (surtout commerciaux) entre les deux peuples, sont pourtant oubliées par l’Etat et vivent dans une situation de marginalisation totale, d’illégalité absolue et de violations systématiques des droits humains, dont les femmes et les enfants sont les principales victimes.
Situation qui force une grande partie des habitants de ces villes à émigrer « sans papiers » en République Dominicaine ou à augmenter la liste des trafiquants illégaux de migrants qui proviennent des dix Départements du pays en vue de fuir Haïti au risque et péril de leur vie, de leurs droits humains fondamentaux et de leur dignité.
Dans ce contexte, nous réitérons qu’il est urgent que le Parlement haïtien légifère sur la migration et contre le trafic illégal, et que les autorités étatiques et gouvernementales haïtiennes implémentent, en accord avec les autorités dominicaines, des politiques efficaces et claires en vue de régulariser la migration haïtienne vers la République Dominicaine et les échanges entre les deux pays, tout en respectant et appliquant les Traités à tous les niveaux (international, régional et bilatéral) signés et ratifiés par les deux Etats en matière de droits humains.
Il est indispensable aussi que l’Etat et le gouvernement haïtiens soient réellement présents et actifs à tous les points officiels et non officiels de la frontière haïtiano-dominicaine, encadrent les villes frontalières et envoient en République Dominicaine des diplomates et consuls capables de représenter Haïti, d’accompagner les migrants haïtiens et de défendre leurs droits.
Solidarite Fwontalye, bureau du Service Jésuite des Réfugiés et Migrants (SJRM) en Haïti, travaille, depuis 1999 à Ouanaminthe et à la frontière Nord haïtiano-dominicaine, à accompagner, servir et défendre les droits humains, plus particulièrement les droits des migrants.
à€ l’occasion de la Journée Nationale des Migrants, nous renouvelons notre détermination à lutter, de concert avec les migrants, avec d’autres organisations et citoyens de la société civile, avec les médias, avec les autorités à tous les niveaux (local, départemental et central) et aussi avec les citoyens, organisations civiles et autorités de la République Dominicaine, pour scruter et attaquer ensemble les causes fondamentales de l’émigration haïtienne « irrégulière » vers le territoire dominicain et pour contribuer à harmoniser les rapports entre les deux pays.
Ouanaminthe, Haïti, le 3 septembre 2006
Solidarite Fwontalye,
Bureau du Service Jésuite des Réfugiés et Migrants (SJRM) en Haïti
Wooldy Edson LOUIDOR, Responsable de la Communication et de Plaidoyer