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La question de la migration ne devrait pas diviser Haïtiens et Dominicains

Collaboration spéciale de Colette Lespinasse

Oslo, 31 aout 06 [AlterPresse] --- Le thème migratoire est au cœur des discussions menées par Haïtiens et Dominicains au séminaire sur la Paix et la Réconciliation organisée par l’Eglise Norvégienne, en collaboration avec le gouvernement norvégien, entre le 28 août et le 4 septembre 2006 à Oslo.

Intervenant sur le thème « solutions possibles à la question migratoire », le professeur Franc Baez de l’Université Autonome de Santo Domingo en a profité pour présenter un panorama de la migration internationale dominicaine aujourd’hui, alors que peu de temps auparavant le thème de la migration en provenance d’Haiti avait été discuté.

Chiffres à l’appui, le professeur a montré comment la crise du capitalisme et le processus de transition vers de nouveaux axes d’accumulation ont généré en République Dominicaine de vastes flux de migrants vers des pays comme les Etats-Unis, l’Espagne, la Hollande, l’Argentine etc.

« La migration fait partie intégrale du modèle de développement économique actuel de la République Dominicaine et ses effets peuvent s’apprécier à différents niveaux : dans les transferts effectués par la diaspora dominicaine, dans l’utilisation des immigrants haïtiens comme force de travail docile, flexible et à bon marché et dans les fonctions stratégiques jouées par les immigrants dans différents secteurs dynamiques de l’économie », a souligné le professeur Baez. La République Dominicaine figure aujourd’hui parmi les 12 pays du monde avec un taux élevé d’émigration, d’immigration et de circulation de personnes.

« La migration est un phénomène social et en soi, elle ne devrait pas constituer une menace ni générer des conflits » a fait remarquer le professeur Baez. Cependant, il admet que les manipulations faites par des courants politiques sur la question migratoire peuvent amener à des conflits et à la violence. Trois facteurs peuvent être à l’origine de ces conflits : la migration irrégulière, l’exclusion des minorités que constituent les migrants au sein d’un pays et les discriminations basées sur certaines idéologies.

Selon le professeur Baez, trois visions différentes de la migration sont observées dans la société dominicaine : le laisser faire migratoire avec un discours sur la volonté d’agir pour contrôler le phénomène ; la vision de la frontière fermée soutenue par les courants qui présentent la migration comme un danger, qui exigent l’arrêt de la migration haitienne et le rapatriement des ressortissants haitiens ; le courant peu répandu et peu soutenu qui préfèrerait voir la libre circulation des personnes sur l’île.

En ce qui concerne la migration haitienne vers la République Dominicaine, le professeur Baez a souligné les changements tout comme les continuités observées. Selon les données établies par le recensement de 2002 sur le profil, l’occupation et les qualifications des immigrants haitiens en République Dominicaine, 47% de cette population est composée de travailleurs et travailleuses sans qualifications techniques contre 25% de travailleurs qualifiés. Ils ne se retrouvent plus seulement dans le secteur de la canne, mais ont tendance à intégrer les différentes sphères de l’économie dominicaine.

« La migration peut contribuer à un enrichissement économique et social, mais pour cela, elle doit être ordonnée, les deux Etats et la société civile des deux pays, y compris les migrants eux-mêmes, doivent s’impliquer dans les débats en vue de la recherche de solutions appropriées », soutient le professeur Baez qui en a profité pour présenter quelques propositions pour résoudre certains problèmes issus de la migration haitienne en République Dominicaine.

Ces propositions rejoignent celles maintes fois faites par des organisations haïtiennes et dominicaines et tournent autour de la régularisation du statut des immigrants et de leur intégration, autour de la lutte conjointe contre le trafic et la traite de personne et de la gestion des rapatriements qui doivent se faire dans le respect des droits de la personne.

« Le président Fernandez a reconnu que des violations de droits humains sont commises lors des rapatriements des haitiens. Cependant, en ce moment, la République Dominicaine n’est pas en mesure de gérer le type de migration massive à laquelle elle est en train de faire face », a déclaré Innocencio Garcia, responsable à la chancellerie dominicaine des questions haïtiennes, présent à la rencontre d’Oslo.

Selon lui, les structures actuelles ne peuvent plus faire face à cette migration qui est passée de saisonnière à une migration permanente qui s’intègre dans toutes les sphères de l’économie dominicaine. L’ambassadeur Garcia invite les deux sociétés à tenir compte des efforts bilatéraux qui sont faits pour améliorer les relations, des sensibilités et des perceptions mutuelles des deux sociétés dans cette quête de solution sur la question migratoire.

Tout en insistant sur le rôle capital des deux Etats, il dit souhaiter un renforcement institutionnel et un peu d’ordre tant en Haïti qu’en République Dominicaine pour que les bonnes idées émises lors de ces réunions soient constructives.

De son côté, le Père Ives Voltaire de Sant Pon Ayiti, invité à commenter l’exposé du professeur Baez, s’est intéressé aux défis que devront relever différents acteurs des deux sociétés dans cette recherche de solutions, en particulier les immigrants eux-mêmes qui sont des sujets historiques et non de simples braceros dont l’utilité se résume à leur seule force de travail.

Il s’est fait l’écho de plusieurs institutions haïtiennes, dont le GARR, qui ont élaboré et soumis des propositions au gouvernement pour aborder les problèmes issus de la migration. Il en a profité pour inviter les haïtiens et haïtiennes à mettre de l’ordre chez eux pour faciliter cette solution.

Le Père Ives Voltaire en a profité pour présenter la pensée de deux grands idéologues et hommes d’Etat de l’île, Jean Price Mars et Joaquin Balaguer, dont l’influence idéologique demeure très actuelle et contribue à créer une mentalité par rapport aux immigrants. Il s’est dit heureux de constater un changement de paradigme dans les deux pays, paradigme qui émerge lentement malgré la persistance des anciens démons et qui se caractérise par une mobilisation des réseaux d’organisations des deux sociétés civiles à côté de l’action politique des deux Etats.

« Cet effort mérite d’être soutenu par la coopération internationale, notamment avec le gouvernement norvégien. Il représente un cadre indispensable à la résolution des problèmes issus de la migration haitienne en République Dominicaine et à la construction d’une souveraineté associée entre les deux Etats de l’île », a renchéri le Père Voltaire. . [cl apr 31/08/2006 04:00]