P-au-P., 25 août. 06 [AlterPresse] --- La nouvelle administration de René Préval, complétée en juin dernier avec l’entrée en fonction du premier ministre Jacques Edouard Alexis, cherche à prendre en main la situation d’Haiti, qui s’avère encore délicate, plus de 3 mois après la prise de fonction du nouveau chef d’Etat.
L’esprit de concertation qui a marqué la rentrée politique de Préval, à l’occasion des élections du 7 février 2006, s’est maintenu après la passation des pouvoirs, le 14 mai. Cet esprit est clairement perceptible à travers le choix du premier ministre, sa ratification et la formation du gouvernement.
En entamant son second mandat [1] , Préval fait preuve de sens de conciliation. Les différents partis représentés au parlement ont été consultés sur le choix de Jacques Edouard Alexis, qui a déjà été chef de gouvernement durant le premier mandat de René Préval (1996-2001). La formation du gouvernement a fait l’objet de négociations avec divers secteurs politiques et l’équipe d’Alexis a bénéficié d’un vote presqu’unanime au niveau des deux chambres. [2]
Au moment de l’installation du nouveau gouvernement, le 9 juin, le président Préval, a relevé que la composition du cabinet ministériel est le fruit d’un processus de dialogue et de concertation directs, « sans intermédiaires ». Préval a cependant reconnu que le chemin devant mener à la confiance, « à une absence de méfiance entre les différents secteurs nationaux », sera long et parsemé d’embûches.
Préval a plaidé en faveur d’une « démarche nouvelle » à construire dans la concertation et la collaboration de tous les secteurs « pour combattre le vol, la drogue, l’insécurité, et aménager les infrastructures appropriées (routes, hôpitaux, logements) ».
Les principaux défis à affronter par l’administration Préval sont ainsi clairement mis en relief et doivent être pris à bras-le-corps par un appareil gouvernemental, apparemment hétéroclite. Ce gouvernement, globalement composé de personnalités de la mouvance sociale-démocrate ou démocrate chrétienne, issues des principaux partis politiques représentés au parlement ou des proches du président Préval, a bien du pain sur la planche. [3]
Avec son équipe, Alexis entend mettre sur pied en Haiti un « Etat stratège déconcentré et un Etat de droit ». Dans sa déclaration de politique générale, il a souligné que les deux grandes orientations du gouvernement sont, d’une part, la construction de l’Etat moderne et du renforcement des institutions démocratiques et, d’autre part, la création des conditions favorables à l’investissement en vue de la création de richesses au bénéfice de l’ensemble de la population.
Le premier ministre a annoncé le lancement d’un Programme d’apaisement social (PAS), qui prévoit la constitution d’une banque de fiches de plus de trois cents projets et interventions à réaliser dans les divers secteurs de la vie nationale et dans les différents départements et communes d’Haiti.
Lors de son investiture, le nouveau chef de gouvernement a proposé à ses ministres d’horizons divers « un pacte de solidarité et de loyauté pour nous guider dans la gestion des affaires de la nation », dont la finalité est de les « amener collectivement à placer les intérêts de la nation au-dessus de toutes autres considérations. »
Le Premier Ministre invite ses ministres, également, à lutter contre la corruption et le népotisme. « Je compte sur vous pour assurer une gestion saine des comptes publics et je compte sur vous encore pour établir des relations harmonieuses avec les députés et sénateurs qui auront à rendre compte à leurs mandants de la façon dont ils veillent à leurs intérêts », a lancé Jacques Edouard Alexis.
Selon Alexis, « la vision qui se dégage de la déclaration de politique générale rejoint la demande fondamentale de la majorité de la population qui réclame une société d’inclusion et de réconciliation », qui veut résoudre ses problèmes par le dialogue et dans la recherche de consensus.
Initiatives, contexte et revendications
Economie.- Une des premières initiatives de la nouvelle administration est la réalisation le 25 juillet 2006 d’une conférence internationale sur le développement socio économique d’Haïti, qui a réuni à Port-au-Prince les principaux organismes et pays donateurs qui procurent traditionnellement de l’aide à ce pays.
De nombreuses délégations étrangères, dont celles de la Banque Interaméricaine de Développement (BID), la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI), l’Organisation des Etats Américains (OEA), la Communauté Economique de la Caraïbe (CARICOM), l’Union Européenne (UE), ainsi que celles des Etats-Unis, le Canada, la France, l’Allemagne et l’Espagne ont pris part à cette sixième conférence internationale sur Haiti en l’espace de plus de 2 ans.
A l’issue de la journée l’ensemble des délégations a annoncé une aide de 750 millions de dollars en faveur d’Haiti pour la prochaine année fiscale (aout 2006-septembre 2007). Le premier ministre Jacques Edouard Alexis a interprété l’engagement de la communauté internationale comme un succès, du au fait que les demandes du gouvernement pour la prochaine année ne totalisaient que 540 millions de dollars.
L’administration du président René Préval envisageait pourtant de défendre auprès de ses partenaires internationaux des projets de l’ordre de 7,1 milliards de dollars américains pour la mise en place de « grands chantiers » au cours des 5 prochaines années.
A la veille de la conférence du 25 juillet des mouvements sociaux ont plaidé dans un débat public à Port-au-Prince, en faveur de l’annulation des 1.4 milliards de dollars américains considérés comme l’ensemble de la dette externe d’Haïti.
Ces organisations, dont le Mouvement Démocratique Populaire (MODEP), ont souligné que « la dette externe est un instrument politique. Elle ouvre la voie à l’application des programmes d’ajustement structurel ».
De 2001 à 2006, la majeure partie des fonds décaissés par Haïti a servi à payer les institutions de financement internationales, suivant les données tabulées présentées lors de cette session. La dette externe est préjudiciable au développement économique et social des pays du Sud, ont soutenu des intervenants, soulignant que les secteurs de l’éducation, de la santé, de l’environnement, sont les plus affectés par la politique néolibérale.
Violence.- L’initiative gouvernementale s’est aussi déroulée dans un contexte où la violence et l’insécurité ont recommencé à se manifester dans des quartiers de la capitale, après quelques mois d’apaisement. De nouveaux cas d’assassinats et de kidnappings sont quotidiennement enregistrés, tandis que des affrontements entre bandes rivales ont déjà fait près d’une trentaine de morts en quelques semaines.
Pour le seul mois de juillet, 85 personnes ont été tuées et 60 autres kidnappées à Port-au-Prince, selon Ronald Larêche, président de la Commission Sécurité publique de la Chambre des députés.
Les dernières données communiquées par l’organisation Médecins Sans Frontières (MSF) indiquent que plus de 200 blessés par balles ont été soignés durant le mois de juillet 2006 dans les trois centres médicaux où elle opère à Port-au-Prince.
Il est vrai qu’à la fin de ce mois d’août 2006 les responsables de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haiti (MINUSTAH) estiment que la situation tend petit à petit à se calmer, cependant, selon MSF, entre juin et juillet, le nombre de plaies par balles soignées par l’organisation a plus que doublé.
« Ce niveau de violence est extrêmement élevé, même pour une ville de deux millions d’habitants », commente un médecin de MSF.
A défaut de résultats tangibles dans l’immédiat, les autorités haïtiennes multiplient des déclarations de bonnes intentions. « Soit vous désarmez (...), soit vous mourrez », a lancé Préval le 9 août à l’attention des gangs.
Même si cette sévère mise en garde du chef de l’Etat a été le lendemain reprise par le premier ministre Jacques Edouard Alexis devant le parlement [4], on ne s’est pas empêché de mettre l’intention affichée par les autorités en parallèle avec une précédente déclaration de Préval, optant pour le dialogue avec les bandits.
La question du désarmement demeure cruciale dans un pays où plus de 200.000 armes seraient en circulation, selon une étude réalisée en 2005 par l’organisme Small Arms Survey. La plus grande partie de ces armes, soit environ 70.000, seraient détenues par des civils.
Une opération officielle de désarmement serait en préparation et pourrait être lancée en Haïti au début du mois de septembre. Le gouvernement, la police, la MINUSTAH et le programme Désarmement Démobilisation Réinsertion (DDR) se seraient accordés pour entamer une première phase de « désarmement volontaire ». L’objectif visé serait de récupérer entre 10 et 25% des armes en circulation et de réinsérer socialement un millier de jeunes.
Justice et sécurité.- Le président Préval a déjà fait part de sa volonté de conduire de profondes réformes au sein de la justice et de la police haïtiennes afin de faire face à la situation, car, dit-il, des criminels arrêtés circulent dans les rues en toute quiétude. « Cela donne des effets pervers au point où le policier est démotivé », insiste-il.
Dans la matinée du 24 juillet 2006, le Ministre de la Justice, René Magloire a procédé à l’installation du juriste Daniel Jean comme secrétaire d’Etat à la justice, devant spécifiquement prendre en main le dossier de la réforme judiciaire. Il a invité le nouveau secrétaire d’Etat à la Justice à mettre tout en œuvre en vue de relever le défi.
D’autre part, le juge Claudy Gassant, personnalité très connue des milieux judiciaires, a été installé le 21 aout au poste de commissaire du gouvernement près le Parquet du tribunal civil de Port-au-Prince. Après quatre années en terre étrangère, à cause des menaces de toutes sortes contre sa vie, alors qu’il était en charge de l’enquête sur l’assassinat en avril 2000 du journaliste Jean Dominique, il est rentré à Port-au-Prince le vendredi 18 août 2006.
Le dossier de la sécurité a été confié à un ancien inspecteur de la police, Luc Euchère Joseph, qui était en poste à l’étranger depuis 2001. Lors de son installation le 14 juillet, il a promis d’épauler la police dans ses efforts pour rétablir l’ordre et la sécurité en Haiti.
Auparavant, Préval avait confirmé le commissaire divisionnaire Mario Andrésol dans son poste de commandant en chef de la Police nationale d’Haïti (PNH) jusqu’en été 2009, et son choix a été ratifié le 5 juillet par le sénat.
Certes, à travers ces nominations on perçoit une certaine mise en place, mais, après quelques semaines, les nouveaux titulaires peinent apparemment à prendre leur marque. Alors qu’une série d’actions soit du pouvoir, soit de la justice, suscitent beaucoup d’interrogations et même des mécontentements. Les explications de Préval, le 6 juillet, pour justifier le retrait de la plainte déposée à Miami par le régime de transition contre l’ancien président Jean Bertrand Aristide pour vol, n’ont pas convaincu tous les secteurs.
En dépit des considérations d’ordre humanitaire, on a enregistré également des critiques contre les procédures ayant conduit à la libération provisoire le 27 juillet de l’ancien premier ministre Yvon Neptune, incarcéré pendant 2 ans en rapport avec le massacre de la Scierie à Saint-Marc [5]. L’avocat de la partie civile, Me. Samuel Madistin, a parlé de domestication de la justice.
Cette libération devait être suivie, le 14 août, de celle de 4 autres anciens responsables lavalas, Annette Auguste, Paul Raymond, Yvon Antoine et Georges Honoré, jugés pour leur implication présumée dans une sanglante attaque contre l’université, le 5 décembre 2003, à Port-au-Prince. Ils ont été acquittés pour absence de preuve.
Faut-il parler ici de faiblesse de l’appareil judiciaire qui, comme c’est souvent le cas, n’a pas su ficeler un véritable dossier, d’incapacité institutionnelle (qui concerne aussi des entités autres que la justice), de persistance de l’impunité institutionnalisée, ou simplement de tentative de jeter du lest pour contribuer à un éventuel apaisement ?
Ce qui est sur, c’est que la situation est d’un niveau de complexité assez élevé. Pourtant, il est grand temps que le gouvernement clarifie sa stratégie et commence à déployer son action, établir la confiance et se donner les capacités d’adresser, au moins, les besoins les plus pressants de larges secteurs de la société haïtienne.
Car l’attente se fait longue pour ceux et celles qui subissent de plein fouet les contrecoups de la dégradation générale des conditions économiques et sociales. La Solidarité des Femmes Haitiennes a demandé dans un récent communiqué s’il n y a pas de « capitaine dans ce navire ». [gp apr 25/08/2006 06:00]
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[1] Premier mandat de 1996 à 2001
[2] Le 24 mai, le sénat a ratifié la politique générale de Jaques Edouard Alexis ainsi que son gouvernement par 22 votes favorables sur 24 sénateurs présents et une abstention. Le jour suivant, la chambre des députés s’est prononcée dans le même sens par 79 votes favorables sur 82 députés présents et deux abstentions.
[3] Revoir la composition du gouvernement ici : http://www.alterpresse.org/spip.php?article4750.
[4] « Nous ne leur ferons pas de quartier. Nous marcherons contre eux », a martelé Jacques Edouard Alexis en faisant allusion aux bandits. Dans d’autres circonstances, il avait déclaré auparavant que « la carotte et le baton » seront offerts aux fauteurs de troubles.
[5] Selon un décompte effectué par la partie civile, plus d’une cinquantaine de personnes avaient été tuées et plus d’une soixantaine de maisons incendiées à la Scierie (Saint-Marc, à 96 kilomètres au nord de Port-au-Prince), par des partisans de l’ancien régime lavalas, deux semaines avant la chute de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide, le 29 février 2004.