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"Aider tous les peuples du monde à communiquer " : Sommes-nous prêts en Haïti ?

Par Jean-Marie Raymond NOEL, Directeur National du Projet Accompagnement d’Haiti dans la Société de l’Information (AHSI)- PNUD

Occasion journée mondiale des télécommunications, 17 mai 2003

Introduction

Le thème retenu cette année à l’occasion du jour mondial des télécommunications est : Aider tous les peuples du monde à communiquer. Pour paradoxal que cela puisse paraître, ce slogan sous-entend une réalité très forte d’exclusion, renseignant sur la dimension des efforts à accomplir pour voir s’établir la Société de l’Information, cette société qui se veut ouverte à tous, promotrice d’échange et d’utilisation d’informations et de connaissances. Que de peuples du monde, que d’ethnies, que de couches de la population sont privés du droit de communication ! Il n’y aura pas de Société de l’Information, sans la généralisation de ce droit humain. Il est plus qu’impératif aujourd’hui de mettre à la disposition de tous des moyens d’expression et d’échange. Le besoin de communication est comme le dit le Secrétaire général de l’UIT, Yoshio Utsumi aussi fondamental pour l’humanité que la recherche de la paix et de la prospérité. La tâche ne devra pas être aisée, tant sont grandes les disparités entre les pays d’une part, et entre des groupes d’un même pays d’autre part.

Dans nombre de pays, les structures en place ont longtemps gardé isolées les unes des autres des couches de la population. Haïti fait hélas partie de ce lot de pays à très faible taux de communication interne. A la base de cette situation, on retrouve bien entendu des facteurs sociaux, culturels, historiques, économiques, technologiques, etcÂ…L’inversion de la tendance passera par leur identification systématique et l’aménagement de mesures propres à les résorber ou à en éliminer les effets néfastes.

C’est à cette entreprise que l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) invite tous les pays. C’est ce défi que Haïti doit se donner : Aider tous les Haïtiens à communiquer. Faut-il y faire face ou se dérober ?

Y faire face ! Les bénéfices d’un renforcement de la communication interne sur le développement socio-économique du pays justifieront bien les efforts consentis.

Fossé Numérique

Travailler en faveur de la généralisation du droit de communication en Haïti, c’est, travailler à réduire le fossé numérique domestique. Ce concept, qui traduit les différenciations d’accès à l’information entre les couches de la population, est en fait la composante technologique d’une fracture plus globale, la fracture sociale, dont les paramètres ont entre autres noms : niveau d’éducation, âge, sexe, régions de résidence, revenus, etc... On peut comprendre dès lors qu’il n’y aura de solution durable que dans la mesure où les dispositions visent les causes structurelles. Et il est souhaitable que les activités qu’on peut être appelé à engager de façon conjoncturelle s’inscrivent dans une logique de renforcement de la capacité et de la qualité d’intervention, à travers une meilleure maîtrise des causes profondes.
On est tenté de croire que les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) peuvent servir à combler le fossé numérique en Haïti. Une étude récente menée par BRIDES pour le compte du RDDH, sur les connaissances, attitudes et pratiques autour des TIC en Haïti, a dénoté une attitude plutôt positive de la population vis-à -vis de ces technologies qu’elle considère comme des outils potentiels de développement socio-économique. Il est apparu par ailleurs un réel succès de ces facilités collectives d’accès, comme les cybercafés, perçues et utilisées surtout comme structures permettant de satisfaire un besoin de communication à des coûts plus faibles.

Néanmoins, les stratégies à mettre en place, la méthodologie de lutte contre le fossé numérique domestique en Haïti, sont encore à définir. L’étude a su démontrer l’ampleur de cette tâche. Le fort attrait vers la technologie relevé est contrebalancé par une faible capacité, pour près des trois quarts de la population, à utiliser un ordinateur, instrument pourtant utile dans le cadre de cette campagne en faveur du droit à la communication. Par ailleurs, l’engouement se situe surtout au niveau des jeunes : plus de 60% de la clientèle des cybercafés est constituée de personnes âgées de moins de 35 ans. Comment porter les plus de 35 ans à plus d’ouverture vers ces technologies ? Mais la région de résidence paraît être le facteur le plus critique, le plus générateur de disparité numérique : plus de 85% des cybercafés se localisent dans la zone métropolitaine ; près de 70% des internautes habitent l’aire métropolitaine, contre un peu plus de 14% dans le grand Nord et 16% dans le grand Sud.

Renforcer la capacité de tous les Haïtiens à communiquer, c’est s’attaquer prioritairement à ce facteur séculaire, responsable de bien des maux du pays. Faut-il continuer à avoir une télédensité concentrée à Port-au-Prince ? Faut-il continuer à faire de l’alimentation électrique - irrégulière, malgré tout - le privilège de quelques petits groupes ? Faut-il continuer à garder hors des circuits de communication, toutes natures confondues, la grande majorité de la population ? La réponse, me dira-t-on, ne peut être que négative ! Mais, qu’en est-il après ?

Observatoire TIC

En guise de réponse à la dernière question, j’inviterais les différents acteurs concernés par la problématique à une stratégie dynamique de recherche-action, autour d’un Observatoire TIC. Son rôle sera i) de mieux savoir et suivre l’intégration des technologies de l’information dans les secteurs économiques et sociaux et dans les régions, ii) et d’identifier les paramètres critiques pour l’évolution des TIC dans les régions. Sa mise en place passe par la constitution d’un réseau d’informateurs technologiques, distribués sur le territoire et à même de garantir l’actualisation continue de l’information technologique.

Conclusion

Les informations recueillies permettront à la fois i) de construire des analyses poussées sur l’évolution de l’intégration des TIC par pôle, par région, par secteur et les tendances observées, ii) d’évaluer la fracture numérique domestique, iii) de relever les points critiques, iv) de monter des solutions appropriées aux préoccupations des populations, en matière d’équipements, d’outils, de contenus et de services.

Cette phase devra être suivie ou accompagnée d’actions concrètes en faveur de l’accès universel : élargissement du réseau téléphonique national, installation de centres d’accès communautaires, politique de taxation plus favorable au développement des TIC, maillage des réseaux de télécommunication, interconnexion des fournisseurs d’accès à Internet, promotion d’une industrie locale de biens et équipements informatiques afin d’abaisser les prix des matériels, mise en œuvre de systèmes de communication fonctionnant avec très peu d’énergie, renforcement de la desserte en énergie électrique, etcÂ…

Cela va impliquer un effort d’investissement qui ne pourra être mobilisé qu’au travers de partenariats actifs, secteur public-secteur privé-société civile-coopération internationale. Si les gouvernements doivent s’évertuer à créer l’environnement propice au développement des TIC, le secteur privé doit jouer un rôle moteur en proposant des formules économiquement viables de rentabilisation ou d’autofinancement des structures d’accès collectif. Les chambres de commerce et les structures représentatives du secteur privé doivent appuyer la création d’entreprises et de services dans le domaine et sensibiliser leurs membres en ce sens. Des liens fructueux doivent être instaurés entre enseignants-chercheurs, acteurs de terrain, responsables publics et opérateurs privés, en vue d’arriver à des politiques créatives, réalistes et efficaces.

Un véritable programme, où doit être privilégié le principe d’une responsabilité collective mais différenciée ! Y sommes-nous prêts ?

Jean-Marie Raymond NOEL, Ing.-MSc
Professeur Faculté des Sciences - UEH
Directeur National Projet AHSI, PNUD