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Restituer la mémoire visuelle haïtienne

P-au-P., 15 mai. 03 [AlterPresse] --- Décidément, les partisans d’un cinéma haïtien intelligent sont gâtés. C’est ce qu’on serait tenté de dire après la grande première, le mercredi 14 mai, au ciné Impérial, de « Haïti : les chemins de la mémoire ».

En 52 minutes, le réalisateur, Frantz Voltaire, nous a fait survoler, sans nous lasser, une tranche d’histoire importante, la période d’avant Duvalier, de 1915 à 1957 plus précisément. Une histoire racontée et montrée en respectant la chronologie et le rythme cadencé des événements essentiellement nationaux. Une histoire montrée aussi en concordance avec le contexte international tumultueux de l’époque (les envolées de De Gaulle, les bravades de l’Allemagne nazie, la réponse des alliés, la guerre d’Espagne, les horreurs de Trujillo, etc.)

Si le film de Frantz Voltaire apporte un éclairage certain sur un pan de notre histoire méconnu de la jeunesse haïtienne, le regard précautionneux et conciliant du cinéaste sur les cinquante premières années d’un siècle traversé par d’énormes contradictions sociales et idéoligiques en Haïti peut déranger certains esprits avertis et tatillons. Le ton est donné, dès le départ, dans le générique, lorsque le réalisateur dédie son film à deux illustres disparus aux idées diamétralement opposées, un libéral et un socialiste. Il est vrai que d’autres spectateurs peuvent en faire un point d’honneur pour l’historien- cinéaste. Car ce choix d’angle pourrait bien traduire, à leurs yeux, un grand esprit d’ouverture et de tolérance.

Un tel débat est de bonne guerre. Car, en fait, le documentaire n’est pas un genre neutre. Et tout film traduit le regard du cinéaste sur une réalité donnée, concrète ou virtuelle.

Outre le riche débat qu’il ne manquera pas de provoquer, du moins on l’espère, dans les milieux intéressés, la beauté et l’originalité de « Haïti : les chemins de la mémoire » viennent aussi d’un fonds archivistique impressionnant. Des images d’époque, fulgurantes, sympathiques, denses,
vivantes et inédites pour la plupart.

Le film se veut un hommage au peuple haïtien. Certaines des images, saisissantes, édifieront, à coup sûr, une partie de la jeunesse haïtienne qui ignorerait par exemple que des manifestations culturelles de très grande facture bouillonnaient en Haïti, déjà vers les années 1946. Ceci, à la fois dans les domaines de la musique, de la danse et du théâtre. Des manifestations qui n’avaient pas grand-chose à envier à ce qui se faisait à l’époque dans les plus grands cercles culturels internationaux.

Les spectateurs ont été éblouis par exemple par un extrait d’une excellente prestation, sur les planches, du poète et dramaturge Félix Morisseau Leroy, de regrettée mémoire, interprétant avec brio sa propre pièce.

La beauté du film vient aussi d’un habillage sonore de qualité et d’un choix de musiques thématiques appropriées, comme par exemple « Tonton Nò granmoun nan tout kò l ».

Bien entendu, sur un plan technique, certains esprits avertis peuvent s’interroger sur la manière un peu monotone et figée dont les différents personnages ont été filmés. Des plans, le plus souvent, de même longueur et pas nécessairement contextuels.

Des ingrédients pourtant importants dans un documentaire, des éléments qui font entrer dans une sorte de théâtralité nécessaire, tranchant par ainsi avec la linéarité du reportage.

Mais ces lacunes, si on peut les considérer comme telles, ont été compensées par des images d’archives excellentes qui captivent et font presque oublier les détails manquants.

Beaucoup d’autres choses pourraient être dites sur ce film. Mais nous nous arrêtons là pour laisser place au débat qui doit se faire autour de ce documentaire. D’autant que c’est le premier d’une série de documentaires. Le prochain portera sur la période des Duvalier. On l’attend avec impatience.

Bonne chance et bonne continuation à Frantz Voltaire. C’est tant mieux pour le cinéma haïtien. [vs apr 15/05/03 07:00]