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HaitiWebdo - Numéro 15

Spécial

Guacimal : Du sang dans les champs

Guacimal : Du sang dans les champs

Par Gotson Pierre

L’indignation grandit parmi les secteurs sociaux depuis les derniers évènements de Guacimal à St-Raphael, au Nord du pays, où deux paysans ont été tués et plusieurs autres blessés par un groupe d’individus le 27 mai, suite a une tentative de rassemblement. Lors de ces incidents 9 personnes, dont deux journalistes, également victimes d’agressions, ont été arrêtées par la police puis transférées à Port-au-Prince.

La Plate-forme des Organismes Haïtiens de Défense des Droits Humains (POHDH) et la Plate-forme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) ont appelé le 4 juin à la mise sur pied d’une Commission d’enquête indépendante afin de faire la lumière sur ces incidents. (Détails de ces réactions dans un prochain papier d’AlterPresse)

Récits et interprétations

Guacimal est la section communale ou est située une ferme d’orangers de plus de 350 ha, appartenant à Jacques Novella et fournissant à la multinationale française Cointreau la matière première de sa prestigieuse liqueur. Comme convenu depuis le lancement des activités, il y a plus d’un demi-siècle, à la morte saison, les paysans entendaient reprendre leurs cultures vivrières, raconte Georges Augustin, Délégué de Batay Ouvriye (Bataille Ouvrière), organisme intervenant en milieu ouvrier. A cette fin, ajoute-t-il, un "meeting" devait être organisé sur le terrain avec environ 200 paysans pour procéder à un partage de l’espace à travailler.

Georges Augustin, qui était sur place, rapporte que les paysans ont été attaqués par un groupe de personnes armées de bâtons, machettes et pistolets, parmi lesquelles, des autorités locales. Les paysans, poursuit-il, ont été pris en chasse et ont du s’enfuir dans plusieurs directions, répondant à des tirs d’armes à feu par des jets de pierre. Attrapés par leurs adversaires, deux paysans ont été mutilés puis enterrés sur les lieux, ajoute Georges Augustin.

Selon lui, les policiers arrivés sur place n’ont rien fait pour empêcher les agressions. Ils ont au contraire, souligne-t-il, procédé à l’arrestation de plusieurs victimes dont deux journalistes, Darwin St-Julien de l’hebdomadaire Haïti-Progrès et Allan Deshommes de la station locale Radio Atlantique.

Le Secrétaire d’Etat à la Communication, Mario Dupuy, justifie l’action des agresseurs en expliquant que la population avait du faire face à un groupe d’individus armés montés à bord de deux véhicules pick-up. Le Secrétaire d’Etat a fait référence à "des informations" selon lesquelles des groupes politiques hostiles aux zones franches, à la propriété privée et aux négociations politiques pour une sortie de crise en Haïti, seraient impliqués dans ce qui s’est passé.

La version gouvernementale est démentie par Saintès Estimé, Secrétaire Général du Syndicat des travailleurs de Guacimal. Ce dernier affirme que les paysans avaient simplement bénéficié de la solidarité de deux délégations de Batay Ouvriye, venant des régions avoisinantes. Selon lui, à travers la version fournie par Mario Dupuy, l’Etat cherche à gommer ses responsabilités dans les incidents du 27 mai.

Les antécédents de cette affaire remontent à plus d’un an et demi, indique Batay Ouvriye, dans un communiqué émis à la suite des évènements. Alors, lit-on dans le communiqué, avait été mis sur pied le Syndicat des Ouvriers de Guacimal St. Raphaà« l (SOGS), revendiquant l’amélioration de leurs conditions de travail en tant que cueilleurs d’oranges.

Selon Batay Ouvriye, la réaction des patrons à été d’écarter systématiquement tout ouvrier organisé. Ce qui a créé une situation de conflit. Batay Ouvriye déclare que ses multiples démarches auprès des instances de l’Etat, notamment les Ministère des Affaires Sociales et de la Justice, pour les porter à assumer leurs responsabilités, sont restées vaines.

Réactions

Evariste Wilson, responsable du bureau d’Haïti-Progrès au Cap-Haïtien, principale ville du Nord, interprète les incidents de Guacimal comme "un acte de répression politique". Haïti-Progrès appelle a une intervention ferme et rapide des organisations de défense des journalistes et des groupes de droits humains, afin d’exiger du gouvernement haïtien le respect de la loi : ou inculper les journalistes ou bien les libérer, et fournir à tous les blessés des soins médicaux immédiats.

Le Secrétaire Général de l’Association des Journalistes Haitiens (AJH), Guyler C.Delva, exige la libération immédiate des personnes arrêtées tout en protestant contre l’absence de soins adéquats pour les deux journalistes. Delva menace d’appeler au boycott des activités gouvernementales par la presse si les journalistes n’etaient pas libérés dans le plus bref délai.

"Toute la lumière doit être faite sur les motifs de ces arrestations et la situation des journalistes doit être régularisée dans les plus brefs délais", déclare Robert Ménard, Secrétaire Général de l’organisation internationale de défense des journalistes, Reporters Sans Frontières.

Ces nouveaux actes arbitraires renforcent "l’inquiétude et l’indignation des citoyens face aux abus répétés commis par les autorités de ce pays qui semblent affectées de surdité devant les protestations et les rapports des organisations des droits humains, nationaux et internationaux", écrit dans un communiqué le Centre Oecuménique des Droits Humains (COEDH)

La Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR) révèle que les démarches entreprises pour visiter les prisonniers ont été vaines. Les moniteurs de l’Organisation se sont heurtées à un refus catégorique inhabituel, affirme la NCHR. L’organisation se pose des questions sur les procédures suivies et les moyens mis en oeuvre (helicoptère) pour le transfert des prisonniers à Port-au-Prince. C’est une situation, "pour le moins, troublante", déclare la NCHR.

Enfin, l’organisme anglais de solidarité, Haïti Support Group, a fait parvenir une lettre ouverte au président Jean Bertrand Aristide pour "l’implorer de prendre des dispositions immédiates afin de garantir la protection de ceux-la qui risquent d’être victimes de violence et de veiller a ce que la justice sévisse contre ceux qui ont perpétré l’attaque".

Haïti Support Group, qui a supporté le gouvernement lavalas en exil durant la période du coup d’Etat, se dit "scandalisé" et "outragé" de constater que de tels actes se produisent sous une administration lavalas et que des officiels appartenant à Fanmi Lavalas soient accusés de conduire l’attaque du 27 mai.