P-au-P, 28 Juil. 06 [AlterPresse] --- Pour le seul mois de juillet 2006, plus de 120 personnes blessées par balles ont été soignées au centre de traumatologie de l’organisation Médecins Sans Frontières (MSF - Haïti), installé à l’hôpital Saint Joseph de Port-au-Prince, apprend l’agence en ligne AlterPresse.
« En moins de 48 heures, médecins et infirmières de MSF - Haïti ont porté assistance à 37 personnes blessées par balles au cours des affrontements violents des 20 et 21 juillet derniers. La population civile reste la principale victime des exactions commises par les groupes armés », se plaint Yann Libessart, chef de mission de MSF - Haïti, contacté par AlterPresse.
Le chiffre de 120 personnes blessées par balles, accueillies par Médecins Sans Frontières dans l’un de ces centres, dépasse largement celui du mois de juin, enregistré à MSF-Haïti qui était au nombre de 95.
Dans les centres hospitaliers gérés par cette institution internationale, les professionnels de la santé s’activent pour faire face à différentes urgences, principalement les cas d’agression par balles en nette augmentation ces dernières semaines. Depuis mai 2006, les actes de violence n’ont pas cessé de semer le deuil au sein des familles haïtiennes.
Après environ 4 mois d’accalmie, liée en partie à la victoire de René Préval aux présidentielles du 7 février 2006, l’insécurité reprend ses droits à Port-au-Prince dans un contexte marqué par des agitations politiques à la solde de partisans de l’ancien régime lavalas qui réclament le retour de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide dans le pays et leur réintégration de l’administration publique.
Yann Libessart, qui peine à comprendre le bien-fondé de cette vague de violences qui n’épargne personne, appelle les groupes armés à respecter la sécurité de la population civile.
Ce même appel est déjà lancé à plusieurs reprises par Médecins Sans Frontières depuis le déclenchement le 30 septembre 2004 de l’ « Opération Bagdad », mouvement de représailles attribué aux partisans armés de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide.
Agglutinés dans des bicoques, certains de ces civils armés sont toujours prêts à dégainer à tout bout de champ. Dans leurs exactions, ils n’épargnent personnes : femmes, enfants, jeunes et vieux paient le lourd tribut de ces violences quasi quotidiennes. Ils ont abattu beaucoup de personnes sans défense, des policiers nationaux ainsi que des membres de la Mission des Nations Unies de Stabilisation en Haïti (MINUSTAH).
Le 27 juillet, le policier Carlo Edmond a été criblé de balles, en compagnie d’un ami, par des bandits armés. Edmond et son ami venaient de faire une transaction dans une banque commerciale de la place lorsqu’ils ont été pris à partie par deux individus lourdement armés. La mort de ce policier du Corps d’Intervention et du Maintien de l’Ordre (CIMO) vient renforcer le deuil au sein de l’institution policière.
Le 26 juillet, Mario Raymond, un employé d’une maison de transfert d’argent sur Haïti a été abattu au volant de sa voiture. Le 19 juillet dernier, le directeur technique du Conseil National des Télécommunications (CONATEL), Alfredo Estriplet, a été tué de plusieurs balles. Le même jour, deux ouvrières ont été abattues par balles sur la route de l’aéroport international.
La situation va de mal en pis. A la salle d’urgence de l’hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH), le décor est poignant. Des personnes blessées, certaines par balles, d’autres à l’arme blanche, sont allongées sur leur lit d’hôpital, le sérum au bras, a constaté un reporter d’AlterPresse en début de semaine.
A la porte d’entrée, des gouttelettes de sang sont visibles sur le parquet en mosaïque.
« Ici, il n’y a pas de gens responsables, ils sont là pour faire de l’argent », réprouve Milo Lévy Félix du syndicat des employés de l’HUEH.
Dans ce centre hospitalier, le plus grand du pays, il n’y a pas une structure de communication qui fonctionne. Un journaliste qui veut avoir des informations ne sait pas à qui s’adresser. Les responsables du Service de statistiques, qui sont toujours présents à leur bureau, ne sont pas autorisés à répondre aux questions des travailleurs de la presse.
Pas de mesures apparentes pour faire cesser la violence armée
De nombreux secteurs nationaux appellent les nouvelles autorités à cesser d’exprimer des vœux pieux, sans aucun suivi réel dans le quotidien, mais à prendre des dispositions fermes pour prévenir et enrayer définitivement les manœuvres spectaculaires des commandos, particulièrement à la capitale.
Ces dispositions fermes sont nécessaires dans l’immédiat pour que le pays ne bascule point dans une violence sans bornes, mais revienne plutôt à une stabilité propice aux investissements et au retour progressif des touristes, y compris des membres de la diaspora, exhortent divers habitants.
Apparemment dépassée par les événements, la Police Nationale d’Haïti (PNH) déclare manquer de moyens adéquats pour intervenir convenablement dans certaines zones sensibles de la capitale sous contrôle de gangs armés, comme à Martissant (banlieue sud) d’où plusieurs dizaines de personnes ont commencé à se déplacer, depuis début juillet, pour échapper aux exactions des bandits.
Pour pénétrer ces zones, le porte-parole Frantz Lerebours affirme que l’institution policière a besoin d’un soutien héliporté en vue de mener à bien ses opérations.
« Ce besoin est à l’étude, oui il est à l’étude », a répondu le commissaire Lerebours aux journalistes, dont un reporter d’AlterPresse, dans une conférence de presse le 27 juillet.
Dans environ 8 départements géographiques du pays, 176 personnes ont été arrêtées cette semaine par la police pour 157 affaires traitées. Le département de l’Ouest est en tête de liste avec 91 arrestations, suivi de la région du Nord où 23 individus ont été appréhendés.
Deux policiers nationaux, dont l’un appartenant à l’Unité de Sécurité Présidentielle (USP) et l’autre affecté au commissariat de l’Aéroport (nord-est de Port-au-Prince), ont été kidnappés. Le premier est toujours aux mains de ses ravisseurs et le second a été relâché, selon les précisions de Frantz Lerebours.
De son côté, la Mission de Stabilisation des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH), qui se montre, elle aussi, très préoccupée par cette recrudescence de la violence armée, met sur le compte du crime organisé la flambée de violence connue ces derniers jours dans la capitale.
« La mission onusienne travaille conjointement avec la Police nationale d’Haïti à plusieurs niveaux afin trouver des formules pour renforcer la lutte contre le crime organisé. La MINUSTAH est préoccupée par les activités du crime organisé en Haïti, ayant des liens avec le trafic des stupéfiants », alerte Sophie Boutaud de la Combe, porte parole de la mission au cours d’une conférence de presse tenue ce jeudi 27 juillet 2006.
La MINUSTAH n’a enregistrée aucune victime, contrairement aux rumeurs persistantes faisant état de deux morts dans ses rangs, ajoute la porte-parole de la mission onusienne qui fait état de 12 bandits tombés durant la journée du 17 juillet 2006 au cours d’affrontements avec la MINUSTAH.
La mission onusienne a profité de sa conférence hebdomadaire, le 27 juillet, pour lancer différentes consignes à la population en vue de faire face aux actes de banditisme, dont les tentatives d’enlèvements.
Plusieurs secteurs s’interrogent sur l’apparence de laxisme des nouveaux dirigeants face au climat d’insécurité en cours, alors que, le 25 juillet, le premier Ministre Jacques Edouard Alexis a annoncé la mobilisation des ressources du gouvernement pour trouver une solution définitive à l’insécurité.
« Nous ne continuerons plus à accepter que des individus armés surgissent dans les rues, tuent des gens qui se rendent à leur travail ou s’attaquent à des entrepreneurs », lâchait le chef du gouvernement haïtien.
Entre-temps, excepté le renforcement de points de contrôle et de perquisition de véhicules à certains endroits de la capitale, aucun dispositif particulier de sécurité n’est visible. [do rc apr 28/07/2006 13:25]