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Université d’État d’Haïti : Retour sur les péripéties d’une crise annoncée

Le professeur Fritz Deshommes, Vice-Recteur élu de l’Université d’État d’Haïti, vient de publier à Port-au-Prince un ouvrage intitulé "Université et Luttes Démocratiques en Haïti". Ce livre, abondamment documenté se penche sur la crise de juillet/aout 2002 qui a frappe l’université d’État. Une crise annoncée, écrit le professeur Charles Vorbe, dans le texte que voici (préface du livre de Fritz Deshommes).

Dans un contexte général où les esprits les plus conciliants et les plus
optimistes sont bien forcés de reconnaître la possibilité d’un retour des
vieux démons de la dictature, le communiqué du Ministre de l’Education
Nationale de la Jeunesse et des Sports, Myrtho Célestin-Saurel, congédiant
arbitrairement le Conseil Exécutif de l’Université d’Etat d’Haïti et
installant, de facto, à la tête de cette institution une commission
provisoire de gestion, est venu allonger la trop longue liste des faits qui
confirment l’hypothèse de la dérive politique dictatoriale actuelle.

Seulement, ce coup de force contre l’une des toutes dernières institutions
publiques de ce pays, où existe et se développe, dans la difficulté et la
contradiction, une vie démocratique authentique, a du mal à passer.

La violation de l’indépendance et de l’autonomie de l’UEH - règle fixée par
la Constitution de 1987 (article 208, titre VI chapitre V) et définie par
les "Dispositions Transitoires relatives à l’organisation de
l’administration centrale de l’Université d’Etat d’Haïti" (article 2 et
suivants) - a déclenché une mobilisation générale contre un retour du
tragique.

Conseil de l’UEH, directions de facultés, organisations de professeurs,
d’étudiants, appuyés par un large éventail d’organisations du secteur
associatif, sont autant de forces qui, conscientes des enjeux du moment,
sont déterminées à défendre les acquis de l’après-Duvalier et empêcher toute
nouvelle édition du "macoutisme" universitaire.

C’est dans ces circonstances, grosses de menaces pour l’avenir de notre
"alma mater universitas" que Fritz DESHOMMES publie ses réflexions sur les
péripéties d’une crise annoncée. Sur plus d’une centaine de pages,
l’auteur, fraîchement élu Vice-Recteur à la Recherche au Conseil Exécutif de
l’UEH, procède à une reconstitution minutieuse des faits on ne peut plus
importante tant l’information sur le sujet était éparse, fragmentaire,
souvent imprécise et, dans certains cas, délibérément mensongère.

Touchant aux aspects principaux de la crise, DESHOMMES fait une analyse
systématique et critique des positions du ministère où il met à nu les
incohérences et la déraison d’une "Raison d’Etat" non avouée mais cachant
mal le zèle obstiné d’exécutants qui, face à l’insoutenable, ont préféré
exercer leur droit à la soumission. Dans ce sens, la justice aux ordres,
appelée à la rescousse, n’a pas failli à sa tâche. L’ordonnance du juge des
référés qui découle de l’action judiciaire des "citoyens-étudiants" est un
modèle du genre, digne de figurer dans un répertoire de jurisprudence
extravagante. Thémis, au pays d’Haïti, n’avait nul besoin de cet
avilissement de plus.

En écrivant ce texte, sine ira, Fritz DESHOMMES apporte sa contribution à la
connaissance et à la compréhension d’une tranche de vie mouvementée de
l’UEH. Il prend date dans l’histoire des luttes démocratiques de notre
université.

C’est vrai ! Nous sommes un peuple de tradition et de culture orales. Mais
les luttes institutionnelles, les combats juridiques, les débats
universitaires. ne peuvent se passer du support de l’écrit. « Verba volant,
scripta manent », dit le vieil adage latin. D’écrits comme celui-ci,
l’Université d’Etat d’Haïti en a grand besoin aujourd’hui.

Charles VORBE

Professeur à l’Université d’Etat d’Haïti